Murat, Thierry. Interview avec l’auteur de Ne Reste que l’Aube

Bonjour, Thierry Murat. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?

Murat, Thierry. Interview avec l'auteur de Ne Reste que l'AubeJe suis auteur de bande dessinée depuis le début du XXIème siècle (après avoir été graphiste dans le milieu de la communication au XXème siècle). J’aime la poésie de Thierry Metz ou de Philippe Jaccottet, les espaces sauvages des Landes de Gascogne où je vis, la vie rurale un peu rude, les ciels immenses au dessus de la ligne d’horizon très basse. J’aime Rimbaud, Radiohead, Neil Young et Victor Hugo. J’ai adoré la ville jusqu’à la fin du XXème siècle et aujourd’hui je la déteste avec ses épiceries bio et ses bars à maté… Je hais les donneurs de leçons, les réseaux sociaux, l’idéologisme et la pseudo-littérature documentaire qui envahie les tables de libraires. Après avoir publié pas mal de livres en tant que (simple) dessinateur, depuis 2015 j’écris les livres que je dessine et je dessine les livres que j’écris ; uniquement de la fiction. Les récits du réel m’emmerdent. La fiction, c’est ce mensonge qui dit la vérité. Exactement l’inverse de la fakenews.
Je suis un misanthrope qui aime les gens.

Ne reste que l’aube est votre 10e album BD, le premier à convoquer la figure du vampire. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet ?

Murat, Thierry. Interview avec l'auteur de Ne Reste que l'AubeC’est justement ma misanthropie qui m’a poussé à réfléchir sur l’ébauche de ce récit en 2018, qui finalement est devenu un livre de bande dessinée (sorti en avril 2021), après avoir fui les réseaux sociaux, après avoir observé de loin les confinements et les déconfinements successifs, les gesticulations des uns et des autres et surtout après avoir travaillé comme un ermite pendant plus de dix mois sur l’écriture et le dessin de ce roman graphique.

C’est un peu le livre ultime pour moi. J’ai voulu pousser assez loin (trop ?) ma répulsion pour l’humanité et ses errements incessants, cette humanité qui se donne bonne conscience en permanence… C’est un livre assez nietzschéen, finalement. Un livre qui ne s’encombre pas du bien et du mal. C’est le livre que j’avais envie de faire depuis longtemps, à l’opposé de la moraline qu’on nous sert aujourd’hui à toutes les sauces dans bon nombre de littérature contemporaine et en bande dessinée également. La nouvelle dictature du « camp du bien » me fait flipper.

Votre personnage d’artiste vampire semble autant un moyen de porter un regard omniscient sur les dérives de notre société actuelle que de réfléchir à notre quête constante de l’immortalité. Pour vous, c’est ainsi qu’on peut expliquer la pérennité de cette créature ?

Murat, Thierry. Interview avec l'auteur de Ne Reste que l'AubeLa figure du vampire s’est imposée immédiatement dès les prémices en écriture de ce projet. Pour moi, le plus beau des misanthropes, c’est le vampire. Pas le Nosferatu ou le Stryge. Mais plutôt le vampire post Bram Stoker. Ou bien, alors, le tout premier en littérature… Celui de John Polidori (peut-être devrais-je dire celui de Lord Byron) avec son côté dandy, ultra cultivé, avec cette élégance de l’esprit et cette désinvolture qui permet cette totale liberté de parole. C’est d’ailleurs la liberté de parole qui me manque le plus dans notre misérable nouveau siècle algorithmé. Le pire, c’est que ce n’est pas une censure d’État, comme on pourrait se le faire croire pour se rassurer. C’est une pseudo police de la pensée insidieusement diffusée par la foule ultra-connectée en réseaux. C’est terrifiant… Enfin, moi ça me terrifie. J’avais envie d’incarner un personnage libre. Prisonnier de son enveloppe corporelle contre-nature, mais libre de dire tout son dégout pour cette civilisation techno dépendante, techno-junkie… C’est effectivement ce regard omniscient ultra méprisant et acide que j’ai eu envie de porter sur notre monde contaminé par l’internet 2.0. Rendre compte de mon époque, de mon siècle… N’est-ce pas le boulot de l’auteur, de l’artiste en règle générale, lorsqu’il ne se laisse pas aller à faire des livres suppositoire pour mieux vaseliner le réel ?

