Tolstoï, Alexeï. La famille du vourdalak

« Famille, tu nous saignes », tel pourrait être le slogan de ce volume. En effet, si le Vourdalak slave qui effraye le marquis d’Urfé dans le roman de Tolstoï s’en prend uniquement à sa famille et à ses proches, dans La Dame pâle la belle Hedwige croquée par Alexandre Dumas est désirée par deux frères, Grégoriska et Kostaki, dont l’un est un vampire, tandis que la femme du Baron Hector de Nossac, cette Baronne trépassée, lui fera payer cher son infidélité, devenue immortelle, sous la plume sanglante de Pierre-Alexis Ponson du Terrail, maître du roman-feuilleton qui conjugue pièges, machinations et épouvante dans un décor gothique où ne manquent ni fantômes, ni château médiéval d’outre-Rhin. Tous les ingrédients sont donc réunis, une fois de plus, pour quelques heures de lecture mordante !

Troisième opus de la collection Frissons, qui s’attache cette fois-ci à des textes moins connus sur le thème, voire difficiles à trouver autrement qu’en bouquinerie (pour La baronne trépassée). Trois textes qui pourtant ont toute légitimité à figurer parmi les indispensables du genre, qu’il s’agisse de leur manière d’aborder le mythe ou de leurs auteurs. Tous publiés moins de 50 ans avant la sortie du Dracula de Stoker, qui va littéralement transcender le genre, les nouvelles et le roman ici présents s’approchent davantage de la représentation romantique de la créature, tout en gardant le pied dans un terreau folklorique (et un référentiel connu des lecteurs de l’époque).

Dans La famille du Vourdalak (initialement partie intégrante d’un recueil aux côtés du « Rendez-vous dans trois cent ans » et de « Oupires »), le marquis d’Urfé raconte ainsi sa rencontre avec un vampire, c’est à dire un trépassé qui n’a pas été enterré et est revenu plus de dix jours plus tard auprès des siens. Une créature qui ne peut être tué que par un pieu de tremble. Seulement, le père de famille qui revient tout juste à l’échéance est-il devenu une créature de la nuit, ou un être sain de corps et d’esprit ? Un conte macabre pour le moins prenant, qui présente un vampire bien différent de ceux auxquels on s’est habitué jusque-là, en cela qu’il est issu de la plèbe, et semble ne s’attaquer qu’à sa famille proche. Le tout mis en scène avec une hésitation entre surnaturel et réel qui n’aurait pas déplue à Maupassant. A noter que l’auteur, s’il partage le nom de l’auteur de Guerre et paix, est en fait un parent éloigné de Léon Tolstoï.

La Dame pâle est un texte foncièrement différent, qui est dû à l’auteur des Trois mousquetaires, et fait à cet égard partie des rares textes à connotations fantastiques de son auteur. On y suit le sort d’une jeune orpheline piégée dans un château entre deux frères qui aspirent tous deux à en faire leur épouse. Or, si l’un semble faire preuve de prévenance à son égard, l’autre est pour le moins violent. Jusqu’à ce qu’il soit retrouvé assassiné, et ne commence à hanter les nuits de la jeune femme. Une histoire qui mettra également en scène des rituels d’exorcisme vampirique, tout en intégrant une touche de romance malheureuse à l’ensemble. Et une utilisation bien sentie du thème des créatures de la nuit qui reviennent hanter les vivants, pour accomplir les tâches qu’elles n’ont pas pu finir au cours de leur existence. Le tout sous la plume d’un auteur qui n’a strictement rien à prouver en terme d’ambiance, même si on sort du giron qui l’a fait connaître.

La Baronne trépassée est à la fois le texte le moins connu du recueil, et celui dont l’auteur est quasiment tombé dans l’oubli (le manque d’entretien de sa tombe, au cimetière de Montmartre, reflétant assez bien cet état de fait). On est sur une structure narrative très différente, car ce roman a été publié en tant que feuilleton, ce qui ressent très bien à la lecture. Et en tant que feuilletoniste aguerri, Ponson du Terrail ménage à merveille rebondissements à tout va, passages successifs du réel au fantastique, le tout en choisissant ses décors pour appuyer un peu plus cette hésitation (on passe presque d’un château à un autre). Si ces rebondissements à outrance peuvent finir par lasser le lecteur, il n’en reste pas moins que lu avec le découpage d’origine, avec des fins ouvertes, on comprend le pouvoir d’attractivité de ces histoires populaires. D’autant que l’auteur a une jolie plume, et que sa connaissance des codes du genres lui permet de stresser à loisir ses personnages comme ses lecteurs.

Ce n’est toujours pas avec ce 3e opus que la collection Frissons va baisser en intérêt, les texte sélectionnés valant largement le détour. Les amateurs de récits vampiriques classiques pourront ainsi y découvrir des oeuvres moins évidentes que le trio habituel (Le Vampire, « Carmilla » et Dracula), qui s’approchent de plus en plus des codes du roman de Stoker, tout en gardant un pied dans les racines folkloriques du thème (ce que Stoker ne reniera d’ailleurs pas, tout en localisant son personnage dans une région un peu différente). Un bon condensé de littérature populaire, au sens noble du terme.

Une réponse à Tolstoï, Alexeï. La famille du vourdalak

  1. Philippe Roy dit :

    La Famille du vourdalak est la première histoire de vampires que j’ai lue. Est-ce elle qui m’a donné la piqûre ? Avec «La Morte amoureuse», c’est certainement le récit du genre le plus mémorable. Je me souviens surtout d’un détail, le pieu en bois de peuplier. En campagne, on méprise le peuplier pour son bois mou, et je disais qu’un pieu de peuplier ne donnerait pas une arme très efficace…

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