Marshall, Michael. L'Homme qui dessinait des chats

« Rendez-vous demain » est un récit empreint d’étrangeté. Le héros, qui n’a pas de nom, est un développeur logiciel qui est en congrès à la Nouvelle-Orléans. Lors d’une soirée libre, il rencontre dans un bar Rita-May, jeune femme avenante qui commence à lui parler de vampires. 36 margaritas et 2 joints plus tard, notre ami se retrouve dans sa chambre d’hôtel, le lendemain, les idées troubles et ses affaires dans un drôle d’état… mais seul. Mais sa mémoire lui fait défaut : qu’a-t’il fait en fin de soirée ? Et qu’est devenue Rita-May ? Il décide de la retrouver, puisqu’elle lui a révélé où elle travaillait. Mais en pleine rue, il se retrouve propulsé… la veille au soir, immédiatement au moment où sa mémoire semble avoir baissé le rideau. Il continue à boire, leur flirt devient plus poussé… Et le sentiment d’étrangeté s’accroît, surtout quand il se retrouve de nouveau dans la rue, le lendemain, embrassant un réverbère et semblant biberonner une bouteille invisible… Et ainsi de suite. Si vous avez vu le film Memento, ce processus vous y fera un peu penser, sauf qu’en l’occurrence, au lieu de remonter le temps, les deux spirales « simultanées » semblent converger vers un instant T où les Saigneurs de la nuit semblent jouer un rôle déterminant.

Je vous ai peut-être gâché le plaisir en vous révélant ce choix narratif original, mais je n’aurais pas pu vous parler de cette nouvelle (d’une vingtaine de pages, comme la plupart de ses consoeurs dans ce gros recueil intitulé L’Homme qui dessinait des chats) sans l’évoquer. J’espère donc que vous me pardonnerez. Pour tout vous dire, ce mouvement temporel m’a choqué dès sa première apparition, mais je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Page tant, le gars est en train de picoler et de peloter sa nouvelle copine, et le page suivante, sans avertissement, le décor a complètement changé, et le héros lui-même met quelques secondes à réaliser -non pas comprendre- ce qui lui arrive. J’ai d’abord cru à une erreur d’impression, prêt à appeler Bragelonne (la maison d’édition) pour leur signaler, avant de continuer ma lecture, et saisir enfin cette subtilité sans laquelle le récit n’aurait pas vraiment d’intérêt.

Comme je l’ai dit, la présence vampirique est ténue, presque éthérée (éthylée ?), puisqu’on n’en aperçoit qu’un, dont la nature se révèle lors d’un baiser typique. Séducteur, discret, efficace. Une ligne dans une nouvelle de vingt pages. Mais grâce au talent de Michael Marshall (qui parfois accole « Smith » en deuxième nom de famille) et à son choix narratif audacieux, c’est suffisant pour marquer le lecteur avide de sang frais…

Issue du même recueil que Rendez-vous demain, Chère Alison montre une autre palette du talent de Michael Marshall. La nouvelle précédemment citée innovait dans son mode de narration, celle-ci se présente sous la forme d’une lettre d’adieu d’un mari à sa femme. Un homme qui a décidé de tout quitter, femme, enfants, boulot, car il ne supporte plus ce qu’il est devenu, un vampire. Un état qui n’est pas nouveau pourtant, puisque c’est à la faveur d’une relation extra-conjugale sans lendemain qu’il se fait mordre par une séduisante jeune femme. La nouvelle a donc la forme d’une lettre d’aveux et d’adieu à sa femme. Il lui raconte toute l’histoire, mais aussi le fait qu’il n’est pas sûr de pouvoir s’empêcher encore de leur sauter dessus pour les mordre à son tour. Dix ans après sa « faute ». Outre le côté un peu risible de ces dix ans (quand même, s’il a pu se contrôler pendant aussi longtemps, il devrait pouvoir continuer, non ?), cette nouvelle reprend l’un des principaux aspects de l’écriture de Marshall : sa propension à une écriture domestique, présente dans la quasi totalité des autres nouvelles du même recueil. Oui oui oui, quand un auteur vous explique que son personnage se réveille, fume une clope, prend une douche puis son petit déjeuner, puis vous indique ce qu’il fait pendant toute une journée… puis recommence le lendemain, sans que cela ne se justifie une seule seconde par un effet de mise en scène ultérieur, j’appelle ça de l’écriture domestique. Cela ne sert à rien. Comme dans l’autre nouvelle, les vampires sont très peu présents, mais sont responsables d’un basculement irrémédiable. Notre personnage principal parle extrêmement peu de ce que ce changement induit sur sa personnalité, sur sa santé, sur la façon dont il étanche sa soif de sang frais…

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