Giacometti, Eric. Interview avec le co-auteur du Graal du diable

Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de vampirisme.com ?

Giacometti, Eric. Interview avec le co-auteur du Graal du diableJe suis co-auteur de thrillers historico ésotériques avec Jacques Ravenne. Nous avons créé deux séries, celle du Soleil noir qui se déroule pendant la seconde guerre mondiale, dont fait partie Le graal du diable. Et celle plus contemporaine avec Antoine Marcas, un flic franc-maçon. J’ai été journaliste dans la presse grand public, dont une partie dans l’investigation santé et les grands scandales de santé publique. Jacques était professeur de français, spécialiste de Paul Valery, et a été initié en franc-maçonnerie (moi non). Nous sommes amis depuis le lycée, à l’époque nous partions chercher le Graal à Montségur. Nous avons mené des fouilles à Rennes-le-Château pour retrouver le secret de l’Abbé Saunière (légende qui a donné naissance au Da Vinci Code) et le trésor des Templiers à Gisors. Sans rien trouver, mais nous étions envoutés par ces récits fabuleux. Nous avons toujours gardé en nous cet attrait du légendaire ésotérique. Par ailleurs je suis aussi scénariste de BD. Largo Winch chez Dupuis et plus récemment L’affaire du Mediator pour Delcourt.

Votre roman Le Graal du Diable est sorti en mai 2023 aux éditions JC Lattès. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce nouveau volet des aventures de Tristan Marcas ?

Cela faisait des années que nous voulions intégrer la figure du vampire dans l’un de nos thrillers, mais avec un éclairage en rapport avec notre univers historico-ésotérique. L’idée a jailli avec le film Nosferatu, la première version, celle de 1922. Les critiques font souvent référence au réalisateur Murnau et à l’interprète principal, Max Schreck, en revanche le producteur,  Albin Grau, est passé à l’arrière-plan. Funeste oubli… Grau était membre d’une société secrète allemande, la Fraternité de Saturne, proche des enseignements du « mage » occultiste anglais Aleister Crowley. Grau a créé sa boite de production, Prana, afin de réaliser des films d’inspiration ésotérique et Nosferatu a été son premier film, un plagiat de Dracula. Il a joué un rôle de premier plan sur l’apparence du personnage, les décors et aussi quelques éléments du scénario. Comme par exemple la lettre lue par Nosferatu et qui est truffée de symboles ésotériques. Faites un arrêt sur image sur le gros plan avec cette fameuse lettre. L’imagination d’un auteur de thriller ésotérique galope. La signification de certains symboles est évidente…

Giacometti, Eric. Interview avec le co-auteur du Graal du diable

Albin Grau était passionné par le mythe du vampire. Pendant la première guerre mondiale il a servi comme soldat dans la région du Banat, au nord de la Serbie à la frontière avec la Roumanie. Là-bas il a été confronté aux croyances très fortes sur le vampirisme. J’ai découvert l’influence de Grau dans l’ouvrage de Pacôme Thiellement, Cinema Hermetica. Comme notre saga se déroule pendant la seconde guerre mondiale il fallait aussi qu’il y ait un point d’ancrage avec le nazisme. Nosferatu est sorti en Allemagne pendant la montée d’Hitler. L’un de ses partisans, Julius Streicher, rédacteur en chef de l’organe de presse du NSDAP, était fasciné par ce film voyant dans la figure du vampire une allégorie des juifs qui sucent le sang des Allemands. Une stupidité bien sûr, le scénariste de Nosferatu étant lui-même juif. Par la suite de nombreuses caricatures de propagande odieuse utiliseront cette figure du juif vampire.

Comme à chacun de vos romans, il y a un ancrage historique fort. Ici vous faites se croiser Vlad l’Empaleur, Barbara de Cilli, et l’existence de résistants suspectés de pratiques vampiriques durant la seconde guerre mondiale. Comment avez-vous découvert ces différents personnages et anecdotes (notamment les deux derniers) et comment avez-vous abouti à établir des liens entre eux ?

