Collectif, présenté par Jacques Finné et Jean Marigny. Elles reviennent… histoires de femmes vampires

Après Les Femmes vampires (José Corti, 2010) et Histoires de Femmes Vampires (Terre de Brume, 2019), le duo Jean Marigny et Jacques Finné propose une troisième anthologie consacrée à la figure de la femme vampire. Précédés d’une introduction d’Alain Pozzuoli (un autre nom connu des amateurs de bêtes à crocs), les différentes nouvelles qui constituent cette anthologie ne sont, à nouveau, pas tous des inédits. Pour autant, les notices biographiques en fin de livre, et la postface des deux auteurs, donnent une cohérence à des textes disponibles jusque-là de façon plus éparse (et pour certaines il y a plusieurs dizaines d’années).

« La beauté de la vampire » (« the beauty of the vampire », 1896) d’Arabella Kenealy est le premier récit sélectionné par les deux co-directeurs d’ouvrage. De fait, il s’agit d’un texte retraduit par Jacques Finné qui figurait déjà au sommaire d’une anthologie intitulée Les proies de la vampire et autres histoires fantastiques (également publié chez Terre de Brume, mais dans une autre traduction). Une nouvelle intéressante, en cela qu’il délaisse l’imagerie classique du vampire pour flirter avec un certain vampirisme psychique. On est ici pas très loin du Sang du Vampire de Florence Marryat, ou du « Good Lady Ducayne » de Mary Elizabeth Braddon. On pense beaucoup à ce dernier écrit, dans l’idée de cette femme qui épuise son personnel, et semble y puiser une forme d’éternelle jeunesse. Il y a également une certaine cruauté dans ce texte : d’un côté celle de Lady Devirish avide de prolonger son existence au mépris de la vie d’autrui, de l’autre la ruse de l’infirmière, décidée à juguler pacifiquement le problème. Un duel de femme où les hommes apparaissent soit comme des victimes (les fiancés de la lady) soit comme des intervenants manquant de finesse.

« Le Mausolée du Père Lachaise » (« Das Grabmal auf dem Père-Lachaise », 1913) de Karl Hans Strobl renoue avec des aspects plus classiques de la figure du vampire. Comme le rappellent les auteurs en postface, l’un des intérêts du texte est de partir d’une légende rattachée au cimetière de Paris, qui veut qu’une aristocrate y étant enterrée ait laissé derrière elle un étrange testament. Le récit a également inspiré Jean Ray pour son «Gardien du cimetière ». À noter une communication de Stéphanie Sauget autour de la genèse de cette légende et ses nombreuses ramifications. Le texte met en scène un scientifique qui décide de tenter l’aventure (être enfermé pendant un an dans le tombeau pour espérer hériter de la comtesse). Strobl confronte ainsi le rationalisme initial du protagoniste avec la présence du surnaturel. Les origines slaves de la propriétaire de la tombe paraissent dans le même temps faire le lien avec le vampire de folklore. Enfin, il y a une certaine cruauté dans cette nouvelle, autant par l’idée que le personnage central puisse se retrouver prisonnier du mausolée que par la folie qui finit par s’emparer de lui. Là aussi, il ne s’agit pas d’un inédit, « Le Mausolée du Père Lachaise » figurant déjà au sommaire de Trois saigneurs de la nuit, tome 2, deuxième volet d’une anthologie publiée par les deux directeurs d’ouvrage en 1986 (dans une traduction identique par Felicitas Spuhler).

« Mrs Amworth » (1923) de E. F. Benson est un récit qui avait été intégré dans le recueil La Chambre dans la Tour, composée par Jacques Finné autour d’une sélection de textes de Benson. On y retrouve l’idée du village anglais isolé récurrent dans l’œuvre de son auteur. Si l’approche du vampire est l’une des plus classiques (elle laisse des morsures sur ses victimes), l’origine de la créature est plus surprenante : l’Inde. Benson fait allusion aux racines folkloriques de la créature, mais convoque dans le même temps des caractéristiques issues de la fiction (la capacité de se transformer en chauve-souris, notamment). Il a également l’idée de la transmission du vampirisme, et le lien entre le vampire et les épidémies, comme la peste. Difficile enfin de ne pas apprécier l’ambiance de campagne anglaise chère aux histoire de Benson.

« Le Canal » (« The Canal », 1927) d’Everil Worrell est un des premiers textes vampiriques publiés dans la revue Weird Tales, en décembre 1927. Il s’agit de la traduction de Jacques Finné déjà présente dans l’anthologie Trois saigneurs de la nuit, tome 2 (1966). La femme vampire y évolue dans un cadre contemporain, mais elle a tous les atours du vampire de fiction classique. Un pouvoir d’attraction sans égal, l’incapacité à se mouvoir le jour, et la nécessité de boire du sang. Pour autant, le récit met surtout en lumière l’une des caractéristiques les moins utilisées dans les textes du genre : l’impossibilité pour le vampire de traverser l’eau courante. D’un point de vue plus métaphorique, la nouvelle joue également sur l’opposition entre le monde urbain, lumineux et rassurant, avec les extérieurs, où l’angoisse jaillit à chaque instant.

