Kassovitz, Peter. Histoires Etranges : La Morte Amoureuse. 1980

Revenu d’Afrique depuis peu de temps, le Docteur Maule trouve un poste dans une entreprise dirigée par son père naturel, monsieur Paulin. Le médecin en veut à ce père absent, qui ne l’a pas reconnu et qu’il rend responsable de la mort de sa mère. Pour autant, malgré la haine qu’il lui voue, la vie de son géniteur l’intrigue. Tout particulièrement sa seconde femme, Diane, qu’il n’a jamais vue. Plusieurs fois, son père paraît sur le point de lui avouer quelque chose, mais son mystérieux chauffeur de taxi borgne interrompt la discussion. La curiosité le pousse bientôt à suivre son père, dont la demeure, dissimulée derrière de hautes barrières, semble en ruine depuis longtemps. L’énigme prend une nouvelle tournure lorsque Paulin décède, après s’être apparemment jeté du toit de l’immeuble.

C’est l’ami Andy Boylan de Taliesin Meets the Vampires qui m’a parlé en premier lieu de ce téléfilm français, présenté comme une adaptation de La Morte amoureuse de Théophile Gautier. Il s’avère que le métrage fait partie d’une minisérie de quatre, où sont exploités librement des textes de Gogol, Tourgueniev, Hoffman et donc Gautier. Le fil rouge tient à la personne de Pierre Badel, réalisateur de télévision actif entre 1956 et 1989, et co-créateur avec Chantal Rémy de la série Histoires étranges, à laquelle appartient La Morte amoureuse. Derrière la caméra pour trois des quatre épisodes, il se met lui-même en scène dans les différents récits-cadre, incarnant un réalisateur touche à tout et sceptique qui se retrouve confronté au paranormal. Le personnage et son assistant sont partie prenante de l’intrigue, même si le cœur de celle-ci repose sur le Docteur Maule (incarné par François Marthouret), et son témoignage face à l’objectif.

L’ancrage contemporain et la mention d’ouverture du film, « librement inspirée d’une nouvelle de Théophile Gautier » ne laisse que peu planer le doute sur la fidélité à, la nouvelle d’origine, somme toute assez relative. De fait, il faut attendre un certain temps avant de saisir ce qu’ont pu garder du texte original les scénaristes. Il s’agit principalement de l’idée d’une femme morte qui séduit un vivant — ici le docteur Maule — de façon à pouvoir lui soutirer le sang dont elle a besoin pour survivre. Amoureuse de celui-ci, elle le ponctionne néanmoins avec parcimonie. Deux moments forts du récit de Gautier sont conservés : la veillée funèbre et la scène de l’exorcisme. On peut également voir dans les personnages du chauffeur (personnage omniprésent à l’écran, joué par Gérard Desarthes) et de la gouvernante un écho des différents serviteurs de Clarimonde dans le texte original. Enfin, il y a l’idée de la double identité de Maule, qui se rêve capitaine d’industrie — à la place de son père Paulin (incarné par Jean Martin) — quand il est auprès de Diane, et qui est médecin en temps normal.

Le film laisse dans sa première partie en suspens le lien avec la figure du vampire, pourtant clairement convoqué (et nommé) dans la nouvelle de Gautier. Lors de la première veillée de Maule aux côtés de Diane, il y a un premier sous-entendu net au moment où celle-ci embrasse ses mains. Cette scène va se répéter, jusqu’à ce que le frère de Diane — le chauffeur — révèle clairement au docteur de quoi il retourne. Celui-ci, blessé après avoir retraversé le miroir, reviens auprès de son amante morte-vivante de façon à lui donner son sang. Car c’est bien parce que Diane ne prélève qu’avec parcimonie la vie de Maule qu’elle parvient difficilement. Le spectateur a compris bien plus tôt que la femme est une créature de la nuit : son mausolée indique qu’elle est censée être décédée depuis le XIXe siècle. L’opposition des entités infernales et de la religion est également mise en scène, même si ce n’est pas l’ami prêtre du médecin qui lui viendra en aide lors de l’exorcisme. En effet, c’est Maule seul qui, armé d’un pistolet dont il a trempé les balles dans l’eau bénite, exorcisera Diane.

Si Diane (incarnée par Laura Duke Condominas) est un personnage indubitablement vampirique, le film joue aussi sur l’idée des manifestations fantômatiques. Personne, en dehors de Maule et de Paulin, ne semble vraiment rencontre la vampire. Celle-ci paraît exister dans un lieu différent, accessible au travers du placard ancien que le médecin reçoit en héritage. C’est à travers le miroir de ce meuble qu’on croisera pour la première fois — furtivement — le visage de Diane. Tous ces artefacts, ainsi que le collier qui passe successivement de Paulin et Maule, disparaîtront après l’exorcisme du personnage. Il y a également la question de la demeure, qui apparaît en ruine quand Maule y met les pieds pour la première fois, alors qu’elle est somptueuse lorsqu’il y retourne, accompagné d’un policier. Enfin, l’idée que l’image de Diane s’imprime sur la rétine de l’œil de ses amants renvoie davantage à un cas de hantise — ou de possession — qu’à la figure du vampire. On le voit donc, si les scénaristes se sont basés sur le texte de Gautier, ils s’en éloignent sur la forme comme sur le fond.

Cette adaptation de La Morte amoureuse a été une vraie découverte pour moi. Preuve qu’il reste des petits bijoux méconnus dans les productions télévisuelles françaises passées, même pour les amateurs de vampires. Le long-métrage est aussi efficacement monté que bien joué. On pourrait lui reproche d’avoir fortement alambiqué la nouvelle de Gautier, il n’en demeure pas moins que ce téléfilm propose une variation travaillée de sa matière première. Le film est disponible dans sa totalité sur Youtube.

Kassovitz, Peter. Histoires Etranges : La Morte Amoureuse. 1980

Kassovitz, Peter. Histoires Etranges : La Morte Amoureuse. 1980

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