Giacometti, Eric. Interview avec le co-auteur du Graal du diablePour Vlad ça coulait de source, le personnage était incontournable et Ravenne s’est occupé de lui pour lui redonner vie avant son passage dans le monde des ténèbres… En revanche l’impératrice de bohème Barbara de Cilli est moins connue en France. Son mari, l’empereur de Bohème, avait créé le fameux Ordre du Dragon, dont le père de Vlad faisait partie et a hérité du surnom.  Cette impératrice pratiquait aussi l’alchimie et les sciences occultes… Je l’ai découverte dans ma jeunesse à la lecture d’un livre de Jean-Paul Bourre, Le culte du vampire d’aujourd’hui. Ce livre sulfureux m’avait fasciné, l’auteur spécialiste du satanisme et du vampirisme, y narrait sa quête de « véritables » vampires à Venise et en Roumanie. Et il évoquait cette Barbara de Cilli métamorphosée en reine des vampires. Disons qu’à postériori l’enquête ressemble plutôt à un road trip sous substances…

Concernant les cas de vampirisme survenus en Serbie en 1944, au cœur de l’intrigue de notre roman, il s’agit d’une histoire stupéfiante et pourtant authentique. La région agricole du Banat (souvenez-vous d’Albin Grau, le producteur de Nosferatu) était encore sous occupation nazie, détachée de la Serbie. A partir de mars 1944 un vent de terreur souffle dans les rangs des Allemands, des partisans yougoslaves menés par une femme, Nada la noire, attaquent la nuit des fermes de colons et des détachements de soldats. Ses hommes égorgent les nazis et les vident de leur sang. De rares survivants rapportent qu’elle clame « je bois le sang des Allemands ». Et au petit matin on retrouve des dizaines de cadavres exsangues. Attention ça ne vaut pas dire qu’il s’agissait de véritables vampires, mais que des gens se comportaient comme tel. A ce stade on pourrait se dire qu’il s’agit d’un scénario de série B issu d’une légende urbaine amplifiée et déformée. Seulement voilà bien après la fin de la guerre les témoignages de survivants ont été collectés et le médecin d’une des unités de partisans communistes a rapporté dans un colloque médical avoir été confronté à une fulgurante épidémie de vampirisme dans ses rangs. Épidémie disparue avec la libération du pays. Cette affaire est relatée dans un ouvrage écrit par le Pr Erich Kurlander, Hitler’s monster sur l’ésotérisme et le poids du surnaturel et des croyances dans le nazisme. Je précise qu’il s’agit d’un professeur de faculté et que l’ouvrage a été publié aux Presses Universitaires de Yale. L’un des établissements universitaires des plus prestigieux. Ses sources sont citées et s’appuient sur les travaux d’une chercheuse de l’université de l’Indiana 1.

Vous aviez déjà exploité la figure du vampire (et celle du Graal) dans un roman antérieur consacré à Antoine Marcas : L’Empire du Graal. Y-a-t-il à ce titre des parallèles possibles entre les deux cycles ?

Dans l’Empire du Graal c’était juste un clin d’œil. Dans le Graal du diable, les vampires jouent un rôle prépondérant.

Vos ouvrages sont souvent décrits comme des thriller ésotériques, qui allie une bonne dose de suspense et d’intrigue policière à une dimension mystérieuse et initiatique. Comment concevez-vous la place de la figure du vampire dans ce genre littéraire ?

En littérature il existe une frontière entre l’univers ésotérique et celui du fantastique. Souvent ce ne sont pas les mêmes lecteurs. Dans un thriller ésotérique vous entendrez les frôlements d’ailes de l’ange du bizarre sans jamais le rencontrer. Dans le roman fantastique l’ange se manifestera au détour d’un chapitre et vous emportera sur son dos. Le contrat littéraire de Bram Stoker, et de tous ses continuateurs, est tacite : le vampire existe. Le lecteur l’accepte et l’auteur peut tout se permettre. Dans un thriller initiatique c’est plus difficile, le lecteur n’accepte le fantastique que par la porte dérobée et il murmure à fin de l’ouvrage « Et si c’était vrai ?». En revanche, le lecteur de romans fantastiques se moque que les faits rapportés soient vrais, il associe l’oeuvre à de la pure fiction.

