Zárate, José Luis. La glace et le sel

Il aura fallu près d’un mois au Démeter pour rallier le port de Varna à celui de Whitby, ville portuaire du Yorkshire. Mandaté pour convoyer des caisses de bois contenant de la terre, l’équipage va peu à peu être confronté à d’étranges manifestations. A commencer par le capitaine qui, rongé par son attirance pour ses hommes d’équipage, se débat bientôt entre rêve et réalité, hanté par ses souvenirs.

José Luis Zárate est une figure emblématique de la littérature de genre au Mexique. En six romans et recueils, on le considère comme le chef de file d’un certain renouveau de la littérature mexicaine. Initialement publié en 1998, ce court roman (160 pages) aura cependant mis près de 10 ans pour trouver un éditeur en France. Et au vu de la puissance qui se dégage du texte, on peut dire qu’il était temps.

L’auteur a choisi de se pencher sur le voyage du Démeter, qui permet à Dracula de poser le  pied en Angleterre. Ce n’est certes pas la première fois que ce voyage est l’objet de réécritures (en comics, il y a Death Ship, et un projet de film porté par Neil Marshall, The last voyage of the Demeter, est une des arlésiennes du vampire au cinéma depuis au moins 2011/2012). A la différence du comics précité, Zárate opte quant à lui pour l’introspection : l’ensemble du trajet, s’il s’appuie sur le journal de bord retrouvé au moment de l’échouage, se passe dans la tête du capitaine. La narration se fait cependant par vague, alternant une phase onirique (qui se mêle progressivement au réel), la phase d’éveil (qui correspond à l’avancée du bateau et à la vie à bord) ainsi que les fragments du journal de bord. Un enchaînement qui devient rapidement cyclique, et accompagne le lecteur d’un bout à l’autre du récit.

La mise en scène de l’auteur met l’index sur la corruption qui règne à bord. Celle du sel et de la glace sur l’étrave du bateau, dans un premier temps, puis celle des esprits, constituée des doutes et des tentations des hommes du bord. La solitude inhérente à un trajet de plusieurs longues semaines appuie lourdement sur les affects des uns et des autres, rendant la frustration obsédante. Avec en pivot la figure du capitaine, central par sa relation au bateau, à ses hommes puis au comte.

Réécriture d’une partie de Dracula oblige, les caractéristiques utilisées par l’auteur restent fidèles à celles déployées par Stoker dans le roman original. Le comte possède la capacité de se transformer en animal (ici en rat) ou en brume, capable de traverser les interstices des caisses qui renferment la terre de ses ancêtres. Il est également capable de s’immiscer dans les esprits de ses victimes et de commander aux éléments. Si sa motivation reste d’atteindre les côtes anglaises, ce pour quoi il s’attaque sans doute dans un premier temps aux rats qui habitent déjà le navire, les hommes d’équipages finissent par succomber sous son besoin de sang.

Un roman très court mais d’un pour autant bluffant, qui ne se borne pas à réécrire les journal de bord du Démeter, mais vient remplir les espaces laissés vacants par la plume de Stoker. L’ambiance onirique du récit, où les rêves et désirs du capitaine prennent une place prépondérante, le style puissant et visuel qui donne corps au théâtre des événements, tout concourt à faire de ce récit un incontournable pour les amateurs de fantastique (et bien évidemment les aficionados du Dracula de Bram Stoker).

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