Fuentealba, Jacques. Interview avec l’auteur d’Émile Delcroix et l’ombre sur Paris

Bonjour Jacques. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?

Bonjour, je suis un auteur de SFFF français, avec une forte prédilection pour le fantastique et l’horreur, même s’il m’arrive d’écrire dans le genre de la SF et de la fantasy. J’écris depuis quelques années maintenant – ma première publication en fanzine remontant vers 1995, mais je suis véritablement actif dans le milieu depuis 2005, avec mes différentes collaborations à Borderline puis à Black Mamba. Je me suis découvert un double engouement pour les auteurs de SFFF hispaniques et pour la micronouvelle – certains de ces écrivains en question pratiquant d’ailleurs ce format. J’ai donc traduit quelques-uns de ces confrères et me suis moi-même mis à écrire de la micronouvelle, tout en pratiquant des formats plus conventionnels comme le roman et la nouvelle.

Si Émile Delcroix et L’Ombre sur Paris est votre premier roman mettant en scène un vampire, ce n’est pour autant pas votre premier texte sur le sujet. Pouvez-vous nous parler de la genèse de Vampires en pire et de du recueil La Boîte de Schrödinger, saison 2 ?

Dans Vampire en pire, la section de micronouvelles consacrée à ces bestiaux dans Scribuscules, je me suis amusé à reprendre les caractéristiques du vampire classique tout en essayant de surprendre le lecteur, qu’il s’agisse de mash-up avec d’autres mythes (Charon, Narcisse…) ou d’acceptions inattendues des dons et limitations inhérents à la condition de vampire, telle qu’admise dans l’imaginaire occidental. Il y a aussi quelques short short stories qui portent une critique sociale ou qui égratignent des « vampires » modernes et bien réels profitant de la détresse d’autrui ou de la propension de certains à jouer les victimes.

La Boîte de Schrödinger, saison 2, regroupe en fait des textes écrits sur une période d’une quinzaine d’années au moins. Une section est consacrée au mythe du vampire et propose plusieurs approches de ce personnage légendaire qui, je l’espère, sortent un petit peu des sentiers battus. C’est en tout cas ce que j’avais en tête au moment de me lancer dans la rédaction de chacune des nouvelles de cette section, à différentes époques de ma vie. J’ai toujours considéré l’écriture d’une nouvelle « vampirique » comme étant un exercice périlleux où l’on a bien vite fait de se ramasser sur un écueil. Mais comme je n’ai pas lu ou vu tout ce qui a trait au mythe (quelqu’un l’a-t-il seulement fait ?), je me dois de rester très humble et de dire, « j’ai essayé d’être un peu original, hein, c’est tout, juste essayé ». Je laisse le lecteur seul juge.

Dans « L’Accordeur de Miroirs », j’ai tenté de répondre à la question : pourquoi les vampires n’ont pas de reflet ? Dans « Au sein de vos ténèbres », l’intertexte offre des interprétations, la nouvelle peut se lire différemment, éclairée par La Métamorphose de Kafka. C’est notamment un texte sur l’impossibilité de communiquer, ce moment où un être cher devient un étranger pour soi, puis l’ennemi à abattre, pour sa propre survie.
D’ailleurs pour revenir à l’originalité toute relative dans les textes traitant du vampire, le problème s’est aussi posé au moment de la rédaction de Vampire en pire. On risque très vite de tomber dans un jeu de mots facile, avec ce thème (j’ai sans doute dû en placer un certain nombre, je le confesse !) Alors que je mettais la dernière main à Scribuscules, Vincent Corlaix avec qui je tchatte quotidiennement ou presque me dit, tout plein d’enthousiasme : « Je suis en train d’écrire une série de micronouvelles sur les vampires… » Sans le laisser finir, je lui assénai un : « Je ne veux surtout pas les lire pour le moment ! », histoire de ne pas me retrouver « parasité » par ce qu’il a pu écrire de son côté. On a vite fait de commettre un plagiat involontaire, en lisant et oubliant une micronouvelle, puis en la réécrivant à sa sauce, sans se souvenir de son origine !

Si Émile Delcroix n’est pas un roman uniquement axé sur le mythe du vampire, il lui fait une belle place, notamment via le personnage de Drüssel. D’où vous est venue l’idée de ce roman ?

