Braddon, Mary Elizabeth. La bonne Lady Ducayne

Bella Rolleston vit seule avec sa mère, une lady sans le sou ayant fait un mauvais mariage. Alors que les deux femmes survivent en faisant des travaux de couture, Bella se persuade qu’elle pourrait améliorer leur quotidien en devenant demoiselle de compagnie. Si le peu de qualifications de la jeune femme et son ingénuité fait grincer des dents la directrice de l’agence de placement, celle-ci finit contre toute attente par lui trouver un poste. Il s’agit d’accompagner Lady Ducayne, l’une de ses clientes les plus réputées, durant un périple en Italie. Bella, extatique à l’idée de voir le monde, accepte, d’autant que les gages ne sont pas négligeables. De façon surprenante, la seule chose qui paraît intéresser son employeuse est sa santé.

« The Good Lady Ducayne » (le titre original) est une nouvelle initialement publiée en 1896, soit un an avant Dracula, dans les pages du Strand. Rapprocher les deux textes est une évidence, d’autant que les deux auteurs se connaissaient, et que Mary Elizabeth Braddon a fait les louanges de Dracula à Bram Stoker. Elle lui écrit en effet une lettre le 23 juin de la même année (à peine un mois après la sortie de Dracula), mentionnant son propre récit comme une autre « petite histoire de transfusion ». La nouvelle a mis longtemps a être redécouverte, déjà par Leslie Sheppard dans son The Dracula Book of Great Vampire Stories (1977), puis par l’incontournable Richard Dalby dans son Dracula’s Brood. À noter que le personnage possède une (petite) fortune littéraire : il apparaît (certes en passant) dans le premier Anno Dracula de Kim Newman, aux côtés de Sarah Kenyon (personnage tiré de la nouvelle « The Tomb of Sarah » de F. G. Loring, publiée en 1900) et de la Comtesse Zaleska (La Fille de Dracula de Lambert Hillyer, sorti en 1936).

L’histoire est ancrée dans son époque, avec cette idée d’un voyage sur le continent. On retrouve également un intérêt pour les thèmes médicaux, et une certaine opposition entre connaissances d’un autre âge (l’alchimie) et science moderne. Et dans le même temps, il s’agit d’un texte qui met en lumière ses femmes : Bella, la protagoniste principale, et Lady Ducayne, figure centrale du récit. Cette dernière permet à Bella de s’extraire de sa condition et de son quotidien morne, mais tout cela paraît avoir un prix : celui de son sang. L’histoire est ancrée dans le réel, et peut difficilement être considérée comme surnaturelle.

Le mot vampire apparaît une seule fois, quand le médecin de Lady Ducayne fait croire à Bella que la plaie qu’elle porte sur elle est l’œuvre d’un moustique. Reste que la découverte de cette blessure et son emplacement rappellent les marques du vampire, même si ici c’est le fait d’instruments bien humains. L’idée que le sang de la jeune femme soit prélevé pour assurer à la vieille dame sa longévité lorgne vers la fiction vampirique, et une figure comme celle de la Comtesse Bathory. Il y a également la langueur qui touche progressivement Bella, qui fait penser à la situation de Lucy dans Dracula. Mais Lady Ducayne n’agit pas seule : c’est son médecin qui effectue l’acte.

« The Good Lady Ducayne » de Mary Elizabeth Braddon est un récit vampirique représentatif des aspirations et thèmes de son époque. Il y a là le motif des femmes qui cherchent à s’extraire de leur condition et sont remises à leur place par l’ordre établi et les privilégiés. Lesquels ne se soucient pas des implications de leurs actes : seul compte pour eux de perpétuer leur existence. Un texte à la lisière des genres, assez emblématique de l’esprit fin-de-siècle et d’un certain changement des paradigmes. Assurément un immanquable pour ceux qui s’intéressent à la construction du motif vampirique en littérature.

Braddon, Mary Elizabeth. La bonne Lady Ducayne

Illustration originale du texte, lors de sa publication dans le Strand Magazine en 1896

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