Collectif, dirigé par Gianni Pilo et Sebastiano Fusco. Storie di vampiri

L’ANTHOLOGIE VAMPIRIQUE DU SIÈCLE

J’ai bien pesé mes mots ! Voici un volume (de poids) à conserver précieusement et à lire, à relire jusqu’à plus soif… à condition de comprendre l’italien. Il n’est qu’à espérer qu’un éditeur francophone aura le courage d’adapter en français (et sans coupure !) pareille somme centrée sur un des plus grands thèmes fantastiques de la littérature.

En 1960, un éclair illuminait le ciel des adorateurs du vampire – nettement moins nombreux à cette époque que de nos jours : la maison Feltrinelli, un des plus grands éditeurs italiens, sis à Milan, publiait I Vampiri tra noi, d’Ornella Volta et Valerio Riva, la plus volumineuse anthologie vampirique jamais parue alors (790 pages dans un corps très serré) qui occupera son trône très longtemps – « souvent imitée, jamais égalée » 1. Et quel pactole ! Trente-sept textes qui campent le vampire sous tous ses aspects, dans toutes ses nuances – de Polidori à la science-fiction, en passant par Goethe, Hoffmann 2 , Le Fanu, Poe, Gautier, Gogol, Dumas, Benson, Crawford 3, James 4, Bradbury… tous écrivains que les amateurs connaissent à présent depuis belle lurette, mais auxquels s’ajoutaient quelques noms-surprise, tels Thomas Narcejac ou Lawrence Durrell. Deux ajouts de taille complétaient avec bonheur la compilation : des textes théoriques sur le vampire (de Calmet à Van Swieten en passant par Voltaire) et de riches indications bibliographiques sur les écrivains retenus.

Treize ans plus tard, Robert Laffont a enfin le réflexe de présenter une version française de ce monument de la littérature – au prix d’une double tricherie. D’une part, il n’a retenu qu’une vingtaine de textes sur les trente-sept rassemblés par les anthologistes. D’autre part, mieux encore, il a tout fait pour que le public croie que c’est Roger Vadim, le responsable de ce monument alors que le cinéaste play-boy s’est contenté d’écrire une préface d’une rare mièvrerie 5. Pendant des années, c’est cette anthologie-là, amputée et annexée, qui occupera le trône des anthologies vampiriques de base en français.

Le temps a passé. Le vampire est devenu « super star », et Dracula est « dans tous ses états 6 ». La consécration : en 2019, nouvel éclair (aveuglant) dans le ciel vampirique ! Gianni Pilo et Sebastiano Fusco comblent les spécialistes avec Storie di vampiri (Rome, Newton Compton) 7. Le pavé « fait » 1016 pages (plus de soixante-dix textes) – mais, si l’on compare les typographies des deux anthologies, on peut carrément écrire que la nouvelle équivaut au double de l’autre. Sans conteste possible, la nouvelle compilation est l’événement du siècle (dans le domaine vampirique) – et le restera longtemps. Les responsables ont exploré le thème avec une minutie qui fera les délices de bien des lecteurs, même aguerris – à condition de lire l’italien ! On attend avec impatience (sans trop y croire) l’éditeur qui publiera (honnêtement, cette fois) la traduction de cette pyramide érigée à la gloire du plus célèbre saigneur de la nuit.

La pyramide offre cinq salles à l’explorateur avide (pardon pour le pléonasme) :

> Avant Dracula, avec les trésors classiques (douze nouvelles) : les mêmes que celles rassemblées par Volta/Riva plus quelques autres « incontournables ». À signaler que, cette fois, les deux Crawford entrent dans la ronde.

> L’ère Dracula (vingt-deux nouvelles) de maîtres tout aussi classiques (et presque tous connus des amateurs) : Stoker, James 8, Benson, Rowan, Howard, Derleth, Jacobi, Smith, Worrell, etc. 9

> Les héritiers de Dracula (vingt nouvelles) qui rassemblent de vieilles connaissances (Whitehead, Wellman, Quinn, Bloch, Wandrei, Bouquet…) et des auteurs moins connus voire inconnus : Hermann Mudgett, John Ballincourt, Randall Garrett, Tom Rawson Hilbourne…) Joies des retrouvailles et des découvertes.

> Dracula demain (quinze nouvelles) offre les mêmes joies. Les anthologistes ont réuni, pour terminer, des récits de vampires un peu hors thème « traditionnel » (vampires psychiques ou projetés dans la science-fiction ou la fantasy) : Catherine L. Moore, Wellman, Van Vogt, Howard… et des nouveaux venus (toujours pour moi) : Ives Theriault 10, Rog Phillips, Cliffort Ball

> Les appendices constituent une crypte au trésor pour les véritables amateurs !

>> D’abord une curiosité : « L’Histoire d’Apollonius de Tyane », de Philostrate (IIIe siècle après J.-C).

>> Quelques textes théoriques : Van Swieten, Colin de Plancy (étrangement, rien de Calmet, sauf quelques notes de bas de page)

>> La famille vampirique : dhampire, goule, katakani, lamies…

>> Une très riche filmographie – à mon avis : je rappelle que je ne raffole pas des films fantastiques et que mon opinion, dans ce domaine, compte pour du beurre.

>> Une tout aussi riche bibliographie : études anciennes, modernes, les grands noms de la littérature, les principales anthologies.

>> De riches notes bibliographiques des auteurs choisis.

Une (grosse) cerise sur un (gros) gâteau : ce trésor de la littérature vampirique, joliment relié, coûte… moins de dix euros. S’il reste encore des sceptiques pour ne pas croire aux miracles…

Collectif, dirigé par Gianni Pilo et Sebastiano Fusco. Storie di vampiri

Notes:

  1. Deux ans plus tard, Ornella Volta revenait à la charge avec une remarquable étude, très… pointue, richement illustrée, qui reste une référence absolue : Le Vampire que Jean-Jacques Pauvert a publié dans sa série « Bibliothèque internationale d’érotologie ». À noter que l’étude fut écrite directement en français.
  2. Je me dois de souligner la bourde classique : la (superbe) nouvelle de E. T. A. Hoffmann est une histoire de goule, non de femme vampire.
  3. Francis Marion, non sa sœur Anne, auteure elle aussi d’une remarquable nouvelle vampirique.
  4. Montague Rhodes, pas Henry.
  5. Les noms de Volta et de Riva n’apparaissent même pas sur la couverture. Une étrange coïncidence (???). Deux ans plus tôt, sortait le (superbe) Et mourir de plaisir, de Vadim qui s’est très librement inspiré de la Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu. La photo du baiser lesbien que s’échangent les deux protagonistes est dans toutes les mémoires.
  6. Pour reprendre l’aimable expression de Jean Marigny.
  7. Merci à Lady Christelle qui m’a fait connaître l’anthologie.
  8. Voir note n°4.
  9. Avec une grosse surprise (pour moi en tout cas) : outre Neando Bindu, j’ai découvert « Il Dottor Nero » de Daniele Oberto Marrama.
  10. Il n’a laissé qu’un très petit nombre de nouvelles ; « The Barren Field » (reprise dans l’anthologie) a paru dans Weird Tales en novembre 1949, soit douze ans après sa mort.

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