Boutet, Marjolaine. Interview avec l’auteur de Vampires au-delà du mythe

"J’ai écrit le livre que j’avais envie de lire à l’époque où je me « nourrissais » d’histoires de vampire : un livre qui me permette de comprendre ce que j’y trouvais, ce qui me passionnait, et qui me permette de l’expliquer à ceux qui ne comprenaient pas (mes parents, certains de mes camarades, etc.)."

Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?

Bonjour. Je m’appelle Marjolaine Boutet. Je suis maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Picardie-Jules Verne (à Amiens), spécialiste d’histoire des Etats-Unis, et passionnée par tout ce qui compose la culture populaire. J’ai beaucoup écrit sur les séries télévisées, en particulier Les Séries Télé pour les Nuls (First, 2009) et Sériescopie (Ellipses, 2011). Et je lis et regarde des histoires de vampires depuis vingt ans.

Comment est né le projet Vampires au-delà du mythe ? Comment avez-vous constitué le corpus de textes (romans et essais) qui vous ont servi de matière première ?

Ce livre est né d’une rencontre début 2010, avec Thibaut de Saint-Maurice, auteur de Philosophie en Séries (2 volumes, Ellipses, 2009 et 2011), et directeur de la collection « Culture Pop » chez Ellipses. Il cherchait quelqu’un pour écrire un livre sur le thème des vampires. Ayant été une lectrice assidue d’Anne Rice dans mon adolescence, ainsi qu’une fan de Buffy contre les vampires, étant alors intriguée par le « phénomène » Twilight, je me suis lancée dans l’aventure. Le plus long a en effet été de rassembler un corpus suffisant pour écrire ce livre.

J’avais participé en 2008 à un colloque international à la Nouvelle-Orléans lors duquel j’avais présenté une communication sur True Blood dans le cadre d’un « panel » consacré aux vampires (déjà, je m’intéressais au sujet, et en parler à la Nouvelle-Orléans, haut lieu du vampirisme et ville-clé de l’œuvre d’Anne Rice, fut une expérience inoubliable). J’y avais rencontré de nombreuses spécialistes de « littérature vampirique » (oui, il s’agissait en grande majorité de femmes), des chercheurs qui travaillaient sur Buffy, etc. Sur leurs conseils avisés, j’avais déjà acheté des livres universitaires sur le sujet (très nombreux en langue anglaise).

Quand le projet de livre s’est précisé, j’ai continué à acheter beaucoup de livres, presque tous en anglais, soit en les commandant sur internet, soit en les trouvant par hasard au fil de mes voyages en Angleterre et aux Etats-Unis. Outre ces essais d’analyse, j’ai également lu, relu, vu ou revu toutes les œuvres citées dans ces ouvrages, et d’autres qui sortaient ou sur lesquels je « tombais » parfois par hasard. Et après ce travail intensif de recherche, il ne « restait plus qu’à » écrire mon propre livre…

De par votre expertise du sujet des séries télévisées, pensez-vous qu’il y a à travers ce support une manière d’aborder le vampire qui diffère de la littérature et du cinéma ?

Les séries télévisées sont beaucoup plus proches de l’écriture romanesque que du cinéma, car les deux premiers modes d’écriture (oui, une série télévisée est d’abord une œuvre écrite) permettent de développer des personnages sur la durée, alors que les films de cinéma sont des œuvres beaucoup plus courtes, plus proches de la « nouvelle » en littérature. Si je me suis intéressée aux séries télévisées, c’est que j’ai d’abord été une lectrice compulsive, et que je retrouve avec une série le même plaisir que j’éprouve à ouvrir un « gros » livre, ou à lire l’intégralité de l’œuvre d’un auteur dont j’ai aimé un ouvrage.

Qu’ils soient télévisés, cinématographiques, ou littéraires, les personnages de vampires sont le plus souvent inscrits dans des œuvres sérielles, en plusieurs « épisodes », avec des personnages récurrents et des univers propres : les films d’horreur de la Hammer avec Christopher Lee sont une « série » de films, de même que les Twilight ; les romans d’Anne Rice, de Charlaine Harris, de Laurell K. Hamilton, etc. sont aussi des « séries » littéraires, et on peut multiplier les exemples à l’infini… C’est peut-être ce qui explique mon goût à la fois pour les séries télévisées et pour les personnages de vampires ! Ce que j’espère avoir montré dans mon livre, à travers mon regard d’historienne, c’est que ce n’est pas tant le support (série télévisée, film, roman) qui change la façon dont le vampire est abordé que l’époque à laquelle il a été imaginé.

Le thème du vampire est particulièrement à la mode en ce moment. Quel regard portez vous sur la Bit-lit, ou sur des œuvres comme Twilight ? Comment expliquez-vous leur succès ?

