Koudero, Mickaël. La Faim et la Soif

Autrefois journaliste d’investigation, Raphaël Bertignac est tombé au fond du trou depuis que sa femme et sa fille sont parties vivre aux États-Unis. L’ancien directeur de journal travaille désormais pour une entreprise spécialisée dans le nettoyage de scènes de crimes et suicides. À l’occasion d’une mission, il découvre que la victime, âgée d’une vingtaine d’années, a laissé derrière elle des papiers griffonnés d’un unique mot : Nosferatu. Étrange, par ailleurs, de chercher à s’entailler les veines à l’aide d’un crucifix, et de vouloir s’arracher les yeux avant de passer à l’acte. Sa curiosité titillée, Raphaël va peu à peu se laisser happer par son enquête. De Paris à Prague, puis aux forêts de Roumanie, il va descendre au plus profond de l’horreur, et se confronter au passé de la Roumanie de Ceaucescu, et sa Securitate de sinistre réputation.

Thriller (voire récits policiers) et vampires font bon ménage depuis quelques années. D’Un Lieu Incertain de Fred Vargas à La Soif de Jo Nesbø, le roman policier est sans doute le plus à même de tirer profit de ce que représente la figure du buveur de sang. Nombre de criminels ont été affublés du sobriquet de vampire au fil des ans (depuis Peter Kürten, le Vampire de Düsseldorf), traduisant l’obsession pour le sang au cœur de leurs exactions. Sans compter que depuis Dracula (voire Carmilla), la figure du chasseur se confond pour beaucoup avec celle de l’enquêteur.

Mickaël Koudero, dans La Faim et la Soif, convoque à son tour la thématique du vampire. Les premiers pas du personnage de Raphaël Bertignac dans l’investigation qui finira par le mener en Roumanie se font sous le patronage d’un mot lourd de sens : Nosferatu. De fait, l’auteur ne tombera pas dans le surnaturel (même s’il se pique de certains éléments à la lisière de l’anticipation), mais instaure un jeu constant avec le thème du vampire. La sous-culture vampyre aura ainsi une belle place dans l’intrigue, autant que l’idée que Ceaucescu et sa garde rapprochée puissent avoir été des vampires. De quoi finir par donner le nom de Nosferatu aux hommes de la Securitate, la police politique qui a maintenu le pays dans une poigne de fer sous le règne du Conducator. Et finalement, l’auteur intègre les rangs de ceux qui font du vampire de fiction un étendard, et montrent que la réalité est souvent bien plus inavouable que l’imaginaire.

Les premiers chapitres sont très froids, plongés dans une certaine apathie qui rentre en résonance avec le marasme dans lequel se trouve le protagoniste principal. Peu à peu, au fur et à mesure qu’il se laisse emporter par la succession d’événements et de rencontres qui le mèneront à la vérité (mais à quel prix), Raphaël semble reprendre vie et retrouver ses réflexes d’antan. Il est à nouveau touché par ce qu’il voit, par l’horreur dans laquelle il a décidé par lui-même de replonger, faisant fi des dangers malgré les avertissements de celui qui se révélera être le but de sa longue quête. Pour le coup, le style colle de près au personnage, à son évolution, et cisèle au cordeau l’intrigue en entremêlant les éléments de réalité et de fiction, l’idée d’un marché parallèle ouvert aux criminels comme la difficulté d’un pays à accepter le poids de son passé. Si je m’attendais sans commencer ma lecture à découvrir un récit flirtant avec Les Fils des Ténèbres de Dan Simmons, Koudero ne s’en approche que par certains éléments retenus. Sa direction est toute autre. Il ne cherche aucunement à moderniser la figure du vampire, mais bien à montrer à quel point celle-ci fait désormais partie du quotidien, débarrassée de ses oripeaux surnaturels. L’image disparaît, seul subsiste le sens qu’on voulait lui donner. La réalité se substitue au sous-texte de la littérature et du cinéma.

Assez dérangeant, jamais ennuyeux, ce roman de Mickaël Koudero joue de manière beaucoup plus récurrente avec la figure du vampire que ce à quoi je m’attendais. Une bonne surprise.

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