Newman, Kim. Moriarty : le chien des d’Urberville

Alors qu’il revient d’un des voyages qui ont fait sa renommée, le colonel Sebastian Moran peine à trouver une occupation à sa mesure. Jusqu’à ce qu’il fasse connaissance avec le Professeur James Moriarty, mathématicien de renom mais surtout éminence grise du crime londonien. C’est en tant que bras droit et exécuteur de la Firme que Moran va donc se trouver une nouvelle place, laquelle va l’amener à croiser l’ensemble des groupes criminels européens de l’époque, et relater les affaires les plus notables de cette dernière. Affaires durant lesquelles on croisera la famille du professeur, ses ennemis (scientifiques comme criminels) et des personnages comme Irène Adler, Nikola Tesla, le Dr Mabuse, Fu Manchu…

Dernière traduction de la production de Kim Newman à avoir été publiée par Bragelonne, ce recueil de nouvelles (initialement publiées de manière éparses) propose une relecture sous forme de miroir de certaines des enquêtes du Canon holmésien. Mais Newman, s’il joue sur les titres des nouvelles éponymes («L’invertrébré Grec», «Un volume en vermillon», «Le problème de l’aventure finale», « Le chien des d’Urberville») et certains éléments des nouvelles de Doyle auxquels ces titres font référence, propose des trames différentes. A vrai dire, concernant Holmes, seule la dernière nouvelle le fait apparaître (mais jamais cité sous son nom), l’intégrant au Canon Moriartien comme un ennemi lambda, même si significatif de l’ère des temps (et des dangers représentés par la science contre le crime organisé).

Newman montre, comme il avait pu le faire avec le roman de Stoker dans Anno Dracula, sa connaissance du Canon et le tord à envie. En grand amateur de la trame holmésienne, je trouve l’exercice aussi excitant sur le principe qu’au niveau de son résultat. L’auteur joue autant avec les personnages qu’avec les intrigues (on découvre la famille de Moriarty dans la nouvelle «l’Invertébré Grec», de la même manière dont on découvrait celle de Holmes dans «l’Interprète Grec»), voire certaines caractéristiques des protagonistes (Moriarty appelant Irène « La Salope » – « La femme » pour Holmes -, se passionnant pour les guêpes – les abeilles pour le détective de Baker Street – …). L’ensemble n’est certes pas aussi trépidant que la série phare de l’auteur (qui a quand même eu plus de 4 tomes – à l’heure actuelle – pour s’enrichir), mais montre aussi bien le goût de Newman pour la littérature victorienne que son habileté à intégrer des références sans que celles-ci soient indispensable à la compréhension du texte (même si les connaisseurs savoureront davantage).

Côté vampire, deux aspects du roman permettent de recroiser certains aspects du mythe. Le principal tient à l’existence des Vampires, équivalent parisien de La Firme, qui font bien évidemment référence à la série éponyme de Louis Feuillade. On y retrouve notamment la présence de la vénéneuse Irma Vep (jouée par Musidora dans le feuilleton de Feuillade, qui y campe une véritable Vamp). Une utilisation judicieuse, qui en appelle autant aux aspects nocturnes des vampires (le crime frappe dans l’ombre), qu’à certains aspects gothiques dans lesquels se complait le groupe criminel.

L’autre aspect vampirique exploité par l’auteur penche vers Gustave Le Rouge (même si Newman n’a jamais lu, de son aveu, Le Prisonnier de la Planète Mars et sa suite), le Christopher Priest de La machine à explorer l’espace. , voire la créature du Not of this Earth de Roger Corman. On y croise ainsi des poulpes vampires que le Professeur présente comme des entités venues de mars pour coloniser la terre. Ces poulpes semblent en mesure de prendre possession des corps de leurs victimes, se greffant à eux comme des parasites.

Je manque sans doute d’objectivité pour juger l’entreprise que représente ce livre, aussi bien en tant que fan de Kim Newman que du Canon holmésien. Mais le résultat est à la mesure du pitch initial : l’auteur parvient à donner vie à un corpus en miroir des aventures du détective de Conan Doyle, offrant au binôme Moriarty/Moran une vie propre, tout en l’asseyant dans des références savoureuses issues des textes d’origines (qu’il s’agisse de réécrire ces derniers sous l’angle du duo infernal ou d’imaginer des affaires inédites qui puisent dans différentes enquêtes de Holmes et Watson).

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