Garton, Ray. Interview avec l’auteur d’Extase Sanglante

Bonjour M. Garton. Pouvez-vous vous présenter pour les visiteurs de Vampirisme.com ?

Je suis écrivain, auteur de plus de 60 romans, novellas, recueils de nouvelles, novélisation de films et autres textes sous licences. La plupart relèvent du genre horrifique, même si j’ai aussi écrit des récits policiers et de suspense, voire même des choses plus humoristiques. Mon œuvre la plus connue est toujours mon roman de vampire sorti en 1987, Extase Sanglante. Environ quinze ans après, je l’ai complété d’une suite, Night Life, qui déporte l’action de New York à Los Angeles, où les vampires officient dans le monde du film pour adulte. Night Life introduit deux personnages qui sont apparus dans plusieurs de mes autres livres : Karen Moffett et Gavin Keoph, deux détectives privés engagés par le célèbre écrivain d’horreur Martin Burgess, pour enquêter sur des affaires qui semblent liées au surnaturel.

En 1984, vous publiez votre premier livre, Séductions. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce texte, et pourquoi vous avez opté pour un thème quasi vampirique ? Avez-vous été influencé par des ouvrages ou films particuliers au moment où vous avez imaginé la créature principale ?

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase SanglanteJe ne pense pas que Séductions puisse être considéré comme un roman vampirique. Il raconte l’histoire de créatures non humaines qui hibernent sur de très longues périodes. Quand ils sortent de leur torpeur, ils chassent des êtres humains et les appâtent en prenant la forme de leur partenaire sexuel idéal, dont ils puisent l’idée chez leurs victimes, par télépathie.

Au début des années 80, la famille de ma petite amie m’a mis en contact avec un agent littéraire de leurs amis. Je lui ai envoyé quelques nouvelles, mais il m’a dit ne pas être en mesure de les vendre. Est-ce que je n’aurais pas plutôt un roman auquel il pourrait jeter un œil ? J’ai menti et lui ai raconté que j’étais à la moitié d’un, et lui enverrai dès qu’il serait terminé. Je n’avais rien. Il me fallait une idée rapidement. Je venais juste de lire une interview de Stephen King dans laquelle il mentionnait avoir tenté de trouver une manière d’écrire autour du mythe du vagina dentata. King expliquait n’être parvenu à rien avec cette idée. Je me suis alors dit que j’allais lui damer le pion. Le résultat fut Séductions, qui intègre un vagin avec des crocs. J’ai écrit l’histoire en trois mois, et je crains que cela ne se voie, surtout dans le style. Heureusement, le livre est sorti durant un énorme boom du marché US de l’horreur, durant lequel les éditeurs achetaient tout ce qu’ils pouvaient trouver dans le genre. Il s’est vendu très rapidement. Après ça, j’ai juste refusé d’en rester là et j’ai continué à écrire.

En 1987, c’est au tour de la publication d’Extase Sanglante. Vous avez été nominé au tout premier Bram Stoker Awards pour ce roman. Pourquoi avoir voulu revenir à la figure du vampire ? Après tout, entre ce livre et Séductions, vous avez sorti d’autres textes (notamment une novélisation). Quel était l’objet principal de cette nouvelle histoire ? Et pourquoi avoir attendu aussi longtemps (2005) pour lui donner une suite ?

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase SanglanteEn vérité, Live Girls est mon premier roman vampirique. Avant cela, j’avais écrit Séductions, Darklings, et la novellisation du remake de L’invasion vient de Mars par Tobe Hopper, aucun de ces textes n’étant à considérer comme associé à la figure du vampire. Extase Sanglante fait suite à ma première visite à Times Square. J’ai quitté les bureaux de mon éditeur pour aller marcher dans le quartier, pour observer. J’ai été élevé dans une petite ville au nord de la Californie, dans une famille religieuse, j’avais donc été couvé et j’étais naïf. Times Square m’a ouvert les yeux. C’était juste avant le crépuscule, et je déambulais à travers l’un des endroits les plus effrayants et fascinants que je n’avais jamais visités. Les drogues y étaient vendues au grand jour sur les trottoirs, et il avait des prostituées, des sex shops, des peep-shows et des clubs de striptease de tous les côtés. Je n’avais jamais rien vu de tel.

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase SanglanteD’une façon ou d’une autre, j’ai trouvé le courage d’aller dans un des peep-shows. Un écriteau à l’extérieur annonçait LIVE GIRLS (ndt : le titre original d’Extase Sanglante). Une fois à l’intérieur d’une des cabines, j’ai inséré mon jeton dans la boîte prévue à cet effet, sur le mur, et une paroi s’est levée pour révéler une vitre sale. De l’autre côté se trouvait  une jeune femme nue. Mais elle était affalée sur un tabouret, très pâle, avec des bleus sur le corps, maladive, et elle avait l’air de planer. Non seulement il n’y avait rien de sexy la concernant elle ou le lieu, et j’étais assez effrayé par son apparence. Sous la vitre il y avait une ouverture, comme la fente d’une boîte aux lettres. Le centre de cette ouverture avait été découpé de manière circulaire. Les bords avaient l’air rugueux. J’ai regardé plus précisément, et c’était en effet comme si cette ouverture avait été rongée de l’intérieur. À la seconde où j’ai eu cette impression, l’idée d’Extase Sanglante est apparue d’un bloc dans ma tête. Je suis revenu à toute vitesse dans les bureaux de mon éditeur, trouvais une machine à écrire libre, et commençais de rédiger.

En 1988, c’est au tour de Crucifax de sortir en librairie. Un an après Extase Sanglante, vous choisissez donc de vous lancer dans un nouveau roman avec des créatures vampiriques, mais non relié à votre précédent. Comment avez-vous eu l’idée de ce nouveau texte ?

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase SanglanteJe trouve curieux que vous considériez Crucifax comme une histoire de vampires. Il n’y a aucune créature de ce type dans le roman. L’histoire met en scène un homme nommé Mace qui se rend dans la vallée de San Fernando, à Los Angeles, avec une bande de petites entités vicieuses qui ne sont pas tout à fait des chiens, et il commence à débaucher les jeunes du coin. Il a une langue de trois pieds de long, mais il n’est pas un vampire. C’est une sorte de Joueur de flûte de Hamelin maléfique, qui emmène les enfants loin de leurs familles. Comme pour les créatures de Séductions et Darklings, Mace et ses serviteurs sont des monstres tirés de ma propre imagination.

Enfin, en 1991, vous publiez Lot Lizards (dont le titre français est Tapineuses Vampires). Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette histoire ?

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase SanglanteJ’avais pris l’habitude de beaucoup écrire dans des cafés ouverts 24h/24, tard la nuit. C’était bien avant l’avènement des ordinateurs portables. Je m’asseyais et je rédigeais à la main dans un carnet de notes, tout en regardant les autres clients. L’un des endroits où j’allais griffonner était le 76 Truck Shop, tout près de là où je vivais. J’y ai rencontré ma femme en 1988, elle était la manager de la boutique de souvenirs. Alors que j’écrivais au comptoir, j’ai surpris deux routiers se plaindre des « lot lizards », une expression que je n’avais jamais entendue. Je leur ai demandé ce dont il s’agissait. Les « lot lizards », m’ont-ils expliqué, sont des prostitués qui lèvent leurs clients, des routiers, aux haltes routières. Elles vendent leurs corps pour de l’argent ou de la drogue, et sont quasi toujours toxicomanes. Je n’arrivais plus à me faire sortir le terme de la tête et j’ai continué de jouer avec. Le résultat en a été le roman Tapineuses Vampires, qui est à propos de prostituées qui voyagent entre des haltes pour chauffeurs de poids lourds.

Pour ce que j’en sais, vous avez publié depuis d’autres nouvelles mettant en scène des vampires, mais ils n’ont malheureusement pas été traduits en français. J’ai en tête des romans comme Vampire Heart et Deadly Relations. Que pouvez-vous nous dire à propos de ces deux livres ? Pourquoi avoir choisi d’écrire sous pseudonyme ? Et pourquoi une nouvelle série ?

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase Sanglante

Dans les années 90, j’ai écrit de nombreux romans young adult. À cette époque, le YA était pensé à destination de et lu par les jeunes lecteurs, adolescents (aujourd’hui le YA est marqueté pour et lu par les adultes, parce que vieillir est quelque chose de has been ces temps-ci aux États-Unis, même parmi le peu de personnes qui lisent encore). Vampire Heart et Deadly Relations sont deux de ces livres Young Adult. J’ai choisi d’écrire sous pseudonyme parce que les histoires que j’ai pu écrire sous le nom de Ray Garton ne sont franchement pas pour de jeunes lecteurs. Ces deux livres sont aussi une tentative de tribut à un soap opera du bon vieux temps, Dark Shadows, qui date des années 60-70. Cette série, créée par Dan Curtis, a été ma première confrontation avec l’horreur (si on ne compte pas La Bible). Elle mettait en scène un vampire nommé Barnabas Collins, joué par Jonathan Frid, et était diffusée 5 jours par semaine. Je n’avais même pas encore commencé d’aller à l’école quand j’ai vu ce programme pour la première fois, et ça m’a vraiment fichu la trouille. Il s’agissait d’un soap opera minutieux qui convoquait un vampire, une sorcière, un loup-garou, des voyages temporels et toutes sortes d’activités surnaturelles qui étaient pour le moins effrayantes pour un enfant de quatre ans comme moi. Voilà ce que j’ai essayé de faire avec ces deux livres. Du soap opera gothique, mais pour les jeunes lecteurs. Étant donné qu’ils sont destinés à un public moins âgé, je ne les intègre pas dans mes fictions vampiriques; ils sont très différents, beaucoup plus timides, bien sûr.

