Year of No Light. Interview avec les compositeurs et interprètes de Vampyr

Bonjour. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter pour les visiteurs de Vampirisme.com ?

Mathieu : YONL est un groupe de Bordeaux formé en 2001. En 2004, après un premier changement de line-up, le groupe sort sa première démo, YONL étant alors qualifié de « The Cure jouant du sludge ». Suite au succès d’estime de cette dernière, YONL enregistre Nord, son premier album, à Genève et sous la houlette de Serge Morattel. En 2008, le groupe se sépare de son chanteur et enrôle Shiran (Gasmask Terror, Monarch…) à la troisième guitare et moi-même à la seconde batterie. L’album qui s’ensuit, Ausserwelt, plonge l’esthétique sonique du groupe vers quelque chose d’à la fois plus assumé au niveau « Metal » mais aussi « psychédélique ». Sachant que pour nous, le Doom et le Black-Metal sont deux facettes de ces deux mouvements. Le but était sans doute de développer à la fois l’aspect mélodique de la musique tout comme une certaine idée de la transe, avec un léger atavisme militaro-contemplatif. À côte de ça : tournées, pas mal de splits LP (avec des groupes comme Altar of Plagues , thisquietarmy ou encore Mars Red Sky…) et bien sûr l’expérience Vampyr.

De ce que j’ai pu lire, Vampyr est un projet qui vous a été proposé par un ami producteur. Mais qui a sélectionné le film de Dreyer (alors qu’il existe de très nombreux autre films muets qui auraient pu donner lieu à ce type d’enregistrement), et pourquoi ?

Mathieu : Alors tout d’abord, contrairement à ce que beaucoup de gens écrivent, Vampyr n’est pas un film muet. C’est un film sonorisé mais dans lequel Dreyer a continué d’utiliser certains codes du cinéma muet, ce qui nous a permis de ne pas trop le saccager avec notre bande-son… Pour en revenir à ta question, notre ami nous a proposé l’idée du ciné-concert mais le choix du film nous revenait. Cela a néanmoins donné lieu à « d’âpres négociations » comme on dit, l’association qui produisait l’événement n’ayant pas vraiment la même perspective que nous sur le genre de film qu’un groupe de métal était à même de sonoriser. En gros, ils nous demandaient plus ou moins d’aller voir du côté du cinéma Bis, reléguant de fait ces deux formes artistiques dans leurs ghettos. On leur a soumis Begotten d’Elias Mehridge, dans un esprit « expérience-limite » et premier refus (trop élitiste, trop extrême…). Puis La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer où là, on a clairement senti leur renâclement à nous voir choisir un film « respectable ». Comme on est un peu « têtus », on a essayé de les piéger en leur soumettant Vampyr. Vu qu’il s’agissait d’un film fantastique, donc correspondant à leur cahier des charges, ils n’avaient plus vraiment le choix…

Le son est nettement plus atmosphérique que dans votre précédent album, Ausserwelt. Est-ce une manière de laisser leur place aux images, sans les écraser avec la musique ?

Mathieu : Absolument. Le but était vraiment que les gens nous oublient pendant le film, tout en nous assurant que la musique ne prendrait jamais le pas sur les images. On est partis sur l’idée que le film était un labyrinthe, et que nous étions là pour y guider les spectateurs. Voire pour les y perdre.

Certains des titres utilisés proviennent justement de Ausserwelt. Ce choix s’est-il fait par hasard ? Les morceaux ont-ils été modifiés de manière à s’insérer de manière fluide dans le reste de la setlist ?

Mathieu : C’est une conjonction de plusieurs choses. Mais oui, leur structure a effectivement été remaniée pour coller au rythme et aux séquences du film.

Avec Ausserwelt, vous avez fait le choix de vous orienter vers des compositions purement instrumentales, sans chant. Pensez-vous qu’il aurait été possible d’avoir des compositions chantées sur une oeuvre comme Vampyr ?

Mathieu : Non, vraiment pas. C’aurait été totalement hors de propos.

Y a t’il des groupes et / ou compositeurs qui vous ont particulièrement influencés lors du travail de composition sur Vampyr ? Votre musique dégage une noirceur impressionnante, et pourtant on est loin d’une violence constante, avec beaucoup de passages aériens.

Mathieu : Notre envie était surtout de travailler plus profondément les textures sonores. Le projet a correspondu au moment où nous avons fait l’acquisition de synthés analogiques et cette bande-son nous a donné la possibilité de les inclure naturellement dans notre travail. Après le seul nom qui nous soit venu lorsqu’on composait est celui de Glenn Branca. Et personnellement, j’aimais souvent retrouver dans le son qu’on développait un grain un peu analogue à ceux de John Carpenter ou de Jay Chattaway dans leurs B.O. du début des années 80.

Vous avez joué ce ciné-concert pendant près de deux ans. Y’a t’il eu une forte évolution des compositions au fil des représentation, ou la version enregistrée est-elle assez proche de ce qu’était le projet à ses débuts ?

