Romero, George A. Martin. 1976

La première séquence du film donne à voir le jeune Martin, repérant une femme dans le train. Après avoir utilisé un matériel sophistiqué lui permettant de crocheter la cabine-couchette de la victime, Martin brandit une seringue pour administrer un sédatif à celle qu’il a prévu de violer et de saigner à coups de lame de rasoir, pour en boire le sang. Ce tableau, d’une violence crue, est entrecoupé de flashs d’une autre scène, parallèle, que fantasme ou dont se souvient Martin et qui renvoie à un vampirisme classique et théâtral, où la victime succombe dans les bras du bourreau comme à un orgasme. Ces scènes apparaîtront au cours de tous les passages d’une intensité émotive forte pour le personnage principal.

Son voyage le mène chez son grand-oncle Cuda, un Van Helsing obsessionnel et extrémiste. Ce dernier annonce qu’il compte purifier l’âme du vampire Martin à l’aide d’aulx, d’exorcisme et autres grigris. Sans doute est-ce ce personnage qui donne l’aspect le plus fantastique du film, se faisant le narrateur de la mythologie familiale : Martin fait partie des neufs vampires de la famille, dont il est un des rares à avoir survécu. Il n’a pas 17 ans mais 84 ans et il a été choisi pour être l’hôte du Pamgri [1].

Tandis que Martin se moque de la croyance en la magie de Cuda, la petite-fille, Christina, vivant sous le même toit, penche pour la maladie mentale et souhaite aider le jeune homme à se soigner.

A cela vient se mêler un soupçon de comédie, dans l’idée d’un vampire évoluant dans le quotidien prosaïque d’un univers moderne et terne, comme nous l’indique un éclairage naturaliste, des gestes maladroits, comme lorsque Martin doit se changer après son dernier meurtre, rattacher ses Converses…

Le dernier fil conducteur est celui de la société aliénante, qui ne laisse pas à Martin l’occasion d’exister. Extrêmement timide et apathique, il est rejeté par l’ensemble de la communauté, qui fabrique peut-être elle-même, après tout, le freak. Quand Martin meurt, il est l’espace vide, l’éternel invisible et incompris : accusé à tort, incompris par ses fans (il passe dans une émission de radio), oublié par Christina, inexistant pour son amante.

Pour résumer, comme il est de coutume dans la filmographie de George A Romero, la raison du surgissement de la figure surréelle n’a pas d’ancrage dans une trame fantastique. La surréalité s’y fonde plutôt dans les mécanismes de la psyché. Elle peut être ainsi le résultat de la frustration, comme dans son Season of The Witch : c’est le carcan du schéma familial traditionnel qui crée la psychose, ou les dérives de la société humaine moderne. Ainsi, s’il est possible d’avoir une lecture totalement fantastique de Martin, c’est aussi la moins plausible, même si l’on ne peut dénier le culte rendu au fantastique et à l’horreur par le réalisateur.

Au total, une œuvre passionnante et d’une noirceur sans nom, à ranger à côté des curiosités du domaine. A ceux qui auront apprécié ce mélange de genres, je conseille la lecture du Vampire de Ropraz de Jacques Chessex.

Notes

[1] Pamgri signifierait « vampire » dans le folklore hongrois.

Romero, George A. Martin. 1976

Dans les flashs de Martin, le vampire est desservi par un décor théâtral, digne des productions Universal ou de la Hammer.

Romero, George A. Martin. 1976

Martin, il est quand-même pas très bien, dans sa tête, hein.

Romero, George A. Martin. 1976

Le grand-oncle Cuda se prend pour Van Helsing.

Romero, George A. Martin. 1976

Martin injecte un sédatif à ses victimes, ce qui lui permet de les violer sans qu’elles le regardent.

Une réponse à Romero, George A. Martin. 1976

  1. Philippe Roy dit :

    La profondeur de la réflexion sur le mythe du vampire ainsi que sa grande originalité fait de Martin un film unique dans le genre, et d’après moi un incontournable pour tout amateur de fiction vampirique.

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