Villarroel, Gilberto. Zona Cero

Alors qu’il est sur la côte chilienne pour couvrir une compétition de surf, Gabriel reçoit un appel de Sabine, qui lui annonce qu’elle est enceinte. Au même moment, un tremblement de terre d’une magnitude élevée se fait ressentir sur une partie du pays. Gabriel a juste le temps de dire à sa compagne de rester où elle est avant d’échapper à un tsunami. Le journaliste à tôt fait de réaliser que quelque chose d’autre se déroule à Santiago du Chili. Déterminé à sauver la future mère de son enfant, il décide de retourner la chercher. Stoppé par l’armée américain, il se voit forcé de faire un pacte avec une vieille connaissance à lui, un capitaine habitué des zones de combats. Il doit guider ce dernier et deux de ses hommes jusqu’à la Cathédrale de l’Assomption, au cœur de la capitale, d’où ils doivent exfiltrer un VIP. Dès sa première confrontation avec ce qui se passe sur place, Gabriel doit se faire une raison : la population a subi de plein fouet ce qui s’apparente à un virus. Tous se sont entre-mordus, devenant des créatures instinctives, obsédées par le sang et repoussées par la lumière.

Gilberto Villarroel est un réalisateur et auteur chilien qui s’est fait connaîtrez chez nous grâce à la saga des Lord Cochrane, débutée en 2016 (2022 pour la VF) avec Cochrane vs Cthulhu. La série mêle la mythologie lovecraftienne et le récit maritime napoléonien, l’écrivain convoquant ses origines chiliennes avec le tome 2, Lord Cochrane et le trésor de Selkirk, qui débute également par un tremblement de terre. Mais là où les Cochrane se situent dans un passé plein d’aventure et épique, Zona Cero est un livre qui se veut contemporain et brutal. En termes de narration, on est ici dans un roman survivaliste et vampirique dans la veine du The Strain de Guillermo del Toro et Chuck Hogan. La tension va crescendo, et le désir de survivre se heurte à la violence des événements. Villarroel évite néanmoins un certain nihilisme, diluant une note d’espoir tout au long du texte. Déjà par l’idée de cet enfant à naître, mais aussi au travers de protagonistes comme les mineurs, qui ont la rage chevillée au corps.

Au-delà de cette première strate qui flirte avec le cinéma d’action d’un John Carpenter (ce qu’amplifie la psychologie des personnages), l’auteur se livre à une exploration des plaies vites et mal refermées qui secouent encore aujourd’hui le Chili. Les manœuvres de l’armée américaine, la place trouble de l’Église catholique, une oligarchie boursouflée qui dissimule difficilement ses accointances passées avec le nazisme. À ce titre, les nantis croisés par les protagonistes lors de leur entrée à l’étage supérieur du Valhalla (le nom de l’immeuble n’est sans doute pas anodin) sont pour le moins représentatifs. D’autant que les personnages comprennent vite que pour ces nantis, l’identité du vampire original n’est pas une surprise. De quoi matérialiser une connivence entre les différentes factions qui œuvrent dans l’ombre. L’idée même d’un mal ancien qui s’échappe du sous-sol de la ville cristallise les dangers d’une société qui digère trop rapidement — et bien souvent uniquement en apparence — ce qui la mine. Mais Gilberto Villarroel ne fait pas qu’exposer au grand jour les douleurs du Chili actuel. On sent l’amour de l’auteur pour son pays transparaître au fil des pages, particulièrement quand Gabriel se voit confier le rôle de guide dans les rues de Santiago. Derrière le personnage du journaliste, qui paraît poser un regard informé et objectif sur les lieux, se dessine l’attachement de l’écrivain pour sa terre natale, envers et contre tout.

Les vampires sont les antagonistes principaux de Zona Cero. La manière dont se propage le mal revêt une dimension épidémiologique, à partir du moment où le patient zéro (comme il est nommé dans le livre) parvient à s’extraire de sa prison souterraine. L’identité de ce vampire est paré d’une certaine logique, mais est à mes yeux l’une des faiblesses du roman, en cela que sa présence sur place n’est jamais clairement éludée. Son âge (il a plus de 500 ans) explique les différences entre lui et les plus jeunes infectés. Quand il est capable de léviter, élaborer des stratégies complexes et dispose d’un pouvoir de régénération hors du commun, les nouveaux vampires ne sont guère plus que des zombies. La morsure a un effet physiologique sur le corps des victimes, dont la dentition mute. Le patient zéro paraît davantage en capacité de supporter la lumière du soleil (dans une certaine limite), mais les jeunes vampires ne peuvent survivre sous ces rayons. Tous sont cependant sensibles à l’eau bénite et aux artefacts religieux. On peut enfin mentionner l’idée que ces créatures sont douées de télépathie, les informations étant transmises au plus ancien d’entre eux, qui peut donner ses ordres à la masse.

Le mélange entre histoire chilienne et vampires a récemment donné lieu au film El Conde (2023) de Pablo Larraín, qui explorait déjà certains aspects abordés dans Zona Cero. Tout particulièrement l’influence de l’Église, et la difficulté de panser les blessures du régime de Pinochet. Le livre de Gilberto Villarroel est une proposition un peu différente, un page-turner qui a les atours d’un post-apo sous cloche tout en usant de la situation pour souligner les incohérences et lésions de la société chilienne actuelle. Et en même temps un roman d’espoir, qui montre que la résilience de ceux qui sont en bas de l’échelle est encore bien là.

Villarroel, Gilberto. Zona Cero

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