Valls de Gomis, Estelle. Entretien avec l’auteur des Gentlemen de l’Etrange

Pour les gens qui n’auraient pas encore entendu parler de toi, peux-tu nous résumer ta carrière littéraire ?

Alors je suis écrivain – de fantastique principalement – , et j’ai écrit plusieurs recueils de nouvelles (Des Roses et des Monstres, Le Cabaret Vert parus aux éditions Nuit d’Avril) et deux romans (Les Gentlemen de l’Etrange réédité en poche cette année chez Black Book et Lancelot ou le chevalier trouble paru chez Terre de Brume) ainsi que d’un recueil de poèmes et photos (Horizon Motel paru chez Le Calepin Jaune). Je suis issue, si on peut dire, du milieu universitaire et auteur d’une thèse de Doctorat sur le thème des vampires dans la littérature, la culture et le folklore, Le Vampire au Fil des Siècles, que j’ai plus tard adaptée en livre pour qu’elle paraisse en 2005 chez feu Cheminements…

Je fais aussi un peu d’illustration, et j’ai eu la chance d’avoir deux art-books publiés (Fantaisies japonisantes chez Le Calepin jaune Editions et Le Boudoir aux Végétales chez CDS Editions) et puis j’ai fait pas mal d’autres choses – traductions, direction d’ouvrages, édition, fanzinat – mais ce serait trop long de les énumérer

La gestion de la défunte maison d’édition du Calepin jaune a-t-elle été une expérience enrichissante ? Penses-tu un jour la ressusciter ?

Oui aux deux questions en fait : ça a été une expérience très enrichissante sur le plan éditorial, découvrir et faire découvrir des auteurs et des illustrateurs est vraiment quelque chose de fabuleux, et puis on apprend beaucoup sur le plan technique aussi.

Si je peux, j’ai bien l’intention de recommencer à faire tourner la maison, mais il faut vraiment que j’attende d’engranger des fonds suffisants pour que ça puisse fonctionner même quand les ventes sont faibles : je pense que ça me prendra quelques années.

Tu as également une passion pour l’illustration, avec une esthétique empreinte d’un style très reconnaissable. Quelles sont tes sources d’inspirations ? Les arts graphiques et l’écriture sont-elles complémentaires à ton sens ?

Il y a beaucoup de genres et d’illustrateurs qui m’inspirent, de l’Art Nouveau et des Préraphaélites aux comics US et Enki Bilal en passant par les illustrateurs pour la jeunesse et certains mangas, mais aussi des peintres comme Dalì, des pin-up artists comme Vargas… ce sont les atmosphères et les choses que les œuvres dégagent qui m’inspirent.

Et effectivement, je pense que les arts graphiques et l’écriture sont complémentaires… en réalité je pense que tous les arts sont liés et complémentaires, qu’on n’en pratique qu’un ou qu’on touche à plusieurs : ça me semble logique de voir des gens faire de la musique, écrire et dessiner, ou des écrivains faire de la photo, du cinéma et de la peinture, voire de la danse.

De quand date cette passion pour les vampires, qui t’aura vu t’intéresser au sujet à travers moults nouvelles, anthologies et autres articles et essais ?

Depuis toute petite : j’ai été traumatisée en voyant par hasard un morceau de film de Dracula à la télévision et ça m’a poursuivie pendant des années. Comme d’abord j’avais la trouille, j’ai évité le sujet, puis finalement en grandissant je m’y suis attaquée à fond en l’étudiant.

Dans les Gentlemen de l’Etrange, tu fais de nombreux clins d’oeil à la littérature et l’époque victorienne. Comment expliques-tu cet intérêt que tu sembles éprouver pour cette période ?

Je ne sais pas trop, mais je pense que c’est parce que mes œuvres littéraires préférées se situent dans cette période. J’ai probablement eu envie de reconstituer ce qui me fascinait dans ce que je lisais pour essayer de le revivre et de le faire revivre aux lecteurs.

Puis la fin dix-neuvième siècle est une époque qui me convient bien parce qu’elle est à la fois suffisamment moderne pour qu’on ne s’y sente pas privé de moyens (il y avait des trains, le cinéma, des phonographes) et assez ancienne pour garder une certaine élégance (les gens se tenaient bien, les vêtements étaient intéressants, l’art était riche et la littérature aussi, l’architecture était belle).

Les Gentlemen de l’étrange et Lancelot ou le chevalier trouble, paru aux éditions Terre de Brume, sont des ouvrages qui ont tous deux pour point communs de tenir sur plusieurs épisodes successifs en reprenant les mêmes personnages principaux. Sur quel format te sens-tu le plus à l’aise pour raconter une histoire, le roman ou la nouvelle ?

Ce sont des romans qui sont composés en nouvelles. En fait je me sens beaucoup plus à l’aise dans la nouvelle – et en tant que lectrice et en tant qu’auteur : j’aime le fait qu’on peut composer une nouvelle comme ça, sans forcément dire ou on va (parce qu’en général j’ai toujours dans le fond de l’esprit une ou plusieurs autres histoires en train de mijoter avec les mêmes personnages, donc je me laisse toujours une petite marge pour pouvoir écrire une suite), mais qu’elle constitue quand même une histoire finie (le format court c’est bien quand on a pas le temps de lire beaucoup d’un coup).

Quand on commence sa journée, on sait que ça va durer une journée, mais on ne sait pas ce qu’on réussira à achever et ce qui devra être continué le lendemain, portant on finit sa journée en allant se coucher en général, comme si on refermait le livre pour se préparer à l’aventure du jour suivant.

J’aime écrire des textes courts, et à lire ça me plaît également. On me fait souvent la remarque que mes textes laissent le lecteur sur sa faim, mais moi en tant que lectrice ça me plaît, par exemple quand je lis une nouvelle qui finit de manière un peu incertaine, de m’imaginer ce qui aurait pu continuer à se passer. J’aime que l’auteur me laisse respirer, pas qu’il m’étouffe à me délayer sans fin des descriptions et les états d’âmes des personnages… il faut certainement réussir à trouver un juste milieu. Et en tant qu’auteur j’adore me laisser cette porte ouverte sur une suite.

Ceci dit, avant j’écrivais beaucoup et vite, et aujourd’hui c’est plutôt le contraire : j’écris peu et lentement, du coup mon style s’allonge un peu lui aussi. Je m’en suis rendue compte en rendant des nouvelles qu’on m’avait commandées – et j’en remercie les anthologistes – pour des anthos, mes trois derniers textes sont bien plus longs et plus structurés que mes autres textes… et la suite des Gentlemen est d’ailleurs sous forme réelle de roman – mais j’ai quand même des recueils de nouvelles sur le feu.

Quelle est ton opinion sur la (sur-)médiatisation actuelle du mythe du vampire ? Penses-tu que cela est parti pour durer ?

Je ne sais pas si c’est parti pour durer, j’aimerais autant qu’on rentre dans une sorte de continuité donnant lieu régulièrement à la parution d’études et de fictions de qualité, plutôt qu’un battage médiatique trop constant qui donne lieu à la parution de beaucoup de choses de mauvaise qualité et qui sortent toutes en même temps, si bien qu’on a jamais assez de temps ni d’argent pour faire le tri (car dans le tas il y a certainement des choses qui valent le détour).

Je répondais à une autre interview pour une nouvelle revue il y a peu, et la jeune fille qui s’en chargeait m’a posé une question semblable, et je lui disais que d’un côté je pense que cette vague de « vampiretés » qui déferle sur nous est une plaie vu le nombre de médiocrités qui en sort, et qu’en même temps, ce n’est pas tout à fait négatif car ça peut donner envie à des gens de se passionner pour le mythe et d’en sortir des choses intéressantes au niveau créatif en allant au-delà des parutions commerciales pour redécouvrir ou découvrir des choses dignes d’intérêt : si un lecteur accroché par Twilight se découvre une passion pour La Ville Vampire de Féval, alors là je dis « oui ».

Quelles