Sanvoisin, Eric. Le mystère des buveurs d'encre

Odilon a beau avoir un père libraire, il n’aime pas les livres. Aussi passe t’il son temps à observer les clients peu scrupuleux qui n’hésitent pas à dérober les livres dans la librairie de son père. Forcément, quand on n’aime pas les livres et que son quotidien est submergé par leur présence, on apprécie qu’on nous soulage de la présence de quelques représentants du règne livresque. Une rencontre pour le moins étonnante avec un nouveau client va cependant marquer un tournant dans la relation entre Odilon et les livres. Alors qu’il surprend un client inconnu à siroter tranquillement les pages d’un livre, il décide de suivre celui-ci afin d’essayer de comprendre comment ce mystère est possible. Qui est réellement ce mystérieux personnage qui semble se déplacer sans pour autant toucher le sol ?

A force d’explorer une même thématique, on en vient parfois à éprouver un peu de lassitude à retrouver toujours les mêmes codes, les mêmes rouages, malgré le nombre colossal de textes qui se penchent sur le sujet. Et parfois, on a la chance de mettre la main sur une oeuvre complètement hors-norme, qui tire son épingle du jeu en s’appropriant le mythe (en l’occurrence celui du vampire) avec autant de qualité que d’imagination. Ce recueil de trois des récits de la série Le buveur d’encre d’Eric Sanvoisin est ainsi ma première rencontre avec cet univers, qui a vu le jour dans le milieu des années 90. Et dès les premières pages, on est happé par le mélange d’humour, de poésie et d’hommage de la série, quel que soit notre âge. En s’appropriant les codes du mythe, l’auteur matérialise au fil des pages un univers qui s’avère être un des plus beaux hommages au livre et à la lecture, et à la manière que peuvent avoir les enfants d’appréhender les textes. Manière qui conditionne plus tard la manière que nous avons, nous adulte, d’appréhender l’acte de lecture.

En plus d’être très bien écrit (la langue est maîtrisée, riche mais adaptée à la cible jeunesse, et non moins emprunte de nombreux jeux de mots), ce recueil est en lui-même un très bel objet, composé de trois des récits de la série qui se retrouvent ainsi protégés derrière une couverture aimantée du plus bel effet. Comme le reste de la série, le livre est illustré par Martin Matje, dont le travail graphique joue énormément sur le charme de la série. Son Draculivre flottant au-dessus du sol, nanti d’un look que le personnage de Stoker n’aurait pas renié, est un très belle hommage à l’auteur irlandais en même tant qu’une matérialisation parfaite du personnage décrit par Eric Sanvoisin. A noter la dernière histoire du livre, qui permet au lecteur d’interagir avec le livre, en lui demandant d’utiliser le stylo-lampe fourni pour dévoiler au fur et à mesure des pages les indices d’une enquête.

Niveau vampirique, c’est un des ouvrages les plus originaux et savoureux que j’ai pu lire. Draculivre est ainsi un ancien buveur de sang reconverti en buveur d’encre. Il aspire maintenant les mots des livres plutôt que le sang. Il vit par ailleurs dans un cercueil qui a la forme d’une plume d’encre, et est nanti de deux plumes de stylo en guise de crocs. La forme particulière de vampirisme dont il est atteint se transmet de manière classique, après avoir mordu sa victime. Il dispose par ailleurs de quelques pouvoirs, comme celui de se déplacer en volant légèrement au-dessus du sol. Petit cerise sur le gâteau : la nièce de Draculivre (joli hommage au Dracula de Bram Stoker) se nomme Carmilla.

Alors que j’avais hésité à me procurer jusque-là la série, ce recueil de certains des ouvrages de Draculivre (renommé depuis quelques temps Le buveur de sang) m’a vraiment emballé. La série d’Eric Sanvoisin est une des œuvres les plus inventives que j’ai pu lire dans le thème jusque-là, car l’auteur va bien plus loin que la classique reprise des codes, en détournant ceux-ci avec réussite. Sans nul doute la série que j’offrirais à mes enfants, quand j’en aurai et quand ils auront l’âge de lire.

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