Aubrey Clare prend la plume pour raconter sa vie à un mystérieux interlocuteur. Âgé de 22 ans, il revient sur son enfance et sa jeunesse à Londres, auprès de sa sœur jumelle Agatha. Le décès de celle-ci va être le début d’une spirale descendante pour Aubrey, dont la famille, désormais composée de ses deux parents et de son frère Davril, décide de quitter la vieille Angleterre pour La Nouvelle-Orléans. Là, il tente tant bien que mal de reprendre pied. À l’occasion d’une soirée nimbée d’occultisme, lui et sa mère font la connaissance d’un mystérieux personnage, qui se présente comme un Marquis. Ce dernier s’attire rapidement les faveurs de la maisonnée, et devient un proche de Madame Clare, alors que son mari sombre dans les griffes du Laudanum.
Morgane Caussarieu s’est fait un nom sur la scène horrifique française avec son premier livre, Dans les veines (2012), un roman vampirique malsain et déjanté, réédité (et revu pour l’occasion) en 2023 sous le titre Dans tes veines. Elle n’a depuis cessé de démontrer autant son amour des vampires que celui d’une horreur qui imprègne la chair, par des ouvrages comme Rouge Toxic, Vertèbres, Techno Freaks, et plus récemment Visqueuse… Vincent Tassy se fait connaître quant à lui en 2011 au travers de la nouvelle « Mademoiselle Edwarda », avant de signer Apostasie (2016), un texte vampirique qui lorgne vers l’imaginaire onirique d’une Tanith Lee. Il a depuis publié plusieurs romans de sa plume. Morgane et Vincent ont conjointement signé Entrevue choc avec un vampire en 2022, à la fois une parodie et une lettre d’amour à l’œuvre d’Anne Rice (et à Dracula), dont l’influence est majeure sur la production des deux écrivains. Festin de Larmes est ainsi le deuxième livre à quatre mains du duo.
Si Entrevue Choc jouait avec le style d’Anne Rice tout en déplaçant l’intrigue à l’époque contemporaine, Festin de Larmes est un texte qui embrasse pleinement le fantastique XIX. Par sa forme déjà, les auteurs ayant choisi de raconter leur récit sous la forme de lettres rédigées par le personnage central. Une mécanique qui rappelle bien sûr le Dracula de Bram Stoker ou le Carmilla de Sheridan Le Fanu, influences prégnantes de ce récit, mais pas uniquement. Car le duo convoque au fil de leur histoire une myriade d’autres références, certaines évidentes, comme Polidori via le nom d’Aubrey ou celui d’Hesselius, ou Anne Rice par l’utilisation du cadre de la Nouvelle-Orléans. Mais Caussarieu et Tassy font ici davantage qu’un hommage : l’ombre de leurs ainés leur permet de donner vie à un texte qui témoigne avant tout de leur approche du sujet. On retrouve ainsi de l’autrice de Dans tes veines l’idée de créatures de la nuit en mesure de s’abreuver d’autre chose que de sang et le thème de l’enfance pervertie… L’auteur d’Apostasie parait insuffler son intérêt pour une certaine fluidité de genre, pour le décorum des cimetières. Cette nouvelle rencontre entre leurs deux plumes donne lieu à ce livre macabre, décadent, tragique et sadique. Un récit imprégné de tout un pan de la littérature de la fin du XIXe siècle, à l’image du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde ou de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson. Quand on connaît bien la plume des deux romanciers, certaines scènes donnent le tournis, tant on a l’impression de virevolter entre les idées de l’un et le style de l’autre.
Les auteurs choisissent de ne pas nommer leur créature vampire, même si le lecteur averti (voir habitué à leurs œuvres respectives) ne sera pas dupe. Car c’est bien d’emprise, d’une existence au détriment des vivants, qu’il s’agit ici. La créature qu’est Tristan de Vardalek paraît prendre ses origines dans les mythes anciens grecs, même s’il montre que les légendes brouillent le réel. Il y a également le rapport à la pierre, qui rappelle à nouveau Anne Rice ou La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée. Mais l’appétence du protagoniste pour un règne végétal vénéneux, voire une certaine omniprésence végétale, fait planer l’ombre des nouvelles de Catherine L. Moore (le recueil Shambleau). Un personnage convoquera bien Calmet et Ranft, rattachant ce qu’est Tristan avec une certaine croyance pour le vampire, mais au final il s’agit bien d’une variation unique autour de l’archétype vampirique.
Festin de Larmes est un texte vénéneux, un nouvel hommage des deux auteurs à ces textes et auteurs qui irriguent leur intérêt pour la figure du vampire. Et pourtant, ils proposent ici une expérience originale, une fusion de leurs approches et styles.