Plusieurs meurtres défraient la chronique à Los Angeles. Le reporter Carl Kolchak, qui suit l’enquête depuis ses débuts, a tôt vent des détails que la police enjoint à la presse de ne pas communiquer. Ainsi, les victimes sont retrouvées exsangues, avec deux traces sur la gorge. Le journaliste a l’intuition que le coupable pourrait être un tueur en série d’un genre un peu spécial. Un assassin qui se prendrait pour une de ces créatures de la nuit, dont son grand-père polonais lui parlait durant son enfance. Les forces de l’ordre vont tenter de museler les théories aberrantes de l’homme de presse. Mais peut-on indéfiniment refuser l’impensable quand celui-ci se présente à vous ?
Kolchak : The Night Stalker (1973) est le livre qui a vu la naissance du personnage de Carl Kolchak. L’histoire est connue : Jeff Rice n’a pas encore publié le roman qu’un scénario en est dérivé par Richard Matheson, et adapté à l’écran en 1972 par John Llewellyn Moxey, sur une idée du producteur Dan Curtis (Dark Shadows). De là, ce premier film aura droit à une suite (The Night Strangler, 1973), une série TV (1974-1975), des comics book… avant de connaître une nouvelle série en 2005-2006. Sans Kolchak : The Night Stalker, pas de X-Files (c’est une influence revendiquée par Chris Carter), pas de Buffy, pas de Angel… Le livre a été publié en France dès 1975, dans la Série Noire de Gallimard, sous le titre Nuit de terreur.
Le roman de Jeff Rice s’impose au croisement des genres. L’auteur modernise la chasse au vampire popularisée par Bram Stoker en la déplaçant dans un cadre urbain. Il s’inscrit donc dans une période où le septième art avait déjà initié cette dynamique, avec des films comme Count Yorga, Vampire (1970). Mais le texte est dans le même temps un pur polar hardboiled, avec son héros alcoolique, solitaire et désabusé. Il y a également là l’essence du récit de tueur en série, le personnage de Janos Skorzeny ayant recours à des dispositifs médicaux pour se constituer des réserves de sang. Kolchak travaille enfin (pas toujours de la façon la plus aisée qui soit), avec les forces de l’ordre. C’est là que vient se nicher la dimension complotiste du texte : les politiques cherchent à museler les faits. Rice ayant lui-même commencé sa carrière en tant que journaliste, la manière dont il décrit le quotidien de Kolchak montre un regard acide sur la réalité du métier. Doublé, probablement, par la défiance vis-à-vis du pouvoir, 1972 étant une année marquée par les premiers soubresauts de l’affaire du Watergate. De là à voir là l’un des aspects qui a pu séduire et influencer Chris Carter, il n’y a qu’un pas.
Jeff Rice reprend à son compte le principe du narrateur non fiable, un élément récurrent de la fiction ès vampire. Le romancier se met lui-même en scène : il est le porte-voix de Kolchak, qui lui a confié ses notes et enregistrements, ne voulant pas lui-même s’impliquer dans une recension détaillée des faits. Le jeu s’installe dès les premiers chapitres, Rice se mettant en scène à plusieurs endroits dans le récit. Il doit ainsi corroborer les assertions de Kolchak, voire de faire de l’ordre dans le matériel qui lui a été donné.
L’auteur a beau faire flirter son vampire avec la figure du tueur en série, il n’en imagine pas moins un personnage doté de caractéristiques surnaturelles bien connues. Ainsi Skorzeny n’opère que la nuit, a besoin de sang pour vivre et dort dans un cercueil qui renferme de la terre. Pieu, crucifix et eau bénite ont un effet sur lui, alors que les balles ne paraissent lui causer aucun problème. Il possède enfin une force physique hors du commun. En imaginant son vampire voler une banque de sang, le romancier anticipe plusieurs dizaines d’années avant Angel la manière dont le personnage se nourrira.
L’édition du livre proposée par Monstrous Books achève de faire de Kolchak : The Night Stalker un indispensable. Le texte a été revu à partir des précédentes éditions, est abondamment illustré par Russ Braun (le comics The Boys) et doté d’une mise en page très réussie. Viennent s’ajouter une préface de l’acteur, scénariste et producteur David Dastmalchian, et de deux préfaces, l’une postface signée Rodney Barnes (le comics Killadelphia), et d’un long article de l’auteur et critique Mark Dawidziak, auteur (notamment), d’une histoire de la franchise : The Night Stalker Companion: A 30 th Anniversary Tribute (1997).