En France, la figure du vampire est associée à la littérature dite « de genre ». J’apprécie peu cette expression, elle fige les œuvres passées ou contemporaines dans une sous-catégorie, péjorative. Je fréque le milieu littéraire « classique » depuis des années et je peux vous assurer que le fantastique est souvent considéré avec une condescendance horripilante. Mettre le mot vampire dans un titre ou un bandeau vous expédie aux oubliettes des rayons de certains libraires.

Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?

Trois mots. La beauté, l’immortalité, la solitude. Tout est dit.

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographiques)

Giacometti, Eric. Interview avec le co-auteur du Graal du diableMon premier coup de sang… A douze ans avec le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher. J’étais terrorisé et fasciné. J’ai ensuite lu en cachette le Dracula de Stoker et je suis devenu par la suite un inconditionnel de la Hammer, j’allais aux projos dans les cinémas de mauvais genre. Je dois posséder tous les DVD de la firme. Avec le recul je trouve les scénarios assez pauvres, en particulier ceux des Dracula avec Lee, mais la magie opère toujours. Le jeu des acteurs, les costumes, les décors et la photo sont remarquables. J’irai même plus loin. Pour certains Le rouge et le noir c’est Stendhal, pour moi c’est la Hammer. Le sang et les ténèbres. Mon cerveau a été éclaboussé durablement par ces deux couleurs, omniprésentes dans les symphonies ou menuets vampiriques de cette boite mythique. Ce qui est amusant c’est qu’à l’époque ces films étaient considérés comme des navets par les critiques cinéma mainstream alors que maintenant ils font l’objet de rétrospectives officielles.

Giacometti, Eric. Interview avec le co-auteur du Graal du diableEn littérature, j’ai repris des couleurs grâce à Anne Rice. Au début des années 90, à Londres j’ai assisté à quelques soirées costumées sur le thème des vampires. Il y avait pas mal d’excentriques, certains se faisaient limer le dents et se tapaient des virées nocturnes au cimetière de Highgate qui avait défrayé la chronique dans les années 70, les connaisseurs comprendront. Je me souviens de deux magnifiques boutiques à l’enseigne The Black Rose, à Camden et à South Kensington, je crois, où se fournissaient les adeptes de bals costumés vampiriques. Depuis je visionne la plupart des films ou des séries sur les vampires, souvent par nostalgie. Une Madeleine sanglante de Proust. Le Nosferatu avec Kinski ou les Prédateurs avec Bowie et Deneuve… Mais j’ai aussi ingurgité pas mal de nanars comme le Comte Yorga ou Dracula à Istanbul… Chacun ses vices. Mes dernières rencontres marquantes ? Deux séries et deux livres. Le Dracula sur Netflix, pas mal du tout. Et Sermons de minuit, aussi sur Netflix, qui n’a pas vraiment marché, mais dont l’originalité et le traitement m’a conquis. En livres, Dans les Veines et Entrevue choc avec un vampire de Morgane Caussarieu que j’ai découverte au dernier salon des Imaginales. Deux perles.

Quels sont vos prochains projets éditoriaux ?

Rien à voir avec les vampires. La sortie en novembre du prochain Largo Winch en BD, « Le centile d’or », et le prochain thriller avec notre héros Antoine Marcas pour avril 2024. Et trouver Capitaine Kronos contre les Vampires, un Hammer of course, qui manque à ma dvdthèque.

Notes:

  1. Expellees Tell Tales: Partisan Blood Drinkers and the Cultural History of Violence after World War II.  Monica Black. Indiana University.

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