Bonjour Emmanuel. Pouvez-vous vous présenter et rappeler votre parcours pour les internautes de Vampirisme.com ?
Je m’appelle Emmanuel Civiello, j’ai 52 ans et je travaille dans la bande dessinée depuis mes 20 ans. Lors de mes études aux Beaux-arts de l’Académie de Bruxelles j’ai rencontré une libraire du nom d’Éliane, personnage haut en couleur, à l’époque, dans le milieu de la bande dessinée franco-belge. Celle-ci est partie avec mon carton à dessin chez un éditeur parisien du nom de Delcourt et c’est comme ça qu’à mes 20 ans je signe le premier tome de La Graine de Folie. S’en suivront 3 autres albums, puis deux autres séries, une autre scénarisée par mon épouse et deux livres pour la jeunesse. Dans ce temps j’ai intégré Albin Michel qui, à l’époque, publiait des livres d’illustrations. Trois livres sur la sorcellerie, les fées et les gnomes. Les années ont passé et j’ai rejoint les éditions Glénat, faisant un Conan, puis Kundan, la série vampirique. De nombreux autres projets sont en gestation.
En janvier 2025 sortait le premier tome de Kundan, Le Temps du sang. Comment avez-vous rencontré Luana Vergari, la scénariste, et qu’est-ce qui vous a convaincu d’illustrer ce projet ?
Je travaillais à l’époque sur le Conan, scénarisé par Jean Manchette alias Doug Headline. Lors d’une conversation, il me parle d’une étudiante en lettre italienne. Douée, celle-ci nourrit un projet sur les vampires : Kundan. Il m’a demandé si j’étais intéressé et me l’a présentée. Son pitch de départ était très alléchant : le mythe du vampire, mais transposé aux Indes orientales, avec tout ce qui a trait à la colonisation, une touche de surnaturel dans un monde bien réel… tout ce dont je rêvais !
On vous connaît surtout pour des séries et albums typés fantasy : La pierre de folie, Korrigans, La dynastie des dragons. Est-ce que vous abordez de façon très différente une série comme celle-ci, davantage ancrée dans le monde réel ?
Effectivement, pour une histoire comme Kundan, le défi est de coller a une certaine réalité, notamment au niveau de l’architecture, l’habillement, l’ambiance d’une époque comme celle de 1910, du Roi Georges V d’Angleterre. On ne peut se permettre n’importe quoi…
Même dans le côté vampirique avec Kundan, notre protagoniste vit avec son temps, s’habille comme à cette époque. En résumé, une histoire comme Kundan, même si le fond est surnaturel, est ancrée dans une réalité, certes du siècle passé, mais malgré tout codifiée. Après discussions, j’ai storyboardé quelques pages d’essai, surtout celles dans l’ambiance londonienne et l’aventure a commencé….
Le premier opus de Kundan a plusieurs points communs avec le Dracula de Bram Stoker. Il y a déjà l’époque, l’idée d’un personnage étranger s’immisçant au cœur de l’Empire britannique (pour ne pas parler de colonisation inversée)… Était-ce une référence assumée ? Et si oui y a-t-il des implications picturales à ce niveau, notamment dans la manière de représenter le personnage central ?
Comme évoqué plus haut, Kundan interagit à une époque précisée, non pas le Londres victorien, mais géorgien. Les différences sont notables : le mobilier, l’habillement (d’ailleurs Kundan évoluant dans la société doit refléter le style de l’époque). Donc tout naturellement Kundan doit évoquer un Lord de l’époque et malgré tout le Dracula de Stoker se situe à peu près à la même époque… donc difficile de ne pas retomber dans ses traces.
Il y a une opposition visuelle manifeste entre Londres et l’Inde, particulièrement appuyée par les couleurs. C’était un choix évident ?
Pour la charte graphique opposition Londres/Inde, c’était le parti pris décidé dès le départ : un Londres lugubre, gris et beigne de smog (c’est le cliché à la Jack l’Éventreur, mais il est tellement évocateur et surtout il s’agit de l’une de mes ambiances favorites !) et l’Inde, qui évoque a tous l’exotisme, la luxuriance… il fallait donc que la transition soit remarquée par le choix des couleurs et des tonalités chaudes, voire suffocantes.
Comment avez-vous travaillé avec Luana Vergari, pour passer du scénario à la planche dessinée ? S’agit-il d’un travail collaboratif ou y a-t-il déjà un storyboard de son côté ?
Avec Luana, on fonctionne comme ça : elle me parle de la séquence qu’elle va écrire, m’envoie un synopsis, une intention plus ou moins précise de ce qui se passera dans la ou les scènes, cela me permet de réfléchir en amont et de m’imprégner des ambiances. Puis je reçois un scénario, décrivant la scène, ce qui s’y passe et les protagonistes avec les dialogues. En général, Luana me laisse m’occuper de la mise en scène, des plans et cadrages sauf lorsqu’elle a une idée précise de la scène.
J’établis un storyboard « patate » comme on aime à l’appeler entre nous, c’est un storyboard simple avec juste des ronds en guise de personnages. Cela nous permet, déjà à ce stade, de nous faire une idée de ce que rendra la page au final. Après échange, je réalise un storyboard plus détaillé cette fois, j’y dessine clairement les personnages, parfois les décors et même certaines fois l’ambiance. Par exemple une scène de nuit ne rendra pas pareil qu’en plein jour, etc.
Une fois le storyboard validé de son côté, je commence alors le découpage des pages : c’est-à-dire que j’esquisse l’entièreté de la page suivant le storyboard et écris les dialogues, légendes, onomatopées, etc. Lorsque la page est équilibrée, je commence alors le crayonné de chaque case qui constitue une page et ainsi de suite sur la scène, si celle-ci comporte 3, 4 pages, je dessine l’entièreté de la scène. J’envoie une photo de ou des pages crayonnées (parfois certaines cases peuvent changer, mais c’est rare).
Lorsque le crayonné des pages est validé par Luana, je les reproduis au propre à la table lumineuse, ceci afin d’avoir un crayonné « propre » pour la mise en couleur, l’étape suivante. Pour une scène (3/4 pages) dans la même ambiance, même tonalité et même gamme de couleurs, j’effectue la mise en couleur, à l’acrylique, de toutes les pages de la même scène. Ainsi cela me permet d’avoir le même rendu, la même ambiance pour une même scène.
Et ainsi de suite jusqu’a obtenir les 54 pages (dans le cas de chaque album de Kundan) constituant l’album.
Il me semble que c’est la première fois que vous flirtez avec la figure du vampire, au sein d’une production importante. Qu’est-ce que représente cette figure à vos yeux ? Peut-on dire que Kundan est un vampire ?
C’est effectivement ma première incursion dans le monde vampirique (que je renouvellerai volontiers si l’occasion se présente :))), mais j’aime particulièrement ce genre de récit ou le « fantastico -vampirique » côtoie le monde réel. Cela accentue la véracité de ce mythe, le rend plus crédible. J’ai toujours adoré faire se côtoyer un monde réaliste avec des repères que nous connaissons avec l’étrange, le fantastique… ça rend dès lors vrai toutes choses.
Maintenant, est-ce que Kundan est un vampire ?
Je ne dirai pas de lui qu’il est un vampire au sens propre du terme, je dirai qu’il s’agit d’une âme en voie d’extinction, se nourrissant différemment des autres espèces, mais qui cherche malgré tout la même chose que n’importe quelle créature sur Terre… survivre.
Le tome 3 (qui sera le dernier) est annoncé pour octobre 2025. Avez-vous déjà de futurs projets sur le feu ?
Bien évidemment, d’autres projets sont en gestation à l’heure actuelle.
Toit d’abord une série, scénarisée par mon épouse Helen Herbeau, est actuellement en cours et fin de fabrication: cela s’appelle Feys et comme son nom l’indique cela parlera de fées… et d’autres choses. Le début de la série est prévu pour l’année prochaine.
Parallèlement, Luana et moi continuons notre collaboration avec deux nouveaux projets, sans spoiler l’un des deux se passera à nouveau dans le Londres victorien (j’adore ces ambiances :)))). L’autre sera plus fantastique.