Sorti en 1996 chez Music for Nations, Dusk and Her Embrace est un album incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire du metal extrême. Cradle of Filth s’y essaie à davantage de grandiloquence, choisissant d’insuffler à la noirceur de leur black metal une touche symphonique jusque-là absente du genre. Ce qui leur vaudra l’opprobre d’une partie des acteurs du milieu mais leur permettra pour autant de gagner une notoriété rare pour un groupe de la scène. Une forte présence de nappes de synthétiseurs, de voix féminines et de passages atmosphériques confèrent ainsi à l’album les atours d’une bande originale horrifique. Les multiples registres de voix utilisés par Dani Filth (chant aigu, voix death, chuchotements…) ajoute enfin un côté théâtral à l’ensemble. Mais la batterie de Nicholas Baker permet au tout de garder les deux pieds dans un metal cadencé (tout en intégrant des changements de rythme réguliers).
Côté textes, l’album est dans la continuité directe du EP V-Empire, et repose essentiellement sur des thématiques et ambiances vampiriques, que ce soit l’œuvre de Sheridan Le Fanu (les titres «Malice Through the Looking Glass» et le bonus «Carmilla’s Masque» y font particulièrement référence) le personnage de la comtesse Bathory («Dusk And Her Embrace», «A Gothic Romance – Red Roses For The Devil’s Whore»), ou des morceaux moins référencés mais tout autant rattachés à leur intérêt pour le mythe du vampire («Funeral in Carpathia»). Il ne s’agit donc pas, comme l’album qui suivit, d’un concept album (ce que le groupe systématisa par la suite) mais le thème du vampire plane sur la quasi-totalité des titres.
La jaquette, les éléments de décors abordés dans les textes (forêts, châteaux…) tout concourt à poser une ambiance gothique, de quoi aller de pair avec le renouveau littéraire du genre (via Anne Rice, éditée en France à partir de 1990, mais aussi via Entretien avec un Vampire de Neil Jordan et le Dracula de Coppola). Certes plus violent que la scène metal gothique d’alors, Cradle propose une ambiance musicale et des paroles qui allient noirceur et esthétisme, davantage qu’un black metal sataniste pur et dur. La sexualité apparaît également comme centrale au travers des images utilisées par Dani Filth (« priapic lovers », « Masterbating in their graves », »The curse of unrest and her ardent caress »), mais toujours reliée à la mort ou au macabre.
Dès ce premier album long consacré aux vampires, Cradle montre son intérêt pour une créature engendrée par la littérature XIXe plus que par un intérêt pour le folklore original, ou une volonté de redéfinir le thème. Ici, la créature est d’obédience féminine (Ligeia, Bathory, Lucrèce, Carmilla…), mais en appelle à des divinités démoniaques masculines, tels que Satan, Lucifer ou encore Priape. Moins marqué par l’hybris que son successeur, Dusk and Her Embrace n’en contribue pas moins à asseoir le vampire comme une figure incontournable du metal extrême, et à faire de Cradle of Filth les porte-étendards d’un genre musical plus mainstream que ce à quoi on était jusque-là habitué (Mayhem, Marduk, Impaled Nazarene…).
Listes des titres
1. Humana Inspired to Nightmare 1:232. Heaven Torn Asunder 7:04
3. Funeral in Carpathia 8:24
4. A Gothic Romance (Red Roses for the Devil's Whore) 8:35
5. Malice Through the Looking Glass 5:30
6. Dusk and Her Embrace 6:09
7. The Graveyard by Moonlight 2:28
8. Beauty Slept in Sodom 6:32
9. Haunted Shores 7:04
10. Hell Awaits (reprise de Slayer) 5:38
11. Carmilla's Masque (titre instrumental) 2:54