J’espère avoir montré dans mon livre que le thème du vampire n’a cessé d’être à la mode depuis deux siècles, mais qu’il est particulièrement « populaire » au moment où nous nous sentons particulièrement inquiets et angoissés. L’époque actuelle est particulièrement anxiogène (terrorisme, crise économique, manque de repères, etc.) et donc le thème du vampire connaît un énorme succès. De même, toujours parce que notre époque est anxiogène et parce que le développement de nouvelles technologies nous permettant d’assouvir nos désirs de façon de plus en plus instantanée (contacter quelqu’un, trouver une information, acheter un bien matériel ou immatériel, jouer, regarder, écouter, etc.), la consommation de biens de « divertissement » augmente, le besoin d’évasion augmente (regardez les chiffres d’entrée au cinéma, les ventes de jeux vidéo, etc.).

La Bitlit et Twilight s’inscrivent parfaitement dans « l’air du temps », répondent à notre besoin de divertissement, d’évasion, de rêve face à une réalité souvent bien morose. Mais en plus de cela, je pense, comme je l’ai expliqué dans mon livre, que ces œuvres nous permettent aussi de nous confronter à nos peurs (la mort, la maladie, la perte de l’être aimé, etc.) et ont un aspect « thérapeutique », ou au moins cathartique.

Ne pensez-vous pas que la trop grande actualité du sujet risque, à un moment ou un autre, de lui être nuisible, et d’émousser l’intérêt du public ?

Cela fait plus de deux siècles que le thème du vampire survit à toutes les époques, guerres, révolutions et changements de modes de vie, donc non, je ne crois pas que la trop grande actualité du sujet puisse lui faire beaucoup de mal… En revanche, les histoires de vampires vont, elles, continuer de s’adapter à l’intérêt du public, évoluer, peut-être disparaître un temps pour mieux revenir sous d’autres formes…

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographiques) ?

Ma première rencontre avec un vampire, c’est Bram Stoker’s Dracula de Francis Ford Coppola, au cinéma, qui m’a conduite vers la lecture du roman. Et puis il y a eu la rencontre avec Lestat et une passion de lectrice qui a duré une bonne dizaine d’années. Lestat et Buffy m’ont incontestablement accompagnée dans mon passage de l’enfance à l’âge adulte (une période de la vie où la fréquentation des vampires me semble particulièrement « utile »).

Avec la rédaction de ce livre, les rencontres avec des vampires ont été nombreuses ! Peut-être la plus marquante a été la deuxième saison de la série télévisée The Vampire Diaries, que j’ai trouvé magistralement écrite.

Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?

J’ai écrit plus de 200 pages pour tenter de répondre à cette question… Pour répondre très (trop) rapidement, je pense que le mythe du vampire correspond très profondément et très intimement à nos peurs et nos désirs « ontologiques » (Eros et Thanatos, soit l’Amour – au sens sentimental comme charnel – et la Mort), mais qu’il est suffisamment « flou » pour s’adapter aux variations rapides de notre époque contemporaine (qui a commencé à la fin du XVIIIème siècle).

Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?

Pour le moment, je n’ai pas d’autres projets de livre sur le thème des vampires. J’ai écrit le livre que j’avais envie de lire à l’époque où je me « nourrissais » d’histoires de vampire : un livre qui me permette de comprendre ce que j’y trouvais, ce qui me passionnait, et qui me permette de l’expliquer à ceux qui ne comprenaient pas (mes parents, certains de mes camarades, etc.).

Je suis fière du résultat, car ce travail d’écriture m’a emmenée bien plus loin que ce que j’imaginais, et m’a fait progresser en tant qu’individu et en tant qu’auteure. Maintenant, le livre va faire son chemin et je l’espère rencontrer des lecteurs, leur apporter des réponses, leur ouvrir des pistes de réflexion, leur donner des envies de lecture et/ou de visionnage.

Je serai au Salon du Livre à Paris le samedi 17 mars pour participer à une conférence sur la bit-lit, dédicacer quelques exemplaires de Vampires : au-delà du mythe, et j’ai aussi participé à l’élaboration d’une exposition autour de ce « phénomène » qui sera présentée sur ce salon. Au mois de septembre, j’organise une soirée « grand public » consacrée aux créatures fantastiques (vampires, zombies et sorcières) à Rouen, dans le cadre d’un colloque international.

J’ai également quelques projets pour la fin octobre autour des vampires, dont j’aurais peut-être l’occasion de vous reparler. Mais comme je ne m’intéresse pas qu’aux vampires, je serai aussi sur France Inter dans La Marche de l’Histoire mardi 6 mars de 13h30 à 14h pour y parler du président des Etats-Unis au cinéma et à la télévision. Je serai ensuite à la médiathèque d’Anthony le 31 mars pour y parler de séries télévisées, et j’animerai une conférence sur la série Friday Night Lights dans le cadre du festival Séries Mania au Forum des Images à Paris à la mi-avril.

Et je suis en train d’écrire un livre sur la série Cold Case pour les PUF.

Je vous remercie vivement pour cette interview. Vous et les lecteurs de votre site sont les bienvenus lors des différentes manifestations où je serai présente dans les mois qui viennent !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *