Debats, Jeanne-A. Le Rêve Sous Le Pavillon Noir

« La fontaine aux serpents » est la première longue nouvelle qui compose ce que Jeanne-A Debats présente comme « une trilogie de poche ». Faisant suite aux récits centrés autour de Navarre qui font entrer le personnage en science-fiction, ce texte s’ancre donc bien après Métaphysique du Vampire et la série Testament. Le vampire y est mandaté pour enquêter sur la tentative de meurtre dont à été victime celle qui devait prendre la présidence des Hespéride, reliquat d’une humanité qui sombre peu à peu dans la dictature. Le vampire y apparaît comme un phare, un objet inamovible planté au milieu d’un monde qui n’a plus grand-chose à voir avec l’époque où Navarre était encore un être vivant. Mais n’est-ce pas perpétuellement le cas quand on est vampire ? L’asservissement des masses sous couvert de libertés est en toile de fond du récit. Mais s’y détache dans le même temps l’idée de l’éternel recommencement. C’est en effet son allégeance passée au Vatican qui vaut au vampire d’être envoyé sur la station spatiale. Et alors que celui-ci paraît ne plus avoir de liens avec l’époque, tous ceux qu’il a connus (voire engendré) ayant disparu, le texte s’achève sur un réancrage du personnage. L’autrice y convoque comme à son habitude des thèmes qui lui sont chers (la question des genres, du traitement des femmes) tout en s’amusant de sa création, toujours aussi effrontée et libérée.

« Un géranium au balcon » est la suite directe. Les années se sont écoulées et l’enfant que Navarre a pris sous son aile à la fin de la nouvelle précédente s’est émancipée, non sans être surveillée à son insu par celui qu’elle appelle Père. Ce deuxième texte est plus orienté action que le premier. Navarre n’y apparaît que tardivement, et c’est sa « fille » muette qui est l’héroïne du récit. La trame est inventive, voit le personnage être l’objet d’une augmentation inattendue (mais qui se rattache avec les aventures passées du vampire), alors qu’elle est poursuivie par des yakuzas qui veulent forcer la main à Navarre. Il y a un souffle très Leigh Brackett doublé de cyberpunk à cette deuxième nouvelle. Le vampire y apparaît une fois de plus comme une sorte de bouée dans l’histoire d’une humanité au bord de l’extinction.

« Space Vampire Must Die » clôt le recueil-trilogie, tout en se plaçant dans la continuité directe de la nouvelle précédente. L’autrice remet cette fois-ci Navarre au centre, d’autant qu’il est l’unique personnage sur une large part du texte. Ballotté dans l’espace, avec peu de chance de survie, on suit les échanges du vampire avec ce qu’on pense un temps être sa psyché… La romancière joue de références, à commencer par celle du « Bateau ivre » d’Arthur Rimbaud. Mais c’est aussi l’occasion pour le personnage de revenir sur son passé, ses liens avec l’humanité. C’est peut-être le récit du recueil le plus connecté avec le cycle complet, par des allusions à Testament et à Gilles, omniprésent. Jeanne-A Debats s’amuse également avec les caractéristiques du vampire : c’est sa capacité à se régénérer qui offre à Navarre de survivre physiquement dans le vide spatial. D’un point de vue du style, c’est la nouvelle la plus fouillée des trois, jouant sur les niveaux de langue autant que sur les genres littéraires. Ce faisant, Navarre paraît revivre à lui seul les riches heures du vampire de fiction, depuis la poésie romantique (les allusions à Samuel Coleridge), la novella, le récit choral (après tout, ce n’est pas Navarre qui est narrateur du deuxième récit)…

Nouveau recueil dans l’univers déjà bien étendu de Navarre, Le Rêve Sous Le Pavillon Noir  offre au lecteur de suivre Navarre au-delà de l’histoire humaine terrestre. Et comme elle l’annonce en préface, Jeanne-A Debats n’en a pas fini avec son personnage fétiche.

debats-reve-pavillon-noir-2 Debats, Jeanne-A. Le Rêve Sous Le Pavillon Noir

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *