Collectif. Le magazine littéraire n°529 : Le vampire, métamorphoses d’un immortel

Le Salon du Livre 2013 mettant à l’honneur la littérature roumaine, l’occasion était trop belle de ne pas revenir, à l’occasion d’un dossier, sur la créature du bestiaire fantastique qui hante notre conception de l’imaginaire des pays d’Europe de l’Est : le vampire.

Sans tomber dans la facilité, ni dans la superficialité du dernier Lire, le Magazine Littéraire pose d’emblée l’ambiance, avec une couverture de Lorenzo Mattotti, qui croque une scène de prédation dotée d’un vampire plus proche du Nosferatu de Murnau que du Edward de Stephenie Meyer.

Pour le reste, ce sont pas moins de 18 articles (et une interview de Pablo de Santis, le génial auteur de La soif primordiale) qui sont proposés dans ce numéro 529, soit près de 36 pages consacrées aux buveurs de sang. Sachant que ces pages n’ont pas été confiées à d’illustres inconnus, voire à des débutants sur le sujet, vu qu’on y croise des noms comme ceux de Claude Lecouteux, Jean Marigny, Alain Pozzuoli, Jacques Sirgent, Matei Cazacu, ainsi que des auteurs comme Blandine le Callet. De quoi largement apporter du grain à moudre aux plus demandeurs d’entre nous, et assurer une réflexion approfondie sur le sujet.

On commence d’emblée avec Blandine le Callet qui revient sur les prédécesseurs antiques du vampire, essentiellement les stryges, les empuses et autres kères. Un article certes court (c’est toujours le souci avec ce genre de dossiers) mais qui s’avère assez complet pour ce qui est des créatures auxquelles il s’intéresse. Si on retrouve l’incontournable visite d’Ulysse aux enfers de l’Odyssée, l’auteur s’appuie surtout sur les Fastes d’Ovide, même si d’autres textes sont également cités.

Le second article s’intéresse quant à lui à Vlad Tepes. Un article autrement plus intéressant que celui du magazine Lire, orchestré de A à Z par un Matei Cazacu qui a déjà montré sa pertinence sur le sujet. L’article remonte au personnage qui a pu inspirer Stoker, en partant des textes qui ont pu constituer la matière première de l’auteur de Dracula concernant son personnage central. Loin d’être inintéressant, mais malgré tout un goût de trop peu. La lecture du livre de l’auteur sur le même sujet devrait ceci dit contenter ceux qui veulent aller plus loin.

On continue avec nul autre que Claude Lecouteux, qui m’avait déjà enthousiasmé dans son Histoire des vampires. Ce dernier s’intéresse ici à lui à l’hystérie vampirique du 18e siècle, laquelle aura accouché de moults ouvrages incontournables sur le sujet, comme le De masticatione de Ranft, la Dissertation de Calmet (qui pioche dans ses prédécesseurs), etc. Un article à nouveau bref (toujours sur 2 pages), même s’il a le bon goût de se conclure en faisant la liaison avec les découvertes récentes de Venise et de Szopol.

Maialen Berasategui ne s’aventure pas très loin de son prédécesseur, en revenant sur le paradoxe représenté par l’hystérie vampirique en pleine période des Lumières, appuyant notamment les luttes entre encyclopédistes et religieux (Calmet en tête) autour du sujet, et la manière dont le débat de l’époque rejaillira quelques décennies plus tard dans la littérature de fiction.

L’article suivant constitue la première intervention de Jean Marigny dans le dossier. Le spécialiste français de la question revient sur la manière dont on est passé d’une créature de légende et de folklore à une créature de fiction. Sachant que ce passage s’accompagne d’un changement de cadre social, le vampire de fiction prenant dans ses premières incarnations la forme d’un noble. A noter également un encart consacré aux chasseurs de vampires, qui revient sur les plus marquant d’entre eux.

Antonio Dominguez Leiva prend la suite avec un article traitant de l’érotisation du personnage, et les liens qu’entretien la créature avec le genre. L’auteur interroge ainsi la manière dont la fiction joue sur l’articulation entre Eros et Tanathos, indissociable de la figure vampirique. A noter un encart sur la comtesse Bathory signé par Jacques Sirgent, déjà auteur d’un ouvrage sur le sujet, qui revient ici sur cet autre personnage historique indissociable du thème du vampire.

Daniel Sangsue (!) signe ensuite un article sur le vampire de fiction au XIXe siècle, une période où il naquit et connut une première apogée. Une période de richesse littéraire touffue pour les buveurs de sang, notamment en France, où le vampire de Polidori connu une descendance littéraire et théâtrale non négligeable, pour partie sous la plume de Nodier. L’auteur signe en marge de son article un encart assez intéressant sur le pourquoi de l’importance de la figure du vampire à l’époque romantique. D’autres suivirent, comme Dumas, Féval ou Mérimée, se détachant pour leur part du texte de l’auteur irlandais.

L’article suivant est une nouvelle fois signé par Jean Marigny. Ce dernier aborde le cas du vampire psychique, variation parfois laissé de côté par les spécialistes. Le sang y cède la place à la force vitale, voire à d’autres forces de l’esprit (l’inspiration par exemple). Un genre presque à part dans la littérature aux dents longues, qui partage des caractéristiques communes mais offre également plus de libertés à ses auteurs.

L’article suivant est la première intervention dans ce dossier d’Alain Pozzuoli, incontournable spécialiste de Stoker et de son Dracula. L’auteur y revient sur les créatures qui ont influencé la naissance du comte vampire, et les éléments biographiques qui ont sans nul doute joué un rôle dans l’écriture du récit et la description des personnages. Tout en recensant les caractéristiques vampiriques posés par Stoker et qui firent école. L’auteur de l’article poursuit avec un encart sur la vie de Stoker et sur un court article statuant sur la difficulté pour les auteurs et réalisateurs de proposer un personnage aussi emblématique que Dracula.

Richard Somerset prend la suite pour recontextualiser le roman de Stoker, et la lecture qui peut en être faite au regard de la société victorienne. Un article dense, étayé par des passages emblématiques du roman, qui analyse dans le détail les différentes idées concentrées dans le personnage, pour conclure sur la banalisation actuelle de la créature.

Jacques Sirgent intervient ensuite pour détailler certains choix de traduction, l’auteur étant en effet le dernier traducteur en date du roman de Stoker, prenant la suite de Jacques Finné, de Lucienne Molitor et de quelques autres. Une traduction qu’il présente comme plus proche du matériau d’origine, notamment en ce qui concerne les niveaux de langues de chaque personnage, et la mise en valeur d’éléments jusque-là passés sous silence. J’attends cependant de finir ma lecture comparative de ces traductions pour me prononcer de manière plus approfondie le sujet.

Alexis Brocas (qui coordonne le dossier et signait son introduction) poursuit le dossier par un article centré sur les oeuvres américaines qui se sont penchés sur le cas des buveurs de sang, et la manière dont ces derniers apparaissent comme des révélateurs de la monstruosité humaine (plutôt que de cristalliser certaines peurs). Un article étoffé et étayé par de nombreux exemples (chez Lovecraft, Matheson ou King pour citer les plus connus).

Dans la même lignée, Eve Paquette analyse la manière dont la représentation du vampire a changé au fil du temps, depuis la personnification de l’ennemie idéal jusqu’à la finir par mettre en scène une certaine fin de l’autorité établie, et des normes. Un article qui aurait ceci dit mérité de s’appuyer sur des œuvres plus récentes, notamment issues du giron bit-lit.

Clémentine Baron prend la suite avec un article qui s’intéresse aux séries et saga cinématographiques récentes, et la représentation qui y est fait du vampire, depuis le puritanisme de Meyer jusqu’au côté sulfureux de la saga de Charlaine Harris. Pas inintéressant mais un peu léger.

La soif primordiale ayant été un de mes chocs littéraire de 2012, je ne pouvais qu’apprécier de retrouver dans ce dossier une interview de son auteur, Pablo de Santis. L’occasion de lever le voile sur la manière dont il détourne le mythe du vampire dans son roman, et de découvrir que l’homme a une bonne culture du sujet.

Hervé Aubron conclut le dossier par un long article (5 pages) sur la naissance du cinéma vampirique, essentiellement axé sur le Nosferatu de Murnau, son histoire (notamment l’interdiction qui a faillit le faire disparaître à jamais) et la manière dont les buveurs de sang y apparaissent. Un article approfondi, qui replace le film dans le contexte du surréalisme, mais n’aborde les films qui suivirent que de manière parcellaire.

Au final, ce dossier est incomparablement plus intéressant que celui de Lire. Les articles sont bien écrits et aucunement superficiels (même si on peut regretter un goût de trop peu, en raison de leur taille). De quoi contenter aussi bien les néophytes que les connaisseurs, d’autant que les auteurs qui se succèdent maitrisent sans hésitations leur sujet, et ne se contentent pas de banalités.

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