Maury, Aurélien. Oh, Lenny

June est une vétérinaire passionnée par les animaux, particulièrement quand l’homme ne cherche pas à les contraindre à son image. À la suite d’un entretien d’embauche, son conjoint accepte une offre professionnelle qui les contraint à déménager. La jeune femme peine à se projeter dans l’univers impersonnel, bétonné et froid de leur nouvelle vie. Son compagnon, Brad, a en effet jeté son dévolu sur une maison pareille à toutes les autres, dans un lotissement sans âme, et presque sans nature. Alors qu’elle erre dans les environs, June découvre une mystérieuse créature moribonde. Elle choisit de la ramener chez elle pour la soigner, au grand dam de Brad, horrifié par l’indescriptible animal. Peu à peu, une relation fusionnelle s’installe entre celle-ci et June, qui finit par la traiter comme son enfant. Mais l’étrange bestiole a un appétit peu commun.

Oh, Lenny est le deuxième projet solo (pour lequel il signe à la fois le dessin et le scénario) d’Aurélien Maury, pour le compte des éditions Tanibis. Si Le Dernier Cosmonaute, son premier album, convoquait l’imaginaire par la bande, Oh, Lenny est plus direct dans son approche, avec cette incursion frontale du bizarre dans le réel. Le mal-être de June, son incapacité à se lover dans la nouvelle vie qui s’ouvre à elle et son intérêt pour une nature sauvage sont présents dès le début de l’histoire. Déboussolée suite à un changement drastique de vue, la jeune femme cherche d’un sens à sa vie, qui la met finalement en présence de l’étrange créature qu’elle baptisera Lenny. Elle trouve alors un but à son existence, même si la relation qui se tisse avec Lenny la voit s’enfoncer de plus en plus profondément dans la solitude, déjà au sein de son couple, puis du reste de l’humanité. Aux portes de la mort, le personnage vit une sortie d’épiphanie, libérée de toutes contraintes.

Le trait en ligne claire d’Aurélien Maury paraît à mille lieues d’une ambiance surnaturelle, de même que la mise en couleur de l’album. Pourtant, le récit proposé flirte bien avec l’horreur, au fur et à mesure que la volonté de June de sauver et protéger Lenny prendra le dessus. Le dessin de la créature, qui semble grossir au fil du temps (et du sang qu’elle absorbe) est ainsi le seul élément hors cadre de l’ensemble. Son côté informe et sa couleur blanchâtre font également penser au film Possession. D’autant que l’entité du métrage d’Andrzej Zulawski matérialise aussi les tensions d’un couple qui ne se comprend plus.

Lenny est l’entité vampirique de l’histoire, même si jamais nommé comme tel. Son espèce est inconnue, et il apparaît bien mal en point quand June le ramène chez elle. Dotée de bras qui pourraient être des tentacules, l’entité ne paraît pas avoir de problème à supporter la lumière du jour. Sa seule faiblesse semble être liée à son alimentation, car il ne digère pas tout ce que sa sauveteuse lui offre à manger. C’est lui-même qui commencera à se nourrir du sang de June, devenant de plus en plus gourmand. Quitte à mettre en danger la vie de la jeune femme. Sa taille évolue également : s’il n’est guère plus gros qu’un petit chien au début de l’histoire, il est bien plus grand et plus fort qu’un homme lors de la dernière confrontation.

Oh, Lenny est une histoire vraiment originale, qui s’empare par la bande de la figure du vampire sans la nommer. La tension maternelle entre June et la créature paraît muter vers quelque chose de sexuel, d’autant qu’il y a une forme de plaisir à recevoir la morsure. J’ai lu des chroniques qui convoquent le nom de Charles Burns, l’auteur de Big Baby et Black Hole, et j’avoue qu’il y a un peu de ça. Et ce n’est pas pour me déplaire.

Maury, Aurélien. Oh, Lenny

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