Le véritable artiste est un vampire. J’en suis persuadé. Il traverse les siècles ; de par son acuité à observer les changements, les mouvances des êtres humains et de par son immortalité due à la postérité. Même si cette notion de postérité est en train de disparaître. La mémoire collective de l’humanité se réduit comme peau de chagrin. Passés 20 ans, les œuvres ou leurs auteurs disparaissent dans l’oubli. Demain ce sera dix ans… Et après demain, il n’y aura plus assez d’espace de stockage pour tout archiver. Pas sûr que l’on choisisse le meilleur à conserver. Je ne sais pas si c’est grave… Je ne porte pas de jugement. Je regarde… L’artiste observe la vie des humains, comme le fait le vampire. C’est pour cela que ces créatures sont fascinantes.

Si vous vous affranchissez de toute ambiance gothique, en faisant évoluer votre vampire à notre époque, il y a de nombreuses références à ce XIXe siècle où il a vu le jour : Le Golem, Mary Shelley. Un moyen de souligner que les questionnements qui ont donné naissance à ces ouvrages font toujours sens aujourd’hui ?

Oui, sans aucun doute. Ces ouvrages du XIXe siècle sont fondateurs pour moi, mais ce n’est pas là, le plus important. Ils sont surtout fondateurs pour l’humanité et le resteront, même si on les oublie totalement. C’est comme cela que les grands récits deviennent légendes, ou mythologie. Le danger c’est lorsqu’ils deviennent religion… La puissance des grands mythes littéraires est colossale, justement parce qu’elle ne repose pas sur la croyance, mais sur le pacte fictionnel, comme la poésie. Il n’y a rien au-dessus de la poésie. C’est l’art majeur par excellence. Tous les philosophes éclairés vous le diront.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du vampire en littérature ces dernières années ?

Un regard en dilettante… Je regarde cela de loin. Je ne suis ni un spécialiste ni un passionné de ce genre littéraire. Mais j’ai le sentiment que depuis 20 ans, le propos essentiel des récits de vampire se contente d’exploiter l’érotisation du meurtre ou la métaphore de la transmission du mal par le sang (ou de la transmission de la maladie comme dans les années sida). Peut-être que je me trompe… Je ne suis pas bon public sur ce terrain-là, sur la création contemporaine en général. Je lis et relis surtout les anciens.

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?

Murat, Thierry. Interview avec l'auteur de Ne Reste que l'Aube

Mon premier grand choc, ma première vraie rencontre c’est au cinéma avec Klaus Kinski dans le rôle de Nosferatu en 1979, j’avais 13 ans. Il y a dans ce film une esthétique très proche de tout ce que j’aime aujourd’hui. Je ne sais plus si à l’époque je l’analysais en ces termes… je ne l’ai jamais revu depuis. Peut-être pour que le souvenir reste intact ; donc immortel.

Et ma dernière rencontre avec des vampires, c’est chez Jim Jarmusch en 2014. Only Lovers Left Alive est pour moi un grand film. Je ne saurais dire si c’est un grand film de vampire, mais c’est un film fondamental pour moi. L’artiste immortel qui regarde le monde s’effondrer et qui nomme les humains : les zombis, je trouve ça magistralement culotté. Dans mon livre, mon personnage compare souvent l’humanité à un troupeau de cloportes. La boucle est bouclée. N’en parlons plus.

Avez-vous encore des projets de livres ou séries sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?

Je ne pense pas explorer à nouveau le récit de vampire. J’essaye, au fil de mon œuvre, de visiter les différents grands genres littéraires sans m’y attarder plus que le temps d’un livre. Cela me permet d’avancer dans le paysage de la littérature dessinée sans me lasser, et je l’espère sans ennuyer les lecteurs.

Et en ce qui concerne mon actualité dans les semaines et les mois à venir, j’ose espérer que ce seront les lecteurs, justement, qui vont la faire en se plongeant dans la lecture de Ne reste que l’Aube pendant les vacances estivales. Moi, je me retire du jeu quelques temps, histoire de me nourrir d’un sang neuf pour un prochain livre…

Murat, Thierry. Interview avec l'auteur de Ne Reste que l'Aube

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *