Hagio, Moto. The Poe Clan. Volume 1

Au cœur de l’Angleterre du XIXe siècle, les Portsnell se sont installés dans le mystérieux village de Poe. Mais Frank, Sheila, Edgar et Marybelle ne font que se donner l’apparence d’une famille normale : ce sont des Vampirnella, des créatures quasi immortelles qui se nourrissent de l’énergie vitale des humains. Edgar et Marybelle, abandonnés durant leur enfance, ont été pris sous leur aile par le Lord et sa compagne, qui ont fini par les transformer. Dans l’espoir d’aider Marybelle à retrouver la santé, le quatuor décide de quitter leur quiétude et de s’installer à Londres. Rapidement, Edgar ressent l’envie de se mêler aux humains, et s’inscrit dans une école pour jeunes garçons. Là, il rencontre Alan, un des élèves, qui s’avère attiré par Marybelle.

Pō no Ichizoku (The Poe Clan en anglais) est un manga de Moto Hagio, initialement publié entre 1972 et 1976. Scénarisé et dessiné par l’une des chefs de file du shōjo moderne, l’histoire originale a été regroupée en cinq recueils, dont la traduction anglaise est en cours. Même s’il s’agit de la première œuvre longue de Hagio, la série n’en est pas moins déjà porteuse des thèmes chers à l’auteur, à commencer par l’idée d’une famille dysfonctionnelle, un recours appuyé au tragique et ce choix de camper des personnages masculins porteurs d’une certaine androgynie (ce qu’on nomme shōnen-ai au Japon), tout en flirtant avec l’homoérotisme.

Si l’histoire se concentre dans ses premiers (courts) arcs sur les rencontres épisodiques entre Edgar et Marybelle et d’autres êtres humains, tout change au moment où les quatre Vampirnella posent leurs valises à Londres. Progressivement, l’auteur dessine les relations complexes qui unissent les Portnell, se focalisant sur l’opposition entre Edgar et son « père ». Le vampire, bloqué dans le corps d’un adolescent, rejette ce que lui impose sa condition. L’autrice, lors d’une interview menée en 2005 par Rachel Thorn, traductrice anglophone de la série, soulignait son ambition de se mettre à la place du vampire. Ce faisant, elle préfigure le Entretien avec un Vampire d’Anne Rice, qui ne sera publié qu’en 1976. Mais pour la mangaka, il y a là aussi métaphore de son propre rejet de ses parents, qui n’acceptent pas ses choix de carrière (le manga).

Hagio a régulièrement recours à des rebondissements tragiques, n’hésitant pas à malmener (et parfois tuer) ses protagonistes, ce qui donne à Pō no Ichizoku la mesure d’une tragédie shakespearienne. L’ombre du dramaturge est d’ailleurs convoquée dans la dernière partie du présent omnibus, quand les jeunes garçons de la pension suisse où viennent d’arriver Alan et Edgar se décident à monter une adaptation de Comme il vous plaira. Il y a aussi là, pour l’autrice, l’opportunité de jouer un peu plus avec la notion de genre, les protagonistes féminins de la pièce se déguisant en homme (et sont dans le cas présent joués par des personnages féminins androgynes). Entre cette dernière partie, où les deux Vampirnella sont seuls, un long arc revient sur l’histoire de Marybelle et d’Edgar, depuis le moment de leur abandon jusqu’à ce que la vieille Poe – qui se révélera être la reine des vampires – ne les recueille.

S’ils sont nommés Vampirnella dans la série, Edgar, Marybelle et leur « famille » s’apparentent bel et bien à des vampires. Ils peuvent se déplacer en plein jour, mais n’en sont pas moins immortels et s’abreuvent de l’énergie vitale de leurs victimes. Ils semblent également pouvoir être tué si on leur enfonce un pieu en plein cœur. Les Vampirnellas ne sont transformés qu’à l’âge de 25 ans, et se structurent en clan. On apprend également que les plus anciens rentrent en sommeil durant des dizaines d’années, par période. Ils semblent enfin disposer de quelques pouvoirs de suggestions. À travers le monologue d’Alan qui marque le déroulement d’un des arcs majeurs de l’histoire, on peut noter que l’autrice montre un vampire en lutte contre sa propre condition, soulignant que l’immortalité n’a pas grand intérêt vu que les Vampirnellas n’ont plus aucun but à leur existence.

Ce premier volume imposant (près de 500 pages) est à n’en pas douter une pièce majeure pour qui s’intéresse à la manière dont le vampire a pu évoluer à travers la fiction, notamment le manga mais aussi la littérature, de manière plus générale. La mangaka y distille plusieurs thèmes récurrents dans son œuvre, que ce soit ses personnages androgynes, la mise en scène de familles aux relations conflictuelles, et un certain amour de la tragédie. S’il y a de la romance dans The Poe Clan, elle n’est jamais mièvre, et sert au mieux l’intrigue. À se demander pourquoi un titre aussi majeur n’a pas encore bénéficié d’une traduction française (et vient seulement d’être traduit en anglais).

Hagio, Moto. The Poe Clan. Volume 1

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *