Sfar, Joann. Interview avec le créateur de Petit Vampire, Grand Vampire…

Bonjour, Joann. Pouvez-vous vous présenter pour les visiteurs du site qui ne vous connaitraient pas encore ?

Je m’appelle Joann, j’ai 45 ans. J’ai appris à lire dans les comics de super-héros de Kirby ou Ditko. Et dans les Conan de Buscema. J’ai grandi en compulsant les romans de la collection NEO ou de chez Marabout. J’ai commencé à raconter des histoires à l’adolescence, grâce aux jeux de rôles. je jouais à Runequest, à Call of Cthulhu, à Légendes, Rolemaster ou Maléfices. Les EC Comics ont eu une grande importance pour moi, en France on les appelait « il est minuit l’heure des sorcières ». J’ai aussi été beaucoup influencé par les films d’horreurs et par les revues de films d’horreur. Mon grand père m’emmenait voir ces films même quand je n’avais pas encore l’âge. Dans mon enfance j’ai encore connu, à Nice, des cinémas qui pratiquaient le « un ticket pour deux séances ». Et surtout mon grand père m’achetait les revues de films d’horreurs. J’ai Starfix, l’Ecran Fantastique et Mad Movies pratiquement depuis leurs numéros 1. Dans ces revues je découvrais des films que je ne voyais que des années plus tard. Je rêvais sur les photos. je les dessinais. Une de mes plus grandes terreurs de CM2 fut le Elephant Man de David Lynch…que je n’avais pas vu ! J’avais juste vu l’affiche et un camarade d’école m’avait dessiné ce qu’il y avait sous le masque et ça m’a empêché de dormir. je suis aussi de la génération qui a vu naître les jeux vidéos. J’ai joué à tout, depuis toujours. Ultima, Wizardry, Elder Scrolls ont été de grandes sources de rêve. Quant à la peur, le premier Quake ou le premier Doom restent des moments de terreur inégalable pour moi.

J’aime les vampires, je crois que ça s’est vu dans mon travail. Tous les vampires sauf ceux de Twilight. J’aime même Buffy, c’est dire si je suis ouvert et tolérant. J’aime autant les vampires de Murnau que ceux de la Hammer, ceux de Roger Corman et bien entendu, ceux de Universal. En romans, rien n’égale Bram Stoker car son Dracula est épistolaire et cela laisse toujours le monde a distance. Cet « écart différentiel » dont on parle en mystique est essentiel pour créer un sentiment de « distance-présence », le meilleur moyen de faire vibrer. J’ai lu tous les Anne Rice quand j’étais plus jeune. J’ai lu Anno Dracula de Kim Newman qui est délicieusement séduisant. Sinon j’ai découvert vraiment la folie de la lecture grâce à Stephen King, ça reste mon écrivain préféré. Et j’aime Druillet, dont chaque personnage a l’air d’un vampire. je ne suis pas un vampiriste pur. J’adore tout ce qui est chelou. Par exemple le cinéma de Jean Rollin. Par exemple Morbius le méchant de Spiderman ou Manbat, dans Batman, ou Vampirella, que les espagnols dessinent si bien. L’origine des vampires on peut la mettre où on veut mais pour moi, c’est chez Alexandre Dumas. le père de tous les vampires, pour moi, c’est le Comte de Monte Cristo. Je lui ai rendu hommage dans L’Éternel en appelant la méchante Haydée, du nom de la mystérieuse fiancée du héros dumasien.

Je ne sais pas pourquoi je dessine et j’écris des vampires tout le temps. Si vous ne connaissez pas mon boulot, il y a Petit Vampire, qui s’adresse plutôt aux enfants…quoi que. Il y a Grand Vampire qui s’est ensuite appelé Le Bestiaire Amoureux, qui raconte le même personnage, mais plus grand, et on ne sait pas si ça se passe après ou si ça se passe avant. Il y a aussi le Petit Monde du Golem, l’Homme Arbre. Et plus récemment L’Eternel, un roman tout entier centré sur le personnage du vampire. Je crois aussi qu’une chose qui m’obsède chez les vampires, c’est leur faculté à voler à grimper aux murs.

Le dernier opus de Petit Vampire datait de 2006. Pourquoi avoir attendu toutes ces années avant de revenir à cet univers ?

J’ai passé dix ans à m’occuper beaucoup du réel ! films, livres et dessins sur l’actualité, le vrai monde, tout ça. Et je me suis réveillé il y a quelques mois avec une envie folle d’imaginaire et de rêves. Les démons sont revenus me parler. Je ne crois pas aux auteurs, je crois aux oracles. Je me lève je me mets devant une feuille blanche et je vois quel personnage me parle. Là, ce sont les monstres et les fantômes, j’aime bien !

Pourquoi un préquel  et non pas un opus dans la suite de ceux déjà publiés ?

