Orchestre National du Jazz. Dracula

Mina erre dans une sombre forêt de Transylvanie, alors que la nuit est tombée. La jeune femme est à la recherche de sa mère, elle aussi nommée Mina, disparue il y a des années. La jeune femme finit par trouver refuge dans le château du comte Dracula, qui lui offre le gite et le couvert. En aparté, l’aristocrate finit par raconter la malédiction dont il est affligé. Pour avoir essayé de vaincre la mort et assurer l’immortalité à sa femme, il a été condamné à une éternité faite de sang : il est un vampire.

Dracula est un projet au long cours de l’Orchestre National du Jazz, porté par Frédéric Maurin, à la direction artistique de l’ONJ depuis 2019. Dans l’idée d’attirer un nouveau public au jazz autant que de faire appel à des profils complémentaires, Maurin a l’idée de proposer un spectacle tout public (voire jeunesse), susceptible d’initier au jazz tout en racontant une histoire. En partant du roman de Bram Stoker, le directeur artistique s’associe à une metteuse en scène et des comédiens, proposant une création hybride. Le spectacle existe depuis 2020, ce livre-objet en est la matérialisation physique. Le passage au papier (et à l’enregistrement sonore) aurait pu se faire au détriment de l’aspect visuel. C’est là qu’intervient Adèle Maury, illustratrice ayant remporté le 1er prix du concours Jeunes Talents du festival d’Angoulême.

J’étais relativement intrigué par ce projet autour du Dracula de Bram Stoker. D’un côté il y a l’idée d’adapter le roman en conciliant musique et théâtre. De l’autre, il y a celle d’exploiter le matériau d’origine pour s’adresser à un public plus diversifié, notamment les plus jeunes. La lecture du livre et l’écoute du disque font rapidement comprendre qu’il s’agit davantage de puiser dans le texte d’origine que de l’adapter stricto-sensu. En effet, ce Dracula n’en conserve que les personnages de Mina et de Dracula. Ce qui n’empêche pas la trame de convoquer ça et là des temps forts du récit de départ, comme l’arrivée d’un protagoniste au château de Dracula, voire la scène où l’invité du vampire se coupe accidentellement (ici quelque peu remaniée).

La présence de multiples instruments, et l’idée de les attacher à des personnages témoins (ou acteurs) du récit rappelle également la structure du roman choral. Pour autant, on est ici davantage dans la lignée du Bram Stoker’s Dracula de Coppola, le vampire étant présenté comme un personnage sous le coup d’une malédiction. Dracula est un vampire, mais il est dans le même temps victime de sa condition. Les créateurs du spectacle en profitent pour s’approprier le concept du personnage, et en faire un catalyseur pour parler de la mort, du genre (Dracula et Mina sont interprétés par des femmes), de la relation à autrui, etc. C’est là l’un des aspects didactiques du projet. Ce dernier offre dans le même temps une porte ouverte vers les différents courants du jazz, l’accompagnement musical enchainant swing, free jazz, valse, etc. Un vrai tour de force, tant l’écart est parfois important entre ces différents genres. Chacun vient souligner les affects des personnages ou l’accélération de la trame.

Ce parti pris, de même que l’association entre les protagonistes et certains instruments peuvent rappeler des œuvres comme Pierre et le Loup. Mais on est aussi proche des contes de fées, les serviteurs qui évoluent autour de Dracula évoquant La Belle et la Bête (et ce jusqu’au final).

Le récit, s’il choisit de faire du vampire un personnage plus contrasté que dans le roman, n’en oublie pas de convoquer les caractéristiques de la créature… voire de jouer avec celles-ci. Ainsi les mets qui seront proposés à Mina sont-ils exclusivement de couleur rouge. Le vampire, quant à lui, semble incapable d’évoluer à la lumière du jour. Et bien évidemment, il y a le thème de la morsure, l’instinct le plus primaire du vampire. Le personnage semble enfin en mesure de se transformer en brume.

Le dessin d’Adèle Maury est de très belle facture. Elle donne vie à cet univers sonore avec ses cases en noir et blanc, qui semblent mélanger peinture et carte à gratter. Un rendu qui est surprenant de dynamisme (les premières cases, qui suivent Mina en sont un bon exemple) et en appelle à l’influence du cinéma expressionniste, par son côté onirique. L’illustratrice assure une dimension visuelle a ce projet sonore, et permet le passage de la scène à l’objet physique. Elle y ajoute sa propre touche, jouant des codes de la figure du vampire au travers du motif de la chauve-souris, récurrent (le poster qui est intégré à l’album en est un superbe exemple).

Une variation aussi inattendue qu’intéressante autour du roman de Stoker. Il ne s’agit certes pas de transposer au plus près du récit, mais bien de convoquer le personnage et les thèmes qui lui sont rattachés. La musique vient renforcer l’ensemble, véritable fil rouge (et en même temps prétexte), transformant ce Dracula en une création didactique pour s’ouvrir aux multiples visages du jazz.

Textes de Dracula : Milena Csergo, Estelle Meyer, Julie Bertin, Romain Maron
Compositions : Frédéric Maurin et Grégoire Letouvet

Orchestre National du Jazz. Dracula

Listes des titres

1. « Très loin d'ici… »
2. La Complainte de Mina
3. L'orage
4. « Entrez !»
5. « Ainsi donc, vous marchez seule dans la nuit… »
6. La morsure, les douze coups de minuit et la transformation
7. Dracula, l'alchimiste
8. La nuit
9. Le réveil de Mina
10. Le sac
11. Le bruit du cœur et les douze coups de minuit
12. La transformation 13. Le cerf
14. « Je me lève et je cours… »
15. « Au beau milieu de la nuit… »
16. La forêt
17. La tombe
18. « Larmes tranchées le long du cou… »
19. Les valets-animaux s'affairent
20. Vive la mort !
21. Misty
22. Me pendre à ton cou
23. La valse sanglante
24. Une dernière danse et les douze coups de minuit
25. « Vampire, je resterai vampire… »
26. Tu pleures
27. La fin ?

 

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