Grigorcea, Dana. Ceux qui ne meurent jamais

Alors qu’elle vient d’achever ses études, une jeune artiste décide de revenir dans sa Roumanie natale, dans la petite ville de B. où, enfant, elle passait la majeure partie de ses vacances. Les choses ont bien changé en quelques années : la chute de Ceaușescu a sonné la fin du régime communiste national. Mais le pouvoir est toujours aux mains des mêmes personnes, et le népotisme perdure. À l’occasion du décès d’une grand-tante dans un accident de randonnée, l’ouverture du mausolée familial révèle deux découvertes de taille. Parmi les tombes du quinzième siècle que renferme la crypte se trouverait celle de Vlad Tepes, l’Empaleur. Un comble, quand on retrouve un corps transpercé d’un pieu tandis que la défunte parente est portée en sa dernière demeure.

Dana Grigorcea est une autrice protéiforme, dont la bibliographie propose des livres jeunesse, des essais et des romans. C’est d’ailleurs la seule partie de sa production qui a été en partie traduite, ce Ceux qui ne meurent jamais étant son deuxième ouvrage disponible chez nous. Si son précédent texte traduit en français, La dame au petit chien arabe, se déroulait dans sa patrie d’adoption, la Suisse, elle revient ici à ses origines. Née en 1979 à Bucarest, elle choisit en effet d’écrire sur le pays de ses racines.

Ceux qui ne meurent jamais est un roman qui parle de la Roumanie d’aujourd’hui, encore dans l’ombre de son passé communiste. Le récit met en scène une nation qui se cherche dans ses racines, par nostalgie ou besoin de s’ancrer dans un avant idéalisé. À ce titre, la présence du Dracula historique est significative, l’autrice s’intéressant notamment à la facette héroïque du personnage. Mais derrière l’apparente stabilité politique, et l’image d’un protecteur du peuple, difficile d’oublier celle de l’Empaleur, capable de tout pour parvenir à ses fins. Et difficile de composer aujourd’hui sans le comte vampire. Un aspect qui ne prend pas d’emblée ses racines dans la culture locale, mais dans la prose de Bram Stoker. La découverte de la tombe supposée de Vlad dans la ville de B. permettra de dévoiler les différentes facettes du voïévode dans les yeux des contemporains roumains. Il y a là l’intérêt pécuniaire et touristique, mais aussi la possibilité de reconstruire un esprit national, voire d’aspirer au retour à un passé qui n’existe plus.

Le récit de Dana Grigorcea verse dans le réalisme magique, la frontière entre le réel et l’imaginaire se brouillant en de nombreuses occasions. L’héroïne se croit elle devenir vampire, endossant sa filiation avec le comte Valaque, ou se transforme-t-elle bien — même temporairement — une créature de la nuit ? L’approche n’en est pas moins intéressante, et joue sur l’ambiance onirique et poétique du texte, où plane notamment l’ombre de Georges Enesco. La dimension gothique du récit est indéniable, avec ses maisons décrépies, abandonnées par les habitants, et son cimetière omniprésent. La mort est également au cœur de l’histoire : c’est une mort qui justifie la réouverture du mausolée, c’est un autre mort qui voit la figure du vampire peser sur la petite ville. Et c’est un mort fameux qui est l’un des fils rouges du livre : Vlad Dracula.

L’autrice s’amuse des facettes du vampire, que ce soit dans sa réalité ou dans ses différentes itérations fictives. Plusieurs apartés du texte reviennent sur le personnage historique qu’est Dracula, replaçant son règne dans le contexte de son époque, tout en relatant plusieurs anecdotes tirées des pamphlets qui ont fait de lui une légende. Mais les vampires ne sont pas en reste : l’héroïne a l’impression de devenir une créature de la nuit — voire de se fondre avec son ancêtre —, et de rencontrer d’autres vampires, dont le comte lui-même. Elle a dans un premier temps recours à des lunettes de soleil, comme si la lumière lui posait problème. Elle croit ensuite voir son reflet disparaître des miroirs, et contrôler certains pouvoirs, comme une certaine forme de suggestion. Au faîte de sa transformation, elle sera capable de voler. Le besoin de sang se fait aussi ressentir, mais plus dans un contexte de vengeance que dans l’idée de se nourrir. Difficile également de ne pas mentionner la première « rencontre » entre la narratrice et une créature de la nuit, qu’elle surprend à ramper sur le mur. Si la scène rappelle le Dracula de Bram Stoker, son apparence penche davantage vers Nosferatu. 

Ceux qui ne meurent jamais est un texte atypique autour de la figure du vampire et de celle du comte historique. Dans le même temps, ce Ceux qui ne meurent jamais témoigne des réalités d’un pays dont les évolutions brutales s’avèrent à deux vitesses. Et qui cherche encore une échappatoire à son passé récent, dans un passé plus ancien ?

Grigorcea, Dana. Ceux qui ne meurent jamais

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