Finné, Jacques. Panorama de la littérature fantastique américaine

Sorti en 1993, 1999 et 2006 aux éditions Cefal, Le Panorama de la littérature fantastique américaine est un copieux essai en 3 volumes de Jacques Finné, traducteur particulièrement actif aux Nouvelles Editions Oswald, et à qui ont doit plusieurs titres d’importance sur la figure du vampire, à commencer par le Dracula de Bram Stoker (traduction qui prit la suite de celle de Lucienne Molitor et cohabite depuis quelques années avec celle de Jacques Sirgent). Le Panorama, qui couvre toute la production fantastique américaine depuis la fin du XIXe jusqu’en 1985, est ici réédité chez Terre de Brume dans une intégrale pour le moins luxueuse : hardcover et papier glacé. Mais que vaut le contenu, alors qu’on est en 2018 et que près de 30 ans se sont écoulés depuis le point final mis par l’auteur au tome 3 original ?

Il convient déjà de préciser que les différents opus ont été revus par l’essayiste, qui a corrigé pas mal de choses, aussi bien sur le fond que sur la forme. L’ouvrage se dote en sus d’une copieuse introduction et d’un avant-propos qui pose le contexte initial d’écriture, et fait une mise au point concernant la période étudiée. Compte tenu de la forte production dans les littératures de genre ces dernières années, le moment est particulièrement adapté pour revenir sur la genèse du fantastique américain, qui semble s’être dilué là-bas (voire comme chez nous) dans le giron imaginaire. Qu’on soit d’accord ou pas avec cette assertion, elle n’enlèvera pas la frustration de ne pas voir figurer certains ouvrages sortis depuis (pour en choisir un au hasard, le Enter de Michael Rowe), notamment certains romanciers (Simmons est réduit à une notule sur Le Chant de Kali) mais il y a déjà une matière particulièrement dense (euphémisme vu tout ce qui reste à redécouvrir) en se limitant au siècle parcouru.

Finné aborde en premier lieu la genèse du fantastique américain sous forme chronologique, partant des premiers textes du genre (fortement influencés par la production du Vieux Continent), pour se concentrer ensuite dans le détail sur l’époque des pulp, particulièrement riche en nouvelles dans le genre (merci Weird Tales). Il n’en oublie pas pour autant de mettre l’accent sur les grands leader de la période (la partie sur Lovecraft, particulièrement détaillée, mais aussi celles consacrées à Smith et Howard), voire de passer en revue un nombre impressionnant d’auteurs ayant contribué à cet âge d’or (pour certains jamais traduits en français, ou tombés dans l’oubli outre-Atlantique). Un travail certes subjectif et partial (l’auteur ne s’en cache pas, et ce dès la préface), mais qui n’en demeure pas moins à saluer compte tenu de la masse de textes à redécouvrir. On y retrouve ainsi des noms tels que Kirk Mashburn, D.H. Keller, Hugh B. Cave, Catherine L. Moore, Edmond Hamilton, … Des romanciers et nouvellistes qui s’avèrent pour beaucoup assez touche-à-tout (et pas forcément uniquement voué au fantastique, pour certains leur production afférente se limitant à quelques nouvelles), et dont beaucoup ont joué avec la figure du vampire (ne serait-ce que les susmentionnés).

La deuxième partie de l’ouvrage propose d’explorer l’après pulp, et donc un visage plus moderne du fantastique américain. C’est une partie plus courte, mais elle permet de dresser le portrait des principaux tenants du genre jusqu’en 1985, qu’ils aient frotté ou pas leur plume aux publications telles que Weird Tales. Là encore, des biographies détaillées, et de nombreuses nouvelles et romans passés en revue par l’essayiste.

Enfin, l’ouvrage se termine sur une imposante segmentation thématique. Jacques Finné y passe au crible la saga des textes s’attachant tour à tour aux loups-garous, vampires, zombies, goules, fantômes, etc. Bien évidemment, c’est l’article sur le vampire qui est un des plus complets (on sent que l’auteur s’est fortement immergé dans la thématique), ne négligeant ni les séries et romanciers phares (Fred Saberhagen, Anne Rice) arrivés jusqu’en France, et ceux dont on a brièvement (Les Daniels, Chelsea Quinn Yarbro) ou pas du tout (Michael Talbot) entendu parler dans le pays de Voltaire, faute de traduction. Les textes sont étudiés dans le détail, et même ceux qui croient connaître la production sur le bout des doigts risquent d’avoir quelques surprises. On peut être d’accord ou non avec les remarques de Finné (je pense à sa position sur le gore, que je ne partage pas), mais ces regroupements thématiques ne manquent pas d’intérêt et démontrent un colossal travail préparatoire, surtout quand il propose des subdivisions en fonction des courants qui sous-tendent l’ensemble.

J’ai, pour ne pas uniquement me focaliser sur le vampire, particulièrement apprécié la partie sur les fantômes, qui m’a mis un coup de projecteur sur le roman Notre vénérée chérie, de Robert Marasco, qui a servi de matière première au Burnt Offering de Dan Curtis. Et d’autres romans qui semblent partager cette thématique de la maison maudite / hantée. J’ai également été très interessé par la partie que l’auteur consacre à Shirley Jackson, une auteur dont les romans Maison Hantée et Nous avons toujours vécu au château m’ont fortement impressionné, et que Finné dissèque avec intérêt.

La littérature fantastique telle que l’ont longtemps caractérisée les chercheurs n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui. Finné, en 1985, ne s’y trompait déjà pas, préférait définir le genre à sa manière plutôt que d’en appeler à Todorov. Les lecteurs en mal de nouvelles lectures ès fantastique devraient sans mal trouver matière à dans ce copieux ouvrage (près de 600 pages et une importante bibliographie), qui remet le curseur sur un genre qui naviguait encore, lors de sa publication, en eaux troubles. En tout cas, un essai qui se lit le stylo à la main, et avec un carnet à disposition, pour relever les références de futures lectures. Indispensable (et sans doute un des plus beaux livres que j’ai eu l’occasion de lire chez cet éditeur, tant l’objet est soigné) !

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