Maïorana, Bruno. Interview du dessinateur de D

Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaitraient pas encore ?

Bon… Disons que mon parcours n’est pas très original, en réalité… En gros, je rêve de faire de la bande dessinée depuis que je suis môme. Plus exactement, je rêvais de devenir dessinateur, exclusivement. Pas coloriste, pas scénariste. Juste dessinateur. Ensuite, quelques années plus tard, beaux-arts. Viré à la fin de la première année. Ecole de BD d’Angoulême. Viré en fin de première année. Puis travail dans le dessin animé, jusqu’en 1993, où enfin le rêve d’enfance devient réalité, avec la signature du premier tome de Garulfo. Voilà. Jamais simple de parler de soi…Je veux dire, sans paraitre pompeux, ou trop modeste, ou trop… Immodeste. Jamais simple, c’est un fait.

Ce qui est sûr, c’est que je me vois comme une sorte de dessinateur « exclusif ». Je n’ai jamais ressenti le besoin, l’envie, que sais-je encore, de me consacrer au scénario. Encore moins à la couleur. D’ailleurs, pour ce qui concerne la couleur, je dois admettre que je dois faire partie des plus mauvais coloristes. Pas de France. Pas du Monde. De la galaxie. Par instant je me demande même si je n’en ressens pas une sorte de perverse fierté… Ce qui nous amène naturellement à la réponse à la prochaine question : je ne puis physiologiquement signer les couleurs de quoique ce soit. Dans cette galaxie… Mais j’ai entendu dire à une ou deux reprises que mon nom était associé à une carrière menée outre-Atlantique… Un mystère par moi toujours pas élucidé, je dois admettre humblement.

Durant votre carrière, vous avez également signé la couleur de plusieurs comics américain, essentiellement dans l’univers de Batman. Avez-vous un intérêt particulier pour ce personnage ? Faut-il y voir les prémices d’un intérêt pour les créatures de la nuit ?

Well. Voir plus haut, donc…

Comment passe-t-on de l’ambiance très féérique et humoristique de Garulfo à un univers gothique comme celui de D ? Le dessin comme les ambiances sont quand même radicalement différents ?

Voici une question qui nécessite une réponse un peu longue. Mais pas trop absconse, espéré-je. Comment passer de l’une à l’autre ambiance… Comme on peut, en fait… Lorsque Garulfo fut entrepris, force m’est d’admettre que ce n’est pas exactement ce que je m’imaginais dessiner alors. Loin s’en fallait. J’aspirais à de sombres atmosphères. De menaçantes nuits, aux nuages annonciateurs d’orages plus que naturels. J’aspirais à des mondes de ténèbres, peuplés de créatures envoûtantes et mortelles. Et érotiques. J’aspirais à des histoires où des crocs brillent dans la nuit. Et me retrouvai donc à dessiner de bondissantes grenouilles. Mon naturel me poussait vers un dessin non pas seulement réaliste, mais sombre. Et là, avec cette grenouille, il allait falloir y aller d’expressions toutes plus outrancières les unes que les autres… L’exercice fut rude. Mais instructif. Et jouissif en définitive.

Puis il y eut « D ». Tout ce que j’avais si laborieusement mis en place, ces expressions exagérées, ce jeu à « l’italienne », tout ça ne servait plus à rien. Il allait falloir lorgner vers John Cleese. Plus vers Vittorio Gassman. Pas simple. Pas simple du tout. Quant aux ambiances… Ce sont les ambiances à la Garulfo qui me sont étrangères à la base. Les ambiances victoriennes, ces intérieurs surchargés, la pluie, le smog. Les vieilles pierres tout de même. Les ambiances victoriennes me sont plus aisées.

Maïorana, Bruno. Interview du dessinateur de DGraphiquement les lieux connus mis en scène sont très proches de la réalité. Vous êtes-vous basé sur des photos ou vous êtes-vous rendu sur place pour faire des croquis / des photos ?

Alain et moi nous sommes rendus à Londres il y a quelques années. Histoire de se plonger dans l’ambiance encore particulière de cette britannique capitale. J’ai pris de nombreuses photos. Mais Londres, dans notre histoire, est une sorte d’acteur… C’est une idée de Londres, que je tente de donner. Non pas un exercice documentaire. Pour ça il faut savoir précisément de quoi on cause, l’air de rien ; mais, après tout, il en allait déjà de même sur Garulfo. Je ne me suis jamais considéré comme un médiéviste forcené.

Bref. Londres est un acteur, pas seulement un lieu. En quelques occasions, on place l’action en des lieux chargés d’histoire, hautement symboliques. Comme le cimetière de Highgate. Et là il faut bien que l’on puisse éventuellement le reconnaître. Comme pour la cité, il s’agit d’une idée de Highgate, et non de Highgate lui-même. Nous nous référons à Stoker, de façon plus ou moins démonstrative, mais continuellement. Son Dracula reste l’un des plus beaux bouquins que j’ai lu. Et relu. J’en ai lu, des livres, autour du vampirisme, par pur plaisir, bien avant d’entamer D. Beaucoup de mauvais, de très mauvais. Et quelques bons. Et quelques vraiment bons… Cette réponse couvre de fait en partie la prochaine question, je crois bien…

Ce second tome se rapproche des classiques sur le sujet, notamment de Dracula, en intégrant de nombreux clins d’oeil (Highgate par exemple). Votre volonté est-elle d’ancrer la série dans ce référentiel ou de vous en détacher au fur et à mesure ?