Mathieu : Elle doit forcément être mieux maîtrisée qu’elle ne l’était à l’origine, même s’il me semble que ce n’est sans doute pas la meilleure. Le concert à Tallin, en Estonie, extrêmement ténu, est sans doute celui dont nous restons le plus satisfaits. L’avantage d’un projet comme celui là était le possible des interprétations. Ça allait du rêve ouaté à l’annihilation totale.

Les titres des morceaux font davantage référence à des moments du film qu’à des personnages. Pourquoi ce choix ?

Mathieu : Parce que nous avons séquencé le film dès le début du projet et qu’il nous semblait donc cohérent de refléter cette approche à travers les titres. Nous n’avons d’ailleurs pas composé de thèmes correspondants aux personnages, à l’exception de celui du Vampire. En bref, on est parti dans une perspective narrative et thématique, et c’est ce que les titres appuient. Notre manière à nous d’avoir appréhendé cette histoire et les obsessions de Dreyer.

Les pistes de l’album s’enchaînent sans temps mort. Il s’agit donc d’une seule et unique pièce divisée en temps forts, plus que de morceaux mis bout à bout ? A cet égard, y a-t-il des passages qui ont été mis de côté lors du travail de composition ?

Mathieu : Exactement, c’est une « pièce », néanmoins sécable. Nous avons toujours composé de manière à ce qu’il n’y ait jamais de ruptures de ton, pour que tout s’enchaîne naturellement, qu’une ambiance mène à la suivante. Nous avons envisagé le film comme un rêve ou comme un voyage dans la psyché perturbée du personnage principal, et il fallait pour cela plonger les spectateurs dans un état proche de celui de l’endormissement. C’était notre manière à nous de représenter par le son ce que Dreyer et Rudolph Maté, le directeur de la photographie, avaient tenté de faire en « voilant » consciemment les images avec de la gaze. De souvenir, il ne me semble pas que quoi que ce soit ait été écarté, puisque tout a toujours été « lié ».

Les versions de l’album sorties chez Musicfearsatan sont toutes constituées de la version vinyle sur deux 33T et du CD, le tout limité à 1000 exemplaires. Pourquoi ce choix ?

Mathieu : Parce que nous ne vénérons que le vinyle, mais parce que le CD était la seule façon pour l’auditeur d’entendre la pièce dans son intégralité, sans coupure, ou de regarder le film avec. Ce choix permet donc d’envisager le disque comme on le souhaitait : à la fois comme un album à part entière mais aussi comme une B.O., imaginaire ou non.
 
Comment avez-vous travaillé le packaging du CD et du double LP ?

Mathieu : Comme pour le séquençage du film. Nous avons choisi des plans qui nous semblaient symboliser au mieux l’idée que nous nous sommes faite du film, aptes à faire parler son atmosphère. En essayant en plus de respecter, pour les faces du vinyle, le grand attachement de Dreyer aux visages de ses personnages.

Quelles sont vos premières et dernières rencontre avec un vampire (en littérature, au cinéma et / ou en musique ) ?

Mathieu : Ma première rencontre « marquante » est probablement celle de Christopher Lee dans un des Dracula réalisés par Terence Fisher pour la Hammer. C’est en tout cas la première image qui me vient lorsqu’on me parle de vampire. A moins que ce ne soit Le Bal des vampires de Polanski ou le segment des « Wurdalak » dans Les Trois visages de la peur de Mario Bava… Et la dernière à m’avoir marqué, hormis Vampyr, est sans doute Vampires de John Carpenter, que j’avais vu à sa sortie, et qui représente pour moi une excellente rappropriation du mythe, le mettant en perspective avec l’avidité du capitalisme américain. Après, je dois avouer que cette figure, bien qu’intéressante, n’est pas celle qui me parle le plus dans le fantastique.

Selon vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?

Mathieu : Je ne vais te ressortir que le cliché d’usage mais bon : le sous-texte sexuel bien sûr. La perspective à la fois excitante et désespérée d’une vie éternelle soumise à la damnation, le fait de ne jamais trouver le repos et de devoir en plus entraîner les autres dans cet enfer. Quant à la pérennité, on peut voir à quel point ce mythe peut entrer en résonance avec la contemporanéité. Qu’il s’agisse d’isolement avec Martin de Romero, de décadence sociale avec Du Sang pour Dracula de Morrissey, du capitalisme avec Vampires de Carpenter… Sans parler du petit revival des années 80 avec l’arrivée du Sida… Et puis, malheureusement, l’attrait romantico-concon de certaines adolescentes pour la figure du « beau ténébreux » dont Twilight représente la dernière étape, la déchéance absolue. Enfin, en tant que fan de cinéma, il serait trop long de lister ce que le vampirisme entretient comme caractéristiques communes avec lui. Il vaut mieux revoir le Dracula de Coppola, où tout y est très bien dit et montré.

Avez-vous d’autres projets à venir sur le sujet ? Quelle va être votre actualité dans les prochains mois ?

Mathieu: Si tout se passe bien, nous devrions sortir notre troisième album, Tocsin, à l’automne chez Debemur Morti. Il s’annonce à la fois comme une certaine suite à Ausserwelt tout en prenant de nouveaux chemins de traverse… Hâte de voir comment il sera reçu !

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