En 1897, au cœur des Carpates, Jonathan Harker pénètre les murs du château du comte Dracula. Il est envoyé sur place par son employeur pour faire signer à l’aristocrate les papiers qui vont faire de celui-ci le propriétaire d’une demeure à Londres. Au fil des jours, le jeune homme se rend compte que son hôte n’est pas celui qu’il paraît au premier abord. Un danger venu du fond des âges est-il sur le point de déferler sur l’Angleterre ?
Jonathan Green est un romancier qui a fait ses premières armes en écrivant pour les licences Dr. Who, Warhammer 40 000 et Pax Britannica. En 2014, il publie YOU Are The Hero: À History of Fighting Fantasy Gamebooks, premier tome (sur deux) d’un essai qui retrace l’histoire des Livres dont vous êtes le héros (en anglais : Fighting Fantasy Games). C’est donc assez logiquement qu’il a également travaillé sur de nombreux livres-jeux de ce type, que ce soit au sein de la collection originale ou de Ace Gamebooks, dont il est l’instigateur et le principal auteur. Pour cette collection, il s’est notamment attaché à faire se croiser le principe du livre dont vous êtes le héros avec des œuvres littéraires majeures en imaginaire. On lui doit ainsi des adaptations de Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll ou Le Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum.
Sans surprise, ce n’est pas la première fois que livre-jeux et vampires se retrouvent. Ne serait-ce que dans les séries déjà sorties en France, on peut citer Le Tombeau du Vampire de Dave Morris (Dragon d’Or, 1984) ainsi que Le Vampire du Château noir (Défis fantastiques, 1989) et La Revanche du Vampire (Défis fantastiques, 1995) de Keith Martin. En 1986, H.H. Brennan proposait d’incarner Jonathan harker et d’affronter le comte dans son château. Un titre qui joue sur la dimension labyrinthique du roman, et intégrait de multiple références à ce dernier. Plutôt que de s’orienter vers une approche similaire, Dracula : Curse of the vampire est bien une façon de revivre l’ensemble du récit original. Non seulement par sa trame, mais également par le multiplicité de ses points de vue.
D’un point de vue de l’expérience de jeu, si l’on retrouve l’essentiel de la mécanique des Livres dont vous êtes le héros, Jonathan Green n’en reste pas là. Il est possible — en fonction des étapes du texte — de changer de personnage, et ainsi de basculer de Jonathan Harker à John Seward, en passant par Mina Murray. Mais on peut également choisir d’incarner directement Dracula, ce qui permet de renverser les enjeux et d’explorer la matière étendue du roman, notamment les liens entre le Dracula de fiction et son pendant historique. Au niveau de la mécanique, la direction prise par le récit est influencée par certains mots-clés que le joueur barre en fonction des événements qu’il affronte. Tout comme les points de sang, qui cristallisent la puissance du vampire, et peuvent faire drastiquement basculer l’intrigue lors des rencontres avec Dracula. Il s’agit d’ailleurs là d’éléments partagés entre les joueurs humains, qui possèdent tous des caractéristiques différentes.
Le lecteur acharné de Dracula pourrait imaginer ne faire qu’une bouchée d’une telle proposition ludique. Il n’en sera rien : Jonathan Green a beau s’arc-bouter sur le roman, il n’en réserve pas moins son lot de surprise aux connaisseurs de celui-ci. À trop vouloir suivre celui-ci à la lettre, le joueur risque fort de se heurter à forte partie. Dans le même temps, Jonathan Green montre une maîtrise large du texte original. Ainsi « l’Invité de Dracula » est intégré à la trame, offrant un avant-goût surnaturel à Harker alors qu’il n’a pas encore franchi le seuil du château. L’auteur se livre également à quelques ajouts plutôt bien sentis, qui comblent certaines zones d’ombre du récit, et mettent en valeur la puissance du comte.
Dracula : Curse of the vampire est une expérience ludique de premier choix. Qu’on soit amateur des Livres dont vous êtes le héros (ce dont je suis) ou attaché à la richesse du roman de Bram Stoker, c’est une manière différente d’interagir avec le texte. Un texte dont Green s’empare avec brio, accordant une importance majeure à la plume et aux mots… quand on sait que les journaux, lettres et autres enregistrements sur sillon constituent l’essentiel de la modalité narrative initiale. Le tout nanti d’illustrations de Hauke Kock, dont le trait est connu des amateurs du genre depuis qu’il a travaillé sur la série Loup Solitaire.
La traduction en français du livre est attendue dans les prochain mois chez Alkonost.