Caussarieu, Morgane. Je suis ton ombre

Au Temple, petit village perdu du Sud-Ouest, Poil-de-carotte vit seul avec son père handicapé. Souffre-douleur des plus âgés de sa classe, la vie du jeune garçon va prendre un tournant lorsqu’il met les pieds dans une ferme incendiée dont il ne reste que des ruines. Rapidement effrayé par l’ambiance qui règne dans les lieux, il s’empare rapidement d’un journal intime avant de repartir en catastrophe chez lui. Tout d’abord curieux, il finit par ne plus parvenir à lâcher le journal, qui raconte le destin de deux jumeaux de la Nouvelle-Orléans, à l’époque de l’esclavage et des plantations.

Avec comme pedigree Dans les veines et son essai Vampires et bayous, Morgane Caussarieu commence à faire parler d’elle dans le monde du fantastique. Si j’avais déjà eu l’occasion de me pencher sur son essai très complet (qui explore un versant riche mais pour autant peu exploité en non-fiction jusque-là : la Nouvelle Orléans comme plaque centrale de l’imaginaire vampirique), je n’avais encore jamais eu l’occasion de me plonger dans la prose fictionnelle de l’auteur. Et je le regrette d’emblée au vu de l’ambiance de cette pas-tout-à-fait-suite à son Dans les veines.

On y suit le parcours d’un jeune garçon qui vit dans l’ombre du décès de sa mère et de son frère, auprès d’un père qui n’a de cesse de lui reprocher ce qui est arrivé. Passablement dérangé, pas franchement apprécié de ses camarades d’école, Poil-de-carotte (comme on le surnomme) va voir son destin croiser celui de Gabriel, un enfant qui a vécu au XVIIIe siècle, à l’époque des plantations de Louisiane… mais dont l’emprise semble se raffermir au fur et à mesure que le jeune antihéros se plonge dans ses mémoires.

Morgane Caussarieu possède une plume à la fois incisive et instinctive, capable de donner vie à des scènes particulièrement retorses tout en suscitant l’attraction irrépressible du lecteur, immanquablement fasciné par la cruauté malsaine de certaines situations. Certes, on peut arguer que certaines influences splatterpunk sont encore fortement présentes (la suscitée Poppy Z. Brite en tête), mais l’auteur injecte peu à peu sa propre personnalité à sa plume, et se pose quoi qu’il en soit comme une créatrice dérangeante qui parvient à donner vie à une galerie de personnages aussi malsains qu’humains, dont elle aborde le quotidien, les aspirations comme les actes de manière frontale, sans fioritures.

Le mythe du vampire est une nouvelle fois à l’honneur dans ce nouveau roman. Si les protagonistes du récit enchâssé citent l’affaire Plogojovitz lors de leurs premières confrontations avec les créatures buveuses de sang (preuve, s’il en était besoin, que l’auteur connaît son sujet), la mythologie ici mise en œuvre s’affranchit aussi des codes classiques, en allant chercher l’origine du mal quelque part en Afrique. Et en faisant du vampire une entité qui craint certes le soleil, mais dont il est complexe de s’approprier les pouvoirs. Une créature qui n’en a pas moins besoin de sang pour survivre, et prend goût à infliger la souffrance.

Un roman noir, d’où ne surnage que très peu d’espoir, tout en déclenchant la fascination de son lecteur, devant le sens de la mise en scène (malsaine) de l’auteur, qui parvient à obliger par sa plume le lecteur à faire face à la crudité de certaines scènes, et la violence (psychologique tout autant que physique) de ses personnages. Sulfureux et jouissif à la fois.

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