Avez-vous produit d’autres textes (nouvelles ou romans) sur le sujet que je n’aurais pas mentionné ?

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase SanglanteJ’ai écrit quelques nouvelles qui mettent en scène des vampires, mais je ne me rappelle pas les titres au moment présent, et une recherche rapide ne m’a pas permis de remettre la main dessus. Ils seront intégrés, quoi qu’il en soit, dans le coffret prévu chez Centipede Press dans un futur pas si lointain que ça, lequel contiendra toutes mes fictions vampiriques, Extase Sanglante, Night Life, Tapineuses Vampires et ces fameuses histoires courtes.

Il y a beaucoup de romans vampiriques d’importance associés au mouvement splatterpunk, tels que le Âmes Perdues de Brite ou encore The Light at The End, de Spector et Skipp. Extase Sanglante et vos autres ouvrages sont souvent associés à cette mouvance. Qu’en pensez-vous et comment vous sentez-vous associé – ou pas – avec ces livres et auteurs ?

Je pense qu’Extase Sanglante et certains de mes autres textes correspondent sans aucun doute au splatterpunk. J’étais dans les parages quand le mot a été inventé, et au début j’étais réticent à être affublé de ce genre d’étiquettes. Être un écrivain d’horreur était déjà assez réducteur sans me retrouver cloisonné davantage. Tout mon travail ne peut pour autant pas être qualifié ainsi, mais une bonne partie l’est, Extase Sanglante notamment.

Quand vous avez publié votre premier roman sur les vampires, ils se trouvaient encore sous l’influence d’Entretien avec un Vampire d’Anne Rice (publié en 1976). Quelle opinion avez-vous sur la manière dont elle a contribué à faire muter le vampire de fiction, et comment cela a-t-il influencé votre propre production ?

J’ai vraiment aimé Entretien avec un vampire. Ça a été un roman fondateur, mais c’est un genre de roman vampirique très particulier. Romantique, gothique, avec une prose virginale. Je voulais faire quelque chose de plus urbain, de plus abrasif, plus difficile d’abord, et c’est ce que j’ai tenté d’écrire avec Extase Sanglante.

Il y a souvent une sexualité brute dans vos livres sur la figure du vampire. De votre point de vue, est-ce que c’est une constituante du mythe ? Comment analysez-vous ce dernier, et le fait qu’il soit toujours l’une des créatures de fiction les plus utilisées ?

Je pense qu’avec les vampires, il a toujours été question de sexe. Bram Stoker a inventé l’horreur érotique quand il a écrit Dracula, parce que c’est exactement ce dont il s’agit. Dracula représentait la sexualité refoulée de l’époque victorienne, et je pense qu’il a fait de cette même sexualité une partie inaliénable du mythe. Tout ce que j’ai fait a été de mettre cela à jour, en rendant le sexe plus explicite, en me focalisant directement sur le business qui tourne autour, aux États-Unis.

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (en littérature et / ou au cinéma et / ou en musique) ?

Ma première rencontre avec un vampire, je l’ai mentionné plus haut, s’est faite à travers Barnabas Collins dans Dark Shadows. C’est un de mes souvenirs les plus anciens. Ma plus récente rencontre avec ces créatures a été à travers la série What We Do in the Shadows, créée par le brillant Jermaine Clement, qui propose une approche très satirique et humoristique du vampire.

Avez-vous des projets sur la thématique ? Quelle va être votre actualité ces prochains temps ?

En ce moment, j’écris un nouveau roman où il y a des vampires. J’ai écrit deux romans avec des loups-garous, Ravenous et sa suite Bestial. Les enquêteurs de Night Life, Moffett et Keoph, sont des personnages centraux dans Bestial, ce qui permet de connecter ces deux livres avec mes romans vampiriques. Présentement, je travaille sur Foreverblood, qui fait se rejoindre les vampires d’Extase Sanglante et de Night Life avec les garous de Ravenous et de Bestial. Et ils ne s’entendent pas, tout comme les démocrates et les républicains ici, aux États-Unis. Foreverblood est plus de son temps, et intègre des sujets comme les tueries de masse, la traite d’être humain, le marketing de l’immortalité, une société secrète, les incels, et même un gang à moto. Le roman montre les débuts d’une bataille entre vampires et loups-garous. J’ai ouvert un compte sur Patreon pour ce projet, et il a toute mon attention à l’heure actuelle.

Merci de m’avoir proposé cette interview. J’ai été flatté. Je me rappelle quand j’ai vu pour la première fois une couverture française d’un de mes romans – j’étais tellement excité d’être publié en France ! J’espère visiter un jour votre pays, et voir Paris avant de quitter cette enveloppe mortelle. Merci encore.

Garton, Ray. Interview avec l'auteur d'Extase Sanglante

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