Watts, Peter. Vision aveugle

Traduction : Gilles Goullet
La Terre a été « prise en photo » par des extraterrestres, depuis l’espace, puis un artefact est découvert dans le système solaire… est-il habité ? Une équipe est envoyée en mission pour en savoir plus, pour prendre contact, pour étudier, agir s’il le faut…

Ce que j’apprécie de la sphère littéraire vampirique, c’est qu’elle représente un très vaste domaine en terme de variété : d’abord de qualité (il y a du très mauvais et du très bon, beaucoup de moyen et d’inintéressant), le vampirisme est un thème si largement repris, repensé, dispersé, que la somme des ouvrages dentus est à l’image de la littérature générale. Depuis que le vampire a su sortir de son carcan fantastique, il est le personnage de nombreux genres littéraires, y-compris de la science-fiction. J’avais déjà lu des bouquins de SF, mais jamais de hard SF. Vous savez, les romans avec des vaisseaux spatiaux et plein de mots scientifiques, dont l’histoire se déroule dans le grand vide intersidéral. Mais que vient faire un vampire là-dedans ?

C’est que Peter Watts a couché pour son histoire des personnages surprenants : Keeton, le narrateur, un être intelligent dénué de sentiments grâce à l’ablation de la moitié de son cerveau, et capable de décrypter jusqu’à la plus petite pensée de ses interlocuteurs par sa lecture du langage corporel. Il y a aussi la linguiste, dotée d’une personnalité multiple, un homme capable de s’interfacer avec les machines, faisant d’elles des extensions de son corps, une militaire au caractère complexe et pacifiste. Quant au vampire, qui complète le tableau, ses capacités intellectuelles supérieures font de lui le commandant idéal du vaisseau, sans compter que son sang est essentiel aux voyages spatiaux.

Le roman se construit, plus qu’autour d’une intrigue, sur une réflexion et une mise en scène de faits, d’expériences et d’hypothèses scientifiques et psycho-neurologiques, qui ont su intriguer l’auteur, ainsi que par la tentative de créer un nouveau genre d’extraterrestres, inédits en littérature, loin des créatures insectosoïdes, grises ou vertes. Ainsi, même si le vampire y est un personnage surprenant, le roman travaille plutôt sur un autre mythe : l’extraterrestre.

Le thème principal est certainement la distinction entre l’intelligence et la conscience de soi ainsi que la survie de l’une sans l’autre et au final, l’utilité de la conscience de soi. Ce thème touche le narrateur, cette réflexion est donc entamée dès le début du livre, et à plus grande échelle, l’espèce humaine et les extraterrestres. Je me suis ensuite beaucoup amusée (ou intéressée ?) des effets psycho-neurologiques subits par les personnages de l’équipage : vision aveugle, autres syndromes hallucinatoires telle la sensation qu’une partie de notre corps ne nous appartient plus… l’auteur est friand de ces dysfonctionnements cérébraux qui prêtent à penser. Des annexes nous détaillent dans le dernier feuillet du livre les essais scientifiques relatifs à ces phénomènes.
J’ai eu plus de mal à accrocher à d’autres aspects technico-scientifiques, ayant trait cette fois au fonctionnement du vaisseau, aux ondes, etc. dont le roman regorge également.

Si vous n’aimez pas ce type de science-fiction, peut-être serez-vous intrigué par l’Homo sapiens vampiris, mais quelques mots avant tout sur la lecture en elle-même. C’est un livre relativement bien écrit et heureusement, le décor se plante sur Terre avant l’aventure spatiale, ce qui laisse le temps d’atterrir en douceur dans cet univers particulier et de s’attacher un peu au personnage-narrateur, il sera l’unique bouée de secours dans cet équipage peu sympathique. A ce stade de l’histoire, le vocabulaire scientifique paraît encore « amical » à mes chastes oreilles, le temps de prendre son élan pour la plongée linguistico-spatiale, mais rien d’insurmontable tout de même, quand on est sur la plage et qu’on peut ponctuer la lecture de rafraîchissements océaniques.

Eu égard au vampire, enfin, si je n’ai pas tout à fait été convaincue de la pertinence de l’insertion d’une telle créature dans l’histoire, alors que tout l’intérêt des autres personnages se joue dans leur humanité, c’est néanmoins un vampire intéressant par ses caractéristiques. A quoi ressemble un vampire de science-fiction ? Il a une silhouette tout à fait humaine, seul son regard semble le distinguer des humains, et pour cause : l’Homo sapiens vampiris est une sous-espèce humaine, apparue il y a 700 000 ans (c’est la même idée que dans Lemashtu, chroniques des Stryges).

Vampiris différait toutefois radicalement de sapiens aux niveaux biochimique, neurologique et immunologiques » Immunologique parce qu’à être cannibale, on peut choper plein de saloperies comme des vers ou le prion. L’aspect neurologique, sans entrer dans des détails explicatifs que je suis incapable de reproduire de façon convaincante, concerne une intelligence supérieure (qui se traduit en tests psychologiques par la capacité de voir en même temps les deux aspects du cube de Necker), qui refoule la conscience de soi à l’impression de rêve et a produit le « bug du crucifix » qui rend incapable le vampire d’observer des angles droits sans subir d’attaque épileptique (c’est d’ailleurs ce qui a causé l’extinction de l’espèce, quand sapiens s’est mis à construire à tout va des objets avec des angles droits).

Quant à sa biochimie, elle s’est modifiée pour permettre au vampire d’entrer épisodiquement en hibernation afin de ne pas épuiser le bétail humain, qui se reproduit bien trop lentement comparé aux besoins nutritifs du vampire. C’est cette particularité qui rend le vampire essentiel aux longs voyages dans l’espace, permettant à l’équipage d’entrer en hibernation pendant plusieurs années.

L’auteur nous fourni un lien où est notamment expliqué le « bug du crucifix » :
http://www.rifters.com/blindsight/vampires.htm

2 réponses à Watts, Peter. Vision aveugle

  1. Spooky dit :

    Excellente chronique, à la fois dense et bien écrite. Ca donne envie à un amateur (à la fois de Hard SF et de pur fantastique) comme moi de lire ce bouquin, ne serait-ce que par curiosité. Mais Senhal, il manque une conclusion à ta chronique : qu’en as-tu pensé, au final ? C’était vraiment une bonne lecture ?

  2. Senhal dit :

    Merci Spooky pour les louanges peu méritées, car à me relire, je me rends compte que je rends peu compte… la faute à l’inhabitude, peut-être ? Car si le livre ne m’est pas tombé des mains, j’ai bien senti qu’une certaine beauté m’échappait. Je dirais que c’est un bon livre, si un bon livre permet, au-delà d’une histoire divertissante, de s’échapper par la pensée et d’appréhender d’autres horizons. Est-ce que je suis la bonne lectrice ? Je ne suis pas réellement rentrée dedans : j’ai vu des qualités mais n’ai pas pu pleinement en profiter, peut-être. En tout cas, ça m’a donné l’envie de ressortir mes vieux bouquins de psycho et de lire certains articles en rapport avec les sujets abordés. Opinion indéfinie, donc.

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