« Les Liens du Sang » (« The Brotherhood of Blood », 1932), dans une traduction de Jacques Finné, a initialement été publié dans le recueil La Femme de Marbre, chez Néo. Jacques Finné avait mis en lumière d’autres écrits aux dents longues de Cave, dans l’anthologie Celles qui attendent (« Stragella », « Murgunstrumm » et « Le ronronnement du chat »). Le présent texte plonge le lecteur dans les méandres d’une malédiction vampirique qui suit une famille française depuis déjà de nombreuses générations. La dernière survivante de sa lignée, une femme de 27 ans, est persuadée d’être condamnée à se transformer en une créature buveuse de sang à son vingt-huitième anniversaire. Dans le même temps, ce n’est pas elle la narratrice, mais un spécialiste du surnaturel qui semble devenu lui-même vampire. Sa prise de parole, en début de nouvelle, le rapproche de ces vampires malgré eux de Robert Bloch (« Brother of the Bat») et Henry Kuttner (I, The Vampire»), mais c’est également le cas de la jeune femme dont la place est centrale dans le récit.

« Princesse des Ténèbres » (« Princess of Darkness », 1940) a été exhumé par Richard Dalby dans son anthologie Dracula‘s Brood. C’est là sa première traduction en français, réalisée par Jean Marigny. Frederick Cowles, l’auteur, a écrit plusieurs textes courts autour de la figure du vampire. Celle-ci renoue avec le vampire venu de Transylvanie, sachant que l’ombre de la Comtesse Bathory plane sur certains aspects du personnage. La femme-vampire ici mise en scène est une aristocrate qui apparaît de manière récurrente à Budapest, avant de se terrer durant de longues périodes dans un château en ruines. On retrouve l’idée de la séduction du vampire (les victimes sont de jeunes hommes qui tombent sous le charme de la comtesse), celle-ci ne se nourrissant que de sang. L’auteur joue également avec le thème du pouvoir des artefacts religieux face aux vampires. Ces derniers disposent de certaines capacités, comme celui de se métamorphoser en certains animaux. La décapitation semble le moyen le plus sûr d’en venir à bout.

« Le Napperon » (« The Antimacassar », 1949) de Greye La Spina est un des autres textes inédits du recueil, traduit par Jean Marigny. Ce n’est pas le premier récit de l’autrice sur le sujet, « Fettered » (1926) ayant été publié en quatre parties, dans Weird Tales (comme « The Antimacassar », publié quant à lui dans le numéro de mai 1949). L’héroïne va y faire face à une enfant vampire, que sa mère n’est plus capable de rassasier seule. Il y a également l’idée (surprenante) que les fleurs de chèvrefeuille repoussent le vampire. La nouvelle se focalise autour de Lucy, qui succède à Cora Kent, laquelle a disparu. Au fil des jours, la jeune femme comprend qu’une menace pèse sur son existence, et qu’elle pourrait bien être prisonnière des lieux.

« La ville d’argile » («Clay City », 1975) de Seymour Brillioth est donc le dernier récit à être intégré dans le recueil. L’auteur est un mystère : on doit sa découverte à Jacques Finné, qui en a traduit plusieurs nouvelles et un roman. Dans un registre beaucoup plus poétique (les deux anthologistes parlent de poème en prose), le nouvelliste s’empare de la figure de la succube. Le vampire y devient une incorporation des souvenirs du protagoniste, par l’entremise d’un masque d’argile. Le texte convoque la teneur érotique de la fiction vampirique, jouant sur la métaphore du rapport sexuel qu’incarne la morsure. Réel et imaginaire se confondent et se succèdent, proposant des tableaux où évolue le héros.

Au final, cette troisième livraison autour de la figure de la femme vampire ne démérite pas vis-à-vis des précédentes. À la rigueur, la seule chose que serait en droit de reprocher le lecteur connaisseur a trait au manque d’inédits de cette troisième anthologie. Une bonne partie des textes a déjà été publiée en français, même si on peut objecter la difficulté de les trouver aujourd’hui (notamment les nouvelles tirées de Trois saigneurs de la nuit). Sachant que la postface et les notices biographiques complètent de manière intéressante les nouvelles. Au final, on ne peut nier l’intérêt des récits présentés ici, qui offrent à explorer les richesses de la production anglo-saxonne en matière de femmes vampires.

Collectif, présenté par Jacques Finné et Jean Marigny. Elles reviennent... histoires de femmes vampires

3 réponses à Collectif, présenté par Jacques Finné et Jean Marigny. Elles reviennent… histoires de femmes vampires

  1. Mikaël dit :

    Merci beaucoup pour cet article très intéressant qui m’a fait découvrir le travail de Jean Marigny et Jacques Finné, ainsi que la maison d’édition Terre de Brume qui propose de nombreux ouvrages très intéressants sur le sujet vampirique.
    En faisant quelques recherches sur ces anthologies, je suis tombé sur l’ouvrage « Femmes Vampires – Anthologie de nouvelles présentée par Pierre Ripert », chez In Edit Editions. (ISBN-10: 2360920081
    ISBN-13: 978-2360920082)
    Connaissez-vous cet ouvrage ? Qu’en dites-vous ? Est-il intéressant et conseillé ?
    Merci d’avance pour vos éclairages !
    Amitiés.

  2. Mikaël dit :

    Merci beaucoup pour cette réponse !

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