Jonathan Harker est en route pour le château du comte Dracula. Ce dernier vient en effet de faire l’acquisition d’une demeure à Londres, et le jeune avoué a été envoyé par son étude pour lui faire signer les papiers nécessaires. Dès le trajet en diligence qui le mène à son client, Harker se voit offrir un crucifix pour se protéger de ce qui peut lui arriver. Alors qu’il pensait n’avoir que deux jours à passer sur place, Harker se trouve contraint de rester près d’un mois. Peu à peu, la situation sombre de l’étrange à l’horreur.
Diffusé en 1971 sur la télévision tchécoslovaque, Hrabě Drakula est réalisé par Anna Procházková, qui co-signe en même temps le scénario (aux côtés de Oldrich Zelezný). Si ce n’est encore que son deuxième film, la réalisatrice aura une longue carrière pour le petit écran, avec près de vingt-neuf métrages à son actif, et une série. Les adaptations de pièce de théâtre semblent avoir sa faveur, mais on note au moins une autre transposition de texte fantastique au sein de sa production, avec le Lokis de Prosper Mérimée. Car oui, il s’agit bien là d’une œuvre qui se base sur le livre de Stoker.
Le film s’annonce comme respectueux du roman original. Le spectateur est en effet d’emblée aux côtés de Jonathan Harker dans la diligence qui doit le mener au col de Borgo. Les échanges entre les personnages qui sont avec lui dans le véhicule appuient de la même façon cette fidélité au texte. L’utilisation du passage où le cocher (qu’on devine être Dracula) stoppe les loups qui s’approchent est également intéressante, car jusque-là peu transposé à l’écran. De fait, si les dialogues d’origine n’apparaissent que par petite touche, cette première partie est plutôt conforme à l’originale. La mise en scène rajoute juste la présence de la neige au cadre. Dracula est enfin montré comme un être glacial et à forte poigne, la caméra insistant à ce niveau dès ses premières interventions dans le film. Les mains du personnage et ses gants font en effet l’objet de plusieurs plans resserrés, qu’appuie un peu plus le récit de Harker.
Adaptation TV oblige, la sensualité des scènes qui voient les trois fiancées de Dracula faire leur apparition est très relative. La séduction passe essentiellement par l’hypnose dont semble victime Harker. Mais le trio se détache de ses prédécesseurs par des ajouts inattendus, à commencer par leur statut aristocratique : l’une est surnommée Marquise, une autre Comtesse. De fait, l’idée que l’une ait la primeur sur Harker repose sur cette hiérarchie. Le petit groupe échangera dans la dernière partie avec Mina, soulignant le destin que réserve Dracula à cette celle-ci en l’appelant « sœur ».
La suite du film, passé l’évasion de l’avoué, est davantage raccourcie par des ellipses. Ainsi, Harker est déjà à Londres quand débute la deuxième moitié du métrage. Il a retrouvé sa santé, mais est resté amnésique de ce qui s’est déroulé en Transylvanie. Seul son journal pourrait l’aider, mais il se refuse à y avoir recours. Par ailleurs, Lucy est déjà atteinte d’un mal contre lequel John Seward, médecin et ami du petit groupe, ne peut rien. Il a donc d’ores et déjà fait appel à Van Helsing qui est en route. La jeune femme meurt rapidement, donnant l’occasion à Dracula de reparaître, le choc de le voir permettant à Jonathan à recouvrer la mémoire.
Comme pour la première partie, de nombreuses lignes de dialogue proviennent du roman. Pour autant, les scénaristes rajoutent plusieurs scènes servant d’éléments de liaison. Ainsi Holmwood est-il confronté à Lucy devenue vampire, ce qui le prépare au rituel qu’il devra exécuter sur le corps de celle-ci. Mina, en parallèle, semble bien être la nouvelle victime du comte, même si seuls les regards extatiques de cette dernière aident le spectateur à comprendre la situation. L’argent est un élément qui apparaît par deux fois dans le roman (dans le château, lors de l’exploration de Harker, et au moment où les chasseurs s’attaquent aux cercueils de Dracula). Il revêt néanmoins une importance bien plus notable ici. En effet, pour Van Helsing c’est la nécessité pour le vampire de puiser dans ses fonds qui le pousse à revenir dans sa demeure.
Dracula est fidèle aux caractéristiques que lui prête le livre de Stoker. Il a ainsi la capacité de se transformer en chauve-souris et de se dématérialiser. S’il peut évoluer la journée, c’est la nuit que ses pouvoirs sont les plus étendus. À commencer par l’hypnose, et le lien qu’il entretient avec ceux dont il a fait des vampires, comme le démontrera Mina. On doit souligner, concernant la chose vampirique, le fait que Harker utilise lui-même le mot vampire lorsqu’il comprend ce qu’est Dracula, dans la première moitié du métrage. Le film propose par deux fois des interludes texte qui détaillent les forces et faiblesses de la créature. Ce que viendra compléter Van Helsing quand il explique à qui ils ont affaire. Il y a donc d’un côté une volonté manifeste d’expliciter l’objet du film, peut-être en raison de son découpage en plusieurs parties. Enfin, fait amusant, le vieux savant parle d’ « oupire », « vampire » étant selon lui le terme utilisé en Europe de l’Est.
Ce Hrabe Drakula n’est pas exempt de différences, si on le compare au roman. Quincey Morris est une fois de plus absent de l’intrigue, sans parler de ce qui a été mentionné plus haut. Pour autant, c’est une adaptation beaucoup plus fidèle que celle de Mystery and Imagination, sortie trois ans auparavant. A noter que l’acteur qui incarne le comte, Ilja Racek, est un habitué du cinéma de genre. Il a ainsi joué le rôle principal dans une adaptation de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Stevenson (Záhadný pan Hyde, 1964), ainsi que dans Tarzanova Smrt (1963), basé sur un texte de Josef Nesvebda, clin d’oeil au Tarzan de Burroughs.