C’est pas un préquel ! Comme les gens qui me lisent sont parfois jeunes, il arrive qu’ils n’aient pas lu les sept albums précédents alors je suis bien obligé de rappeler certains éléments fondateurs, et en particulier la rencontre des deux héros. L’histoire qui vient de paraître est le premier chapitre d’un récit en trois albums. Il y a entre douze et seize cases par pages (avant je faisais des albums de trente pages avec 4 a 6 cases par pages). Petit Vampire se trouve donc dans des aventures plus vastes plus rebondissantes, j’ai essayé, avec Sandrina Jardel qui écrit avec moi, de construire une histoire épique, pas mal inspirée des aventures à la Goonies ou Stand By Me ou Star Wars. Donc j’ai eu besoin de raconter d’où vient Petit Vampire, comment il est devenu ce qu’il est et quelles sont les menaces qui pèsent sur son clan. Les trois albums sont entièrement crayonnés et je les encre petit à petit. Vous verrez, seules les premières pages du tome 1 relèvent d’un préquel. Les personnages sont repartis pour beaucoup d’aventures, c’est pourquoi j’ai besoin de construire un monde qui pourra devenir aussi crédible que celui de Donjon, qu’on a fabriqué avec mon copain Trondheim. Disons que Petit Vampire est passé du statut d’ « album jeunesse » à « bande dessinée d’aventures pour tous » 🙂

On sent un basculement au niveau de votre approche du personnage. La longueur de l’album, l’introduction… Petit Vampire ne se destine plus essentiellement aux enfants ?

J’espère que les tout petits peuvent tout de même le lire. Mais j’ai envie qu’on puisse se dire « ah oui, finalement c’est aussi les aventures du Capitaine des Morts »

Il me semble que cet opus intègre davantage de références directes à la littérature et au cinéma de genre. Pourquoi cela ?

Je crois qu’il y en a toujours eu beaucoup, dans tous mes livres. Là, j’ai ressenti le besoin de mettre une salle de cinéma qui diffuse des films de la Hammer. Parce qu’avec Sandrina on s’est demandé à quoi pouvaient bien s’occuper tous ces monstres qui n’avaient pas le droit de sortir de leur manoir! Ce qui est nouveau aussi c’est la mise en avant du Cap d’Antibes, lieu des aventures.

Le film d’animation, dans lequel vous êtes lourdement impliqué, se base sur la même histoire. Y aurait-il pour autant des divergences à attendre entre les deux supports ? Comment vous organisez-vous pour mener de front les deux projets ?

Il y a une énorme cohérence d’écriture dans Petit vampire puisque Sandrina Jardel et moi avons travaillé sur toutes les adaptations de ces personnages, nous avions aussi écrit la série télé il y a quelques années, avec Riad Sattouf, Jean Régnaud, Emile Bravo.

Le long métrage que nous préparons avec Banjo Studio raconte la même histoire que les albums qui paraissent en ce moment. Mais le résultat est forcément très différent. C’est de l’animation 2D à l’ancienne. Nous aimons les Disney classiques et Miyazaki alors nous essayons d’adopter les mêmes techniques. Nous avons aussi un vrai tournage avec des comédiens pour que les batailles au sabre et que la comédie soient parfaites.

Comment je m’organise ? On me pose toujours cette question !!! Antoine Delesvaux me tient au courant chaque seconde de ce qui se passe sur le dessin animé. Nous sommes ultra informatisés alors je reçois chaque image. J’ai une vraie équipe de pirates qui sont chacun des génies dans leur domaine.

Ce qui est difficile c’est qu’un film animé est une production longue de 5 ans. Il faut donc garder une vision très précise du résultat final dont on rêve. Il y a des périodes, comme le tournage ou le storyboard, où je travaille nuit et jour sur le dessin animé. D’autres comme la phase d’animation où mon travail relève plus de la supervision et demande moins de temps. Quant à la BD et l’écriture, c’est tous les jours tout le temps, SURTOUT dans mon sommeil. Je ne vous ai pas dit ? Je ne dors jamais. je ne sors que la nuit. Et je bois le sang de mes lecteurs 🙂

Le thème du vampire est assez récurent dans votre œuvre. En marge de petit vampire, on compte aussi la série Grand Vampire, le roman l’Eternel. Quel  place occupe cette figure du fantastique aux côtés de vos autres thèmes de prédilection  (la musique, la religion…) ?

J’ai répondu. Mais souvenez vous que le vampire c’est aussi Peter Pan, c’est celui qui refuse de grandir. Qui refuse le temps. C’est très littéraire, les livres sont des vampires, ils figent le flux des évènements.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du vampire en littérature ces dernières années ?

Twilight me fait chier. je n’aime pas qu’on prenne les ados pour des cons. Je n’aime pas les vampires trop bien emballés pour faire mignon ou pour exploiter un filon. Je n’aime pas les vampires qu’on sort juste pour Halloween. Je n’aime pas les trucs cyber-punk mes couilles. Pardon j’ai dit un gros mot ! Je crois que Salem de Stephen King est le plus grand roman de vampire moderne, car c’est une réponse directe à Dracula, qui était lui même une réponse à Monte Cristo. je crois que Frankenweenie est un chef d’œuvre qui tire des larmes, ah mais c’est pas un vampire. The Strain était super et la série télé est vraiment bien. True Blood était une merveille mais après c’est devenu chiant car tout le monde avait des pouvoirs, mais le début des aventures de Sookie Stackhouse c’était magique. je crois que lorsqu’on écrit « il y a un vampire » il faut y croire pour de vrai, sinon il faut faire un autre métier. Même si on fait des vampires pour les tout petits enfants il faut y croire.

Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?

Oui ! Aspirine est livrée! 150 pages, une histoire complète sur Aspirine, une vampire qui vit à Paris et qui a 17 ans depuis trois cents ans et qui n’en peut plus de cette longue adolescence alors elle tue des gens. Même pour une vampire elle tue trop de monde et ça finit par causer des problèmes…même aux vampires. Ça parait chez Rue de Sèvres l’an prochain.

Pour finir je travaille depuis cinq ans sur une série TV de vampires pour Canal Plus et Studio Canal. C’est produit par RED la compagnie anglaise qui fait Happy Valley. Les obstacles se lèvent un à un et je rêve que ça rentre en production bientôt.

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