Deux couples de touristes anglais en vacances dans les Carpates prennent la décision de voyager jusqu’à Carlsbad, contre l’avis du père Sandor qui leur a pourtant enjoint d’éviter cette destination, et son château de sinistre réputation. Laissés par leur cocher effrayé à la croisée des chemins, les quatre héros voient soudain apparaître une calèche sans conducteur. Alors qu’ils envisagent d’utiliser l’attelage pour poursuivre leur route, les chevaux les amènent contre leur gré au château. Sur place, ils ont la surprise de découvrir que leurs bagages ont été installés dans les chambres, et qu’un souper les attend. Le mystérieux Klove, seul habitant des lieux, finit par se présenter à eux en annonçant respecter les dernières volontés de son maître, feu le comte Dracula.
Si le Cauchemar de Dracula a été chroniqué il y a de nombreuses années sur Vampirisme.com, trop peu de films aux dents longues de la Hammer se retrouvent sur les pages du site. C’est pourquoi c’est avec un intérêt certain que j’ai sauté sur l’occasion de voir ce deuxième opus draculéen du célèbre studio anglais, à l’occasion d’une soirée thématique des Épouvantables Vendredi. Suite tournée près de dix ans après le premier long-métrage, Christopher Lee ayant rechigné à reprendre jusque-là la cape, Dracula Prince des Ténèbres n’en est pas moins une très belle réussite, représentative de la Hammer. On retrouve avec plaisir l’ambiance gothique du premier volet, avec toujours le château du comte comme point d’orgue. Le film est cependant très différent du premier opus, car le comte en est absent de plus de la moitié. En résulte une atmosphère très pesante, appuyée par la partition de James Benard, qui nous amène peu à peu vers le moment inéluctable. Les quelques notes du thème de Dracula qui s’invitent alors que rien de surnaturel n’a été montré à l’écran ne font qu’annoncer ce qui va se dérouler : le comte va revenir d’entre les morts.
Bâtie autour d’un script établi près de dix ans auparavant, et retravaillé entre-temps, cette suite renoue avec le premier film, après l’interlude Les Maîtresses de Dracula (1960), du même Terence Fisher. La patte Hammer est bien présente, que ce soit à travers les décors et paysages gothiques chers au studio, un Christopher Lee habité par son personnage, et un moine chasseur de vampire qui parvient honorablement à prendre la succession de Peter Cushing. La réalisation est toujours aussi efficace, magnifiée par une introduction qui met d’emblée en scène le père Sandor dans son rôle de spécialiste ès vampirisme. Le reste du casting ne démérite pas, chacun des acteurs participant à la réussite du projet, en faisant preuve d’une conviction certaine. Les amateurs du studio retrouveront également le couple Éros et Tanathos qui traverse toute la production de la Hammer, représenté ici par le duo des deux jeunes femmes pour la touche féminine, et par quelques passages où le sang coule abondamment pour la part d’horreur.
Une grosse nouveauté à noter, en plus de l’absence de Dracula pendant une partie importante du film : l’absence de dialogue du vampire, qui permet au réalisateur de se rapprocher d’un des ressorts majeurs du livre original, où le comte est le seul à ne pas être narrateur. Dracula apparaît ici comme un monstre mû par ses instincts qui n’a vraiment plus rien d’humain, hormis son enveloppe charnelle. Il est d’ailleurs bon d’appuyer sur la volonté du studio de se rapprocher davantage du roman de Stoker, même si la trame est totalement différente. Ludwig figure ainsi Renfield, Diana a de gros points communs avec Mina, Ludwig est un décalque de Renfield, etc. De quoi justifier ce qu’annoncent les écrans-titres : on est bien dans la continuité de l’œuvre de Stoker, mais il ne s’agit pas de l’adapter fidèlement. En plus des éléments déjà cités, comment ne pas penser au roman lorsque Dracula s’ouvre le torse, enjoignant (de force) Diana de s’abreuver de son sang ? À noter qu’on peut déceler un écho du premier volet dans ce que dit Charles à Sandor, après que ce dernier les ait sauvés lui et Diana : il a compris qu’il avait affaire à un vampire. Dans le film de 1958, si Harker feignait de se mettre au service du comte, c’était en réalité pour se faire l’exécuteur de celui-ci.
Dracula, puis une de ses victimes, incarnent donc les vampires présents dans cette suite. Le scénario permet de fixer sur pellicule la résurrection du vampire, qui a besoin du sang d’un être humain pour reconstituer son corps réduit en cendre. Le comte convoque par ailleurs son pouvoir d’hypnose à de nombreuses reprises, de même que son importante force physique. Quant aux moyens de détruire ou repousser les vampires, si on a droit aux classiques pieux et crucifix (et si l’ail s’avère peu efficace), les scénaristes ont en plus eu recours à une caractéristique peu utilisée dans les œuvres du genre : l’impossibilité pour un vampire de traverser une eau vive. La seule morsure de Dracula (les vampires possèdent ici de longues canines) semble enfin à même de transformer un être vivant en vampire, si elle n’est pas assez bénigne pour être cautérisée.
Un film qui prend avec brio la suite de ses prédécesseurs, et confirme que la Hammer a fortement influencé la représentation gothique du vampire au cinéma à partir de cette époque. Une réussite, tant sur le plan des images que du scénario ou de la bande-son, qui a contribué à faire de Christopher Lee un des interprètes les plus marquants du comte, et de Terence Fisher un véritable génie du genre fantastique au cinéma.


