Somtow, S. P. Vampire Junction

Voilà plus de 2000 ans que Timmy Valentine est devenu un vampire. Après avoir côtoyé la Sibylle, rencontré Gilles de Rais, et survécu aux camps de concentration, le voilà devenu une rock star. Mais l’immortel se détache peu à peu du monde, et aimerait comprendre qui il est. Il décide alors de faire appel à Carla, une psychanalyste adepte des thèses de Carl Jung, et de commencer une analyse. Dans le même temps, Les Dieux du Chaos, un groupe d’occultistes qui a croisé le chemin de l’enfant vampire il y a plusieurs décennies découvre qu’il est toujours vivant. S’il faut un certain temps avant que les survivants du petit groupe ne se rassemblent, ils sont bien décidés à mettre un terme à l’existence de celui dont ils pensent être les créateurs.

Vampire Junction (1984) n’est certes pas le premier roman de S.P. Somtow, romancier et compositeur de musique classique thaïlandais, mais il demeure l’un des plus connus (et vendus), et le premier opus d’une trilogie ambitieuse, poursuivie avec Valentine (1992) et Vanitas (1995). De son aveu, l’objectif initial de Somtow était de conjuguer le gore avec une certaine rigueur littéraire. D’où une construction en tiroir, où les jeux de miroir, les enchâssements et les niveaux de lectures sont nombreux. Avec en tête d’articuler son roman autour des thèmes du mal et de la rédemption, l’auteur choisit de s’appuyer sur l’approche jungienne. Timmy Valentine est persuadé d’être un archétype qui cristalliserait les peurs et les pulsions négatives de l’humanité. Ce qui expliquerait sont absence de reflet : il est lui-même un reflet de cette même humanité. Au fur et a mesure des séances avec Carla, celle dernière ouvrira des portes qui la mèneront aux différentes étapes de la vie du vampire, jusqu’à découvrir qu’un lien complexe les relient (lui, elle et son ancien mari, Stephen Miles)… et les renvoient au moment même où Valentine est devenu un buveur de sang. Se dégager également du texte la solitude qui pèse sur Timmy, qui se désintéresse rapidement de ses propres enfants (tout en se montrant incapable de les détruire).

La lecture du roman n’est pas forcément aisée, et on peut tout aussi bien se perdre au milieu de ces enchevêtrements qui vont progressivement lever le voile sur certains épisodes constitutifs du Valentine actuel. Sa rencontre avec Gilles de Rais est à ce titre un des temps forts du roman (mais aussi l’un des plus durs). Comme j’ai déjà pu le lire ailleurs, si on ne parvient pas à adhérer à cette approche psychanalytique du vampire, c’est difficilement au niveau de l’intrigue qu’on trouvera de quoi être contenté. Celle-ci apparaît en effet bien secondaire, et presque artificiellement accélérée dans le dernier tiers du roman (et des personnages secondaire sacrifiés rapidement de manière à laisser la place aux retrouvailles du trio final anima – animus – ombre).

En ce qui concerne le mythe du vampire, ceux que créent Timmy Valentine répondent aux caractéristiques classiques. Ils ne peuvent se mouvoir que la nuit venue, craignent l’eau bénite, les crucifix et le feu et peuvent être tués si on leur enfonce un pieu en plein cœur. Tous semblent devoir dormir dans un cercueil. Mais Timmy Valentine, sans qu’il se rappelle pourquoi au début du roman, est parvenu à dépasser ces limites. Tous ont également pour eux de pouvoir influer sur la perception de ceux qui leur font face, et se faire passer pour des animaux, notamment le chat (un clin d’œil au Carmilla de Le Fanu ?). Les références à Dracula ne manquent par ailleurs pas, notamment à Van Helsing. Valentine joue sur la figure du vampire : il composera le morceau Vampire Junction, et s’habille avec la désormais classique cape et le smoking tuxedo.

Ce premier opus de la trilogie Timmy Valentine est un des romans importants, dans les années 80, pour la figure du vampire. A ce titre, il serait à ranger aux côtés des Prédateurs de Whitley Strieber et d’Un Vampire Ordinaire de Suzy McKee Charnas). En choisissant d’intégrer l’approche psychanalytique de Carl Jung à son récit, Somtow élabore un roman aux multiples facettes qui ne trouvera de cohésion que dans la dernière confrontation de trois des protagonistes centraux. Ambitieux, complexe mais un jalon dans le genre, qui n’hésite pas à dépeindre avec crudité et une certaine violence les traumatismes de ses personnages.

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