Radford, Benjamin. Tracking the Chupacabra

En 1995, à Puerto Rico, plusieurs têtes de bétail sont découvertes mortes, apparemment vidées de leur sang. Quelques semaines plus tard, non loin de là, c’est au tour d’une dénommée Madelyne Tolentino d’observer une créature inconnue devant chez elle. Sachant que près de cent cinquante animaux sont retrouvés dans les environs, tués par un animal non identifié. Le lien entre les différents événements est très vite fait, porté au pinacle par des médias avides de sensationnalisme. La légende du Chupacabra est née. Benjamin Radford, chercheur et auteur, propose avec Tracking the Chupacabra une investigation en profondeur dans les pas du monstre devenu une icône de la cryptozoologie.

Quand il publie Tracking de Chupacabra, Radford n’est déjà plus un inconnu. Depuis Hoaxes, Myths, and Manias: Why We Need Critical Thinking, son premier livre, il montre un intérêt pour la zone où se croise le mythe et l’affabulation, renforcé par des ouvrages comme Scientific Paranormal Investigation: How to Solve Unexplained Mysteries. Il prend un plaisir certain à examiner dans leurs moindres détails différentes légendes ou faits étranges, tels que le monstre du lac Champlain, l’incident Dyatlov, etc. Pour autant, si le chercheur aime ce qui touche au sensationnalisme, c’est bien dans l’idée d’aller en explorer les incohérences, et mettre au jour les questions sociétales sous-jacentes. On ne sera pas surpris, Tracking de Chupacabra va clairement en ce sens.

Radford analyse avec attention l’émergence de la créature, passant au crible ses différentes manifestations, les témoignages qui en sont faits, notamment dans les médias. D’emblée, on comprend qu’il y a deux versions du chupacabra. L’une qui a trait à la première description (et aux premiers cas) du monstre, l’autre à ses apparitions ultérieures. L’auteur montre comment la représentation du Chupacabra évolue à partir de là, par une accumulation des déclarations successives. À l’image du vampire, la créature devient la raison de toute mort suspecte de bétail, se retrouve derrière chaque observation animale difficile à classer.

D’où l’intérêt de faire un aparté sur le folklore des buveurs de sang. Radford pointe, dans l’émergence des croyances en ce type de monstres la traduction d’un ressentiment pour les États-Unis, tous proches. D’où les thèses complotistes qui voient en l’existence du chupacabra le résultat d’expériences de l’Oncle Sam, dans l’idée de porter atteinte aux populations autochtones. Il y a dans le même temps la mainmise d’Églises pentecôtistes locales qui y associent un signe avant-coureur de l’Apocalypse. De fait le Chupacabra, qui se retrouve porté par une hystérie de masse, est un bouc émissaire tout trouvé pour les éleveurs. Mais à l’image des buveurs de sang du folklore européen, il cristallise certaines peurs sociétales. Si le monstre est donc une légende urbaine avérée, elle n’en fonctionne pas moins comme les autres vampires.

Le travail d’enquête réalisé par Benjamin Radford force le respect. L’auteur propose de nombreuses interviews, autant avec ceux qui ont approché de potentiels Chupacabra qu’avec des scientifiques. Il y a une volonté manifeste d’explorer toutes les possibilités sans opter impulsivement pour la solution cryptozoologiste. Radford sollicite plusieurs biologistes et spécialistes animaliers qui vont peu à peu l’aider à mettre des explications sur les différentes apparitions. Quand ce ne sont pas d’emblée les « découvreurs » de la créature qui démontrent, par leurs mots ou leurs attitudes, les failles de leurs témoignages. L’auteur a néanmoins l’esprit ouvert et aventureux : il se rend lui-même sur place et tente de provoquer une rencontre avec le monstre en s’avançant dans ce qui pourrait être une de ses aires d’élection.

Le Chupacabra est une des plus récentes variations autour de la figure du buveur de sang. Le concept y rejoint les thèses complotistes tout en retrouvant un statut de bouc émissaire qui rappelle l’histoire du vampire dans le folklore européen. L’ouvrage de Banjamin Radford, sorti en 2010, est sans nul doute l’oeuvre la plus complète à l’heure actuelle sur le sujet, ne négligeant aucun aspect de la créature. Chaudement recommandé.

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