Rouzet, Céline. En attendant la nuit. 2024

À la naissance de Philémon, ses parents quittent rapidement la maternité, ayant réalisé que leur fils avait des besoins inattendus. En effet, pour assurer sa subsistance, il doit ingérer du sang. Pendant des années, sa mère va ainsi être son unique donneur. Infirmière, elle sait comment prélever son propre sang pour le transfuser à Philémon. Mais ses forces commencent à s’épuiser, et elle profite d’un énième déménagement pour reprendre le travail. Elle trouve un poste au don du sang local, ce qui devrait lui permettre de subtiliser des poches d’hémoglobine. Si la famille a l’habitude de faire profil bas, elle fait rapidement face à la curiosité des voisins. De son côté, Philémon tombe sous le charme de Camilla, une jeune adolescente de son âge qui habite à quelques maisons de là.

C’est après avoir interviewé Ariane Louis-Seize au sujet de son Vampire humaniste cherche suicidaire consentant que j’ai découvert l’existence d’En Attendant la nuit. La réalisatrice mentionnait en effet trois bobines vampiriques ayant été projetés à l’occasion de la 80e Mostra de Venise, et je n’avais connaissance que de son propre film et de La Morsure de Romain Saint-Blanquat. Peu de choses remontaient sur le film de Céline Rouzet, hormis quelques brèves et interviews, ainsi que la page du long-métrage sur le site Cineuropa. Les quelques éléments disponibles jusque-là laissaient présager une optique très réaliste dans son approche du sujet, lequel flirtait lui aussi avec le coming-of-age.

Après visionnage, on ne peut nier une certaine synchronicité avec La morsure et Vampire humaniste cherche suicidaire consentant. Les trois métrages mettent en scènes des adolescents aux prises avec les troubles du passage entre l’enfance et l’âge adulte. Et tous trois convoquent la figure du vampire, même si de façon bien différente. Céline Rouzet a une approche naturaliste du sujet. Si Philémon possède des caractéristiques indubitablement vampiriques (il boit du sang pour vivre et ne supporte le contact direct avec le soleil), il n’y a rien de surnaturel en lui. Le thème est abordé sous l’angle pathologique, ce que renforce la place prise par le don du sang ou travaille sa mère, ainsi que son emploi d’infirmière. Dans l’idée de la réalisatrice, le vampire paraît être celui qu’on cache, qu’on essaie de faire passer pour « normal » auprès des autres. Quitte pour cela à nier son droit à vivre dans le monde.

Je trouve aussi des éléments en commun avec Le Règle Animal de Thomas Cailley, dans l’approche de la différence, voire de la monstruosité. Philémon est atteint d’un mal qu’il ne sait — et qu’on ne lui laisse pas — gérer en autonomie. À 18 ans, il est encore totalement enfermé dans le cocon familial, sa sœur bien plus petite que lui étant sa seule compagne de jeu. Mais adolescent, le garçon s’éveille à ses premiers émois amoureux avec Camilla. Les amis de celles-ci imposent d’emblée une certaine distance, qui se creuse en fossé lorsque Philémon tente de boire le sang à même une blessure de la jeune femme. Pour eux, pourtant amateur de films d’horreur, il est un freaks, qu’ils rejettent. Prisonnier du cadre rassurant et aseptisé de sa vie familiale, Philémon va essayer de se libérer de ses chaînes. Mais se libérer, c’est aussi potentiellement perdre le contrôle.

En attendant la nuit est ainsi un film de vampire qui ne dit pas son nom. Le mot n’est jamais prononcé, l’état dont est atteint le personnage étant présenté comme une maladie. De la créature, Philémon a néanmoins la nécessité de s’abreuver de sang (il n’avale rien d’autre), et une incapacité à supporter la pleine lumière du soleil. Si jusque-là il absorbe le sang par transfusion, après avoir goûté celui de Camilla, il boit de façon plus récurrente directement à la bouche. L’image du vampire est aussi convoquée par ceux qui vont recouvrir de peinture rouge la voiture de la famille, comme une marque d’infamie rappelant que la mère vole du sang… pour nourrir son fils. Lequel finit par essayer de se limer les canines, et s’attaquera à la gorge de l’une de ses dernières victimes. J’ai tendance à voir également dans le topos du pont une allusion voilée à Nosferatu, et à la célèbre phrase « Quand il eut franchi le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. ». Ici, c’est le fantôme (le vampire) qui vient à la rencontre d’un univers normal qui va le rejeter. Jusqu’à ce qu’il ne retraverse finalement le pont.

Une approche dépouillée et sans fards de la figure du vampire, qui se focalise sur la relation entre une mère et son fils (et par extension sur une cellule familiale). Matière à rappeler le récent Blood de Brad Anderson, mais sans aucun artifice surnaturel de ce dernier. En attendant la nuit me paraît montrer l’inexorable de la maladie face à un monde où le malade est comme prisonnier. Un métrage efficace, bien qu’un peu trop froid dans sa manière de raconter son sujet. 

Rouzet, Céline. En attendant la nuit. 2024Rouzet, Céline. En attendant la nuit. 2024Rouzet, Céline. En attendant la nuit. 2024

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