Adonc, voir plus haut…

A cet égard, l’expérience chamanique du héros lors de son périple en Afrique explore des sentiers peu balisés dans le thème du vampire. D’où vous est venue cette idée ?

Expérience chamanique. C’est exactement ça. Bien dit. Mais ici, je crains qu’il ne faille poser la question à Alain. Car cette expérience joue autant un rôle comme ressort dramatique que comme explication à d’aucunes situations à venir. Ou pas. Je ne fais point exprès d’être flou. Simplement, certains éléments sont de vrais ingrédients manipulés par Alain comme un grand chef manipule certaines épices dans le plus grand secret…Il ne me dit pas tout… Et j’aime ça… Car je suis aussi celui qui réagit en premier, comme simple lecteur. Je précise toutefois que je connais évidemment la trame générale. Mais pas le détail.

Maïorana, Bruno. Interview du dessinateur de DQuelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographiques) ?

Première rencontre… Elle remonte à mon enfance. Un soir je me levai en cachette et eus la chance (malchance ?) de regarder en silence, et fort bien dissimulé, le sublime Nosferatu de Murnau. Il passait à la télé, dans le cadre du cinéma de minuit. Un autre temps… Peu de chaines… Interdiction de regarder tard la télé… Un autre temps, pour le moins. N’empêche, j’eus cette possibilité : voir le vampire le plus effrayant (selon moi) de toute l’histoire cinématographique. J’en ai cauchemardé pendant des semaines. Ce Nosferatu est une adaptation du roman de Stoker, maligne, mais je ne t’apprends rien. Donc mon premier vampire n’était autre que Dracula en personne, d’une certaine façon. Pas mal. Mon destin était scellé… Bon, ça fait un peu mélo, là, dit comme ça. Mais je garde des images très précises de ce film gra
ndiose, aujourd’hui encore (je veux dire, en dehors du fait que j’ai évidemment depuis revu ce film dans des conditions plus…« normales »…).

A l’adolescence, enfin j’entreprenais la lecture du roman de Stoker. Il y avait chez mes parents une vieille édition, de chez Marabout. Une couverture noire, avec un profil et un filet de sang. Rouge sur fond noir. Effrayant. Fascinant. La perfection, que ce contraste, dont je ne me suis pas écarté, plus de vingt ans plus tard. Je me souviens qu’à l’époque, le nom même de Dracula me faisait froid dans le dos. Mais le Nosferatu, décidément, ancré profondément dans mon imagination, m’obligeait à lire ce livre presque maudit… Mais je commence à digresser…

La dernière rencontre n’est toujours pas littéraire, et pas tout à fait cinématographique. Il s’agit de la série de HBO : True blood. Une série bien plus maligne qu’elle n’en a l’air. Erotique, ésotérique, sanglante, avec des héros fades à souhait (contrairement aux personnages secondaires, mais est-ce un hasard…). Je pourrais en parler longuement, mais je craindrais n’être rapidement très ennuyeux. Je suis un médiocre plumitif, c’est un fait. Ce qui n’est pas si grave, dessinateur que je suis.

Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?

Voici la question la plus délicate. La plus intéressante. Celle qui m’oblige à risquer de faire trop long. Ennuyeux… Pour moi, le mythe du vampire n’est pas un simple mythe. Mais bien un « super-mythe », car il réunit plusieurs mythes horrifiques, de fait, et de nombreuses questions d’ordre existentiel. J’avais prévenu… Je risque de devenir ennuyeux… Le vampire est un personnage surpuissant, en tous points. Dangereux, maléfique… J’enfonce des portes ouvertes… Il pose la question de notre rapport à notre mortalité. Il est résolument sexuel. Mortifère. Eros-Thanatos… Equation effrayante, irrésistible surtout. L’homme veut posséder son imparable pouvoir de séduction. La femme rêve d’être séduite par icelui… Tout le monde y trouve son compte. C’est un personnage fantasmatique. Fantasmagorique.

En fait là encore je pourrais en parler pendant des plombes… Mais ce que je dirais ne serait pas nécessairement pertinent. Et sur un site tenu par quelqu’un qui visiblement n’est pas en reste en matière de vampiriques connaissance, il pourrait y avoir comme une redondance. Au fond, ce qui est séduisant, profondément, c’est la beauté même de ce mythe, et, après toutes ces années, je n’ai jamais changé d’avis à ce sujet : je trouve que ce mythe est beau. Simplement !

Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?

Pas de projets particuliers sur ce thème. Pour l’instant. Mais, maintenant, comme par le passé, et comme dans l’avenir, c’est un sujet qui m’inspire profondément, et il m’arrive de faire quelques illustrations autour de ce thème. Des illustrations que je n’ai point encore montrées. Un jour, peut-être 😉 Voilà ce que je peux répondre. C’est un peu décousu. Pas forcément de la plus haute pertinence, je crains… Mais j’ai une excuse : je ne suis qu’un modeste dessinateur… Et plus sérieusement, je suis dans une période de stress, car, comme Alain, j’ai toujours aussi peur d’un mauvais accueil… Rien de très nouveau sous le soleil…

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