La francophonie a manifesté dès le XIXe siècle un intérêt fort pour la fiction associée à la figure du vampire. Des nouvelles comme « la Morte amoureuse » de Théophile Gautier (1836), « le Horla » de Guy de Maupassant (1886), « Histoire de la dame pâle » d’Alexandre Dumas (1849) ou des ouvrages tels que le Infernaliana de Charles Nodier (1822), La Baronne trépassée de Pierre-Alexis Ponson du Terrail (1852), Là-bas de Joris-Karl Huysmans (1891) ou la Ville vampire de Paul Féval (1875) témoignent d’une production étoffée sur le sujet, sans même parler des poèmes de Charles Baudelaire, Isidore Ducasse (le comte de Lautréamont) ou Aloysius Bertrand, qui regorgent d’appels à la symbolique du vampire, voire à la créature elle-même. Une production fortement influencée par les premiers textes anglophones sur le thème (le Vampire de John Polidori en tête, qui connut plusieurs adaptations au théâtre en France, dont une par Nodier), mais aussi par la poésie romantique, où la figure de la femme vampire est régulièrement convoquée.
Pour autant, la production littéraire sur le sujet du vampire en France est très ténue au cours du XXe siècle. Il y a bien quelques nouvelles éparses avant les années 50, parmi lesquelles le « Gardien du cimetière » de Jean Ray (1919), et des romans comme Pauvre Sonia (1960) et Le Chupador (1965) de Claude Seignolle, mais la production imaginaire francophone semble se désintéresser des bêtes à crocs, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis, où la science-fiction explose et ouvre de nouveaux champs d’exploration. Ce qui n’empêche pas certains auteurs, dès le début du XXe siècle, de mélanger vampires et imaginaire science-fictif, à l’image du Prisonnier de la Planète Mars (1908) et de la Guerre des Vampires (1909) de Gustave Lerouge.
De la fin des années 70 à celle des années 80, l’édition connaît cependant un soubresaut en ce qui concerne les publications sur le sujet dans la langue de Voltaire. Moi, vampire de Maurice Limat (1966), la Mante au fil des jours de Christine Renard (1977), Héloïse d’Anne Hébert (1980), Aux morsures millénaires d’Axelman (1989) et Sylvana de Michel Pagel (1989) constituent ainsi les prémices de ce qui va arriver par la suite. Sans pour autant être influencés sur le fond ou la forme par Anne Rice (qui vient alors de faire paraître le premier volet des Chroniques outre-atlantique), ces cinq romans explorent le mythe de manière assez diversifiée, entre le fantastique traditionnel, le polar et le gore, tout en se plaçant dans une époque moderne. On note également un ancrage européen fort (quatre de ces récits se déroulant en France), et une propension à centrer leurs trames autour de créatures féminines aussi belles que dangereuses, dans la continuité d’un Gautier ou d’un Dumas. Ils sont suivis, quelques années plus tard, par la première anthologie anglo-française sur le sujet, le quatrième volet des Territoires de l’inquiétude d’Alain Domérieux (1992) au sommaire de laquelle on note certes des auteurs anglophones (King, Matheson, Lee, Etchison, Ellison), mais aussi des plumes francophones (Brèque, Durastanti, Petoud, Andrevon), les deux premiers étant devenus depuis des traducteurs de renom (ayant à leur actif la version française de nombreux textes vampiriques). Un premier trait d’union entre la production anglophone et l’édition francophone sur la figure du vampire, en somme.
Anne Rice n’est traduite en France qu’en 1988, soit dix ans après sa sortie américaine. La suite d’Entretien avec un Vampire, Lestat le vampire, suit en 1989. L’impact des Chroniques, associé aux sorties les années suivantes du Dracula de Coppola (1992) et d’Entretien avec un Vampire de Neil Jordan (1994) va conduire une première vague d’auteurs (et de maisons d’édition) a se pencher sur le cas des vampires. Le premier essai francophone (à ma connaissance) sur le thème ne s’intitule-t-il pas Anne Rice et les Vampires ? Il s’agit du 39e numéro de la revue Phénix, essentiellement constitué d’articles de fond sur la créature, signés notamment par Denis Labbé, Jean Marigny, Alain Pelosato, Roger Bozetto, Jacques Finné. Mais aussi des poésies et quelques nouvelles. On tient là sans doute une des premières publications moderne et française autour des vampires (1995), qui tend à démontrer que le passage entre les auteurs anglophones et francophones s’est déjà fait par une étape autour de l’étude des constituantes modernes du mythe.
Le fanzinat s’empare rapidement du sujet, autour de publications amateures comme Vampire Dark News et Requiem, Archives du vampirisme. La première fonctionnera de 1995 à 1999, et comptera pas moins de seize numéros. Imprimé en noir et blanc, regroupant des chroniques, des articles et des nouvelles, le fanzine est géré par l’association Vampire Story. Derrière une équipe stable (Sandrine Armirail, Nathalie Dessart, Adam Joffrain, Katia Bessay), on peut noter la participation de Jacques Finné, Romain d’Huissier (auteur de jeux de rôles) Isabelle Troin (devenue la traductrice d’Anita Blake), Barbara Sadoul ou encore Jean Marigny. L’association aura également publié une anthologie, Millenium vampire (2001), après s’être métamorphosée en site internet (et son forum).
Requiem, Archives du vampirisme a une histoire assez similaire. Créé par le Cercle d’Études Vampiriques (fondé par Léa Silhol), une association également consacrée aux vampires, cette publication papier aura connu dix numéros entre 1996 et 2001, proposant des articles, des nouvelles, des chroniques de films, de livres… Parmi les rédacteurs et intervenants on retrouve ici Léa et Greg Silhol, Jacques Finné, Jean Marigny, Alain Pozzuoli, Richard D. Nolane… dont une partie rejoindra les futures éditions de l’Oxymore.
« Pocket Terreur », la collection de la maison d’édition du même nom, va en parallèle être une vraie locomotive pour les littératures fantastiques en France. Si elle arrive sur le marché en 1989, ses premiers titres vampiriques sont anglophones, notamment Miroir de sang de Dead R. Koontz et Salem de Stephen King. Patrice Duvic, chef d’orchestre de la collection, va ainsi contribuer à l’arrivée sur le marché francophone des romans des décennies précédentes sur le sujet (Anne Rice, Ray Garton, Fred Saberhagen). Il va également publier la première série vampirique française : la Trilogie en Rouge de Jeanne Faivre d’Arcier, dont les deux premiers tomes sortent en 1995 et 1997. Le dernier tome, quant à lui, ne verra le jour que bien plus tard, lors de la reprise de la série chez Bragelonne, en 2012.
En parallèle à Pocket, Denoël est relativement active sur le thème du vampire à cette époque. Sans même rappeler Territoires de l’inquiétude et Sylvana, la maison d’édition publie une salve assez importante de romans sur le sujet entre 1989 et 1996, au sein desquels on peut citer Helena von Nachtheim d’Yvon Hecht (1996), Né d’entre les morts de Nathalie Bernard (1998), L’Invitée de Dracula de Françoise-Sylvie Pauly (2001). Des auteurs français, choisissant l’Europe comme terrain de jeu pour leurs histoires, lesquelles sont centrées autour de personnages féminins emblématiques. Les graines plantées par Anne Rice semblent donc avoir pris racine, même si les personnages mis en scène héritent davantage de la littérature gothique du XIXe s. que de Lestat et ses pairs.
Dans le sillage de Pocket (qui cessera ses activités en 2003) et Denoël, des structures comme Les éditions de l’Oxymore (nées en 1999) vont par la suite autant mettre à disposition des lecteurs des textes anglo-saxons jusqu’alors non traduits (et récents) sur le sujet, que donner la possibilité à des romanciers et nouvellistes français de se faire éditer. Dès sa naissance, la maison d’édition se montre particulièrement intéressée par la figure du vampire, mais pouvait-il en être autrement quand on sait que les gens qui sont à la base de la structure étaient jusque-là actifs au sein du Cercle d’Études Vampiriques. Passionnée par le vampire, l’auteur – anthologiste – romancière et nouvelliste Léa Silhol va offrir la possibilité aux lecteurs de connaitre le travail de romancières anglophones comme Tanith Lee, Storm Constantine, mais aussi publier des auteurs tels que Sire Cédric, Alain Pozzuoli et Estelle Valls de Gomis. On doit également à la maison d’édition d’avoir fortement contribué à l’arrivée de l’Urban Fantasy en France. Et d’avoir inauguré leur catalogue par un recueil d’articles sur les buveurs de sang : Vampire, Portraits d’une ombre.
Rapidement, les éditions de l’Oxymore ne sont plus les seules à donner voix au chapitre aux auteurs français, notamment sur le thème du vampire. Les éditions Nuit d’Avril (nées en 2003), voient ainsi les premiers romans de Virginia Schilli (Par le sang du démon en 2006 et Délivre-nous du mal en 2007), Ambre Dubois (le Manoir des immortels en 2007) ainsi que les recueils de nouvelles Déchirures de Sire Cédric et Le Cabaret Vert d’Estelle Valls de Gomis. Des textes majoritairement écrits par des femmes (c’était déjà le cas de Jeanne Faivre d’Arcier), mettant en scène des vampires à la psychologie torturée dans des contextes historiques comme le moyen-âge ou l’époque victorienne. La filiation avec Anne Rice, dans la manière d’aborder les créatures de la nuit, transparaît d’emblée. De même que la mythologie utilisée, qui invoque autant les classiques victoriens que les Chroniques de la créatrice de Lestat. On peut également ajouter à cela Nestiveqnen avec les Compagnons d’Hela de Manou Chintesco (2004), ou encore Mnémos avec l’Instinct de l’équarrisseur de Thomas Day (2002), qui est un des seuls écrivains masculins à avoir utilisé le vampire dans un roman à cette époque. Mais à ce moment-là, rares sont encore les romanciers à choisir l’époque contemporaine comme toile de fond, le recours au XIXe siècle dominant encore très nettement.
Article intéressant ; juste une petite précision : « Pauvre Sonia » et « Le Chupador » de Seignolle ne sont pas des romans mais des nouvelles !