Émile Delcroix naît d’influences à la fois graphiques et littéraires : couverture du PdE n°48, dont le dossier sur la littérature jeunesse m’a aussi beaucoup « motivé », un certain long métrage de Miyazaki dont je tairais le nom pour éviter tout spoiler, une illustration de Thomas Balard représentant un pendant féminin d’Indiana Jones pour le personnage de Daphné, une nouvelle de Yohan Vasse, « Je rêvais des Fays », dans l’AOC n°4…
Tout cela est tombé plus ou moins en même temps et a servi de déclencheurs à quelque chose qui devait mûrir en moi depuis un moment déjà : je savais que je voulais écrire un roman jeunesse se déroulant dans un Paris steampunk offrant la part belle au merveilleux. Et il fallait que ça soit très coloré, pour changer d’ambiance. Mon dernier roman rédigé, Retour à Salem, était en effet très sombre et sanglant. J’avais besoin que ce soit un feu d’artifice pour moi, quelque chose d’un peu jubilatoire à écrire (et que cela se sente à la lecture, tant qu’à faire). Je voulais notamment que les métaphores puissent se comprendre autant au sens figuré qu’au sens premier. Ainsi, par exemple, quand l’état de mélancolie de Drüssel empèse l’atmosphère de sa grisaille, cela devient palpable pour ceux qui l’entourent.

La représentation du vampire que vous y faites réutilise certains éléments classiques mais en laisse de côté d’autres. De quoi vous êtes-vous inspiré pour mettre sur pied votre propre mythe du vampire ? Faut-il y voir un certain écho des nouvelles précédemment évoquées ?

Les sources d’inspiration exactes ? Bonne question ! Il y a un peu de Dracula dans le personnage, c’est sûr : noble, distingué, avec des manières mais une brutalité bestiale qui ne demande qu’à exploser, issu d’une contrée de l’Europe encore sauvage, dans l’imaginaire de l’époque (par opposition à la « civilisation », j’insiste pour que l’on garde les guillemets, parce que cette notion est toute relative, bien entendu) et dont les habitants sont perçus comme dangereux.

Je tenais à garder ce qui représente pour moi l’une des caractéristiques essentielles du vampire, le fait qu’il brille brûle au soleil. Et l’intarissable soif de sang. Et quelques autres capacités effectivement classiques. Mais dans l’idée, je voulais surtout, au niveau de la psychologie du Drüssel, faire de lui un personnage ambivalent, que le lecteur ne sache pas toujours trop sur quel pied danser avec lui. C’est d’ailleurs un trait de caractère que l’on retrouve chez pas mal de vampires littéraires ou cinématographiques : cette créature engendre tout à la fois pitié et dégoût.

Je n’ai pas pensé Drüssel dans la continuité de ce que j’ai pu écrire ailleurs, du moins pas à un niveau conscient…

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?

Houlà. Ça remonte à très longtemps… Euh. Je ne sais plus si j’ai d’abord lu les chroniques d’Anne Rice ou si j’ai d’abord commencé à maîtriser le JdR Vampire : La Mascarade (en dévorant quasiment tous les suppléments !) Je n’ai lu Dracula que quelques années après. Quelques films m’ont marqué, pour diverses raisons (attention, je ne suis pas un grand cinéphile, je crois que ça va se voir tout de suite, rires !) : Génération perdue pour le traitement intéressant du mythe, Aux frontières de l’aube, pour la même raison, l’idée de mélanger western et film de vampire, les magnifiques images, Entretien avec un vampire… et même La Reine des Damnés, parce que je suis bon public et puis la B.O. est superbe, Une nuit en enfer pour le twist au milieu servi par Salma Hayek et parce que c’est super bourrin, ça lessive le cerveau ! Quoi d’autre ? Le cycle d’Underworld, Vampires de Carpenter, le magnifique La Sagesse des crocodiles, et je crois que c’est à peu près tout. Donc, non, je n’ai pas été baigné par les films de la Hammer dans ma jeunesse ou par Nosferatu le Vampire de Murnau, mais j’ai également la décence de ne pas parler de Twilight, huhu.

La dernière fois que j’ai croisé un vampire… ça devait être dans un épisode récent de Supernatural, sans doute. Une série bien fichue que je suis avec délectation !

Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?

Pour moi, le mythe du vampire touche à l’un des thèmes centraux qui préoccupe l’humanité : l’immortalité. Mais ce n’est pas l’immortalité lumineuse, solaire des dieux, anges et autres créatures célestes. C’est une malédiction ou le fruit d’un vol. On est dans la transgression, on rejoint un type de personnages qui me fascine également, dans ce thème-là, et que j’ai baptisé, faute de mieux, les trompe-la-mort. Ils font d’ailleurs l’objet d’une autre section de la Boîte de Schrödinger saison 2. On a tous dû se dire à un moment, parce que la grande Faucheuse est présente en permanence autour de nous, dans les informations, dans notre entourage, parce qu’elle nous frappera tous un jour ou l’autre, comment échapper à la mort ? Le mythe du vampire propose une échappatoire.
Puis le vampire permet aussi l’exploration fascinante du mythe de l’altérité, de cet autre qui est (comme) nous et qui est monstrueux, tout à la fois. Sa représentation oscille entre séduction et bestialité, avec des incarnations qui vont d’un bout à l’autre de ce spectre selon les auteurs/réalisateurs.

Et c’est un prédateur de la race humaine, avec l’ogre, notamment, il nous renvoie à notre propre animalité, à notre fragilité, à nos limites en nous lançant à la face, comme le fait l’un des monstres de Cabal de Clive Barker au protagoniste du roman/film un terrifiant « Ferme ta putain de gueule. Tu es de la viande ! ».

Ça, la fascinante altérité dont l’on vient de parler et son immortalité sont sans doute quelques-unes des raisons qui expliquent sa pérennité.

Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?

Je devrais, si l’alignement des étoiles le permet un jour, publier un recueil de micronouvelles intitulé Le Micronomicon, comprenant 666 micronouvelles humorrifiques. Une section dudit recueil est consacrée aux chasseurs de monstres et revient donc notamment sur le mythe des buveurs de sang.

J’ai aussi quelques short short stories sur ce thème dans un autre recueil à paraître, une réédition augmentée : Invocations et autres élucubrations.

Je voulais un moment écrire un roman qui se déroulerait à notre époque et reprendrait les origines mythiques du vampire telles qu’imaginées dans ma nouvelle « L’Accordeur de Miroirs », mais je ne sais pas quand j’aurai le temps de m’y mettre. D’autres projets m’occupent l’esprit. Je souhaiterais écrire une nouvelle sur les thèmes de l’image de soi, de l’anorexie, du miroir et du vampire, en jouant sur les mécanismes du fantastique classique : y a-t-il vraiment un vampire ou pas dans cette histoire ? se demanderait le lecteur, mais il faut encore que je trouve le bon angle (et le temps, mais ça c’est une autre histoire !) Et j’ai un petit texte, là, « Des rats et des hommes » racontant l’histoire d’un chasseurs de vampire qui assainit des villes entières de cette vermine vivant dans les égouts et souterrains, comme le ferait un dératiseur. Ce serait bien que je termine un jour. Il oscille entre micronouvelle longue et nouvelle tout court, et c’est la première fois que je me trouve un peu embêté et entravé par les mécanismes de l’un ou l’autre de ces formats : en l’état, le texte est peut-être un peu trop concis, contient un peu trop d’ellipses et de raccourcis si je veux en faire une nouvelle un peu plus longue. Il faudrait que je voie tout cela à tête reposée.

J’avais aussi l’idée d’une nouvelle intitulée « À feu et à sang » qui raconterait l’histoire d’un chasseur de vampire particulier (un des martyrs de l’univers de Retour à Salem) qui deviendrait vampire et s’attaquerait de l’intérieur à la société de ses anciens ennemis devenus congénères. Là aussi, tout est question d’angle d’attaque et de temps.
Au niveau de mes prochaines sorties, puisque l’on parle de Retour à Salem, le second tome devrait sortir en juin. C’est un roman présentant le destin de certains descendants des sorcières de Salem au XXe siècle, et qui est 100% vampire free, et pourtant au niveau des ambiances et des intrigues, il n’est pas sans rappeler l’univers de Vampire : La Mascarade.

Sinon, je sors tout prochainement un roman chez Malpertuis, L’Antre du diable, faisant suite au Cortège des fous (qui lui-même va ressortir en numérique chez Walrus) mais pouvant être lu indépendamment.

J’aimerais plancher cette année sur la suite des aventures d’Émile Delcroix, qui se dérouleraient dans la baie de Venise. Pas de Drüssel (ou autre buveur de sang) au casting normalement, mais il reviendra dans un prochain tome… À suivre donc, même si ce n’est pas pour tout de suite !

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