Elizabeth Siddal travaille dans un atelier de chapellerie fréquentée par une clientèle huppée. La famille vit chichement, et son salaire associé à celui de son père n’est pas de trop pour les faire vivre, avec sa mère et sa sœur. La jeune femme aspire néanmoins à autre chose, et son amour de la littérature lui vaut les commentaires acerbes de ses collègues. Jusqu’au jour où elle croise la route de Walter Deverell, un peintre affilié à la fraternité préraphaélite. Un temps hésitant à poser pour l’artiste, elle finit par se laisser convaincre, la sœur de ce dernier servant de chaperon durant les séances. Bientôt, c’est au tour de Dante Gabriel Rossetti, proche de Deverell, de faire la rencontre de Lizzie. Figure de proue de la fraternité, le créatif est d’emblée subjugué par la jeune femme. Il est bien décidé à faire d’elle sa muse.
La muse (Ophelia’s Muse, 2015) est le premier roman de Rita Cameron, traduit en 2018 en langue française. L’autrice a depuis publié The House Party, un livre qui quitte le Londres du XIXe siècle pour s’intéresser à la banlieue de Philadelphie dans les années 2000. La muse est un récit réussi. Présenté comme une romance historique, il s’agit ni plus ni moins d’une plongée au cœur de la fraternité préraphaélite, et centrée autour d’une figure majeure du mouvement :Elizabeth Siddal. Muse du groupe d’artiste, la jeune femme est omniprésente sur leurs toiles : Deverell, Millais, Rossetti. C’est bien évidemment ce dernier qui va faire de Lizzie un personnage important, jusqu’à aider l’ancienne chapelière à développer sa maîtrise artistique. Pour autant, ce qui sert de fil conducteur au récit, c’est bien le lien complexe qui unit les deux protagonistes. Une romance toxique, portée par un artiste qui promet à demi-mot le mariage, mais ne se résout que tardivement à franchir le pas. On est très loin d’une relation idyllique, jusqu’au final tragique — et macabre.
La plume est relativement efficace dans son genre. Tout cela est raconté avec une certaine distance, la narration étant passablement froide malgré les tourments où se retrouve plongée Lizzie. une sensation que contrebalance le sens de la situation de l’autrice. La romancière a su dans le même temps digérer ses recherches. De quoi livrer un récit réussi où l’art se dispute à l’amour. On se sombre jamais dans le larmoyant, ni dans le shakespearien — même si l’ombre du dramaturge plane sur le texte. On ne peut que s’intéresser au destin de cette femme douée d’une forte sensibilité, dont le visage hante encore la peinture contemporaine.
La muse n’est pas un roman sur la figure du vampire. A aucun moment on ne croise pas Bram Stoker, qui n’a que quelques années quand Millais peint son Ophélie. Pour autant, l’exhumation de Lizzie par Rossetti, sept ans après sa mort, est régulièrement citée comme une influence possible de Bram Stoker pour Lucy Westenra. La légende veut en effet que le corps de la femme de Rossetti était dans un état de conservation sans égal lorsque le cercueil a été ouvert, et que ses cheveux avaient continué de pousser. Cette légende, sans doute échafaudée par l’agent de Rossetti — Charles Augustus Howell, bien décidé à essorer jusqu’au bout le peintre — rappelle par certains aspects l’exhumation de la fiancée d’Arthur Holmwood. D’autant que Hall Caine — biographe et secrétaire de Rossetti sur ses dernières années — était un proche de Stoker, à qui celui-ci dédiera Dracula.
Avec La muse, Rita Cameron propose une romance tragique, imprégnée d’amour et d’art, mais également de toxicité. Un livre qui manque quelque peu de style, mais dont le contenu s’avère passionnant pour qui veut découvrir une figure incontournable de la peinture anglaise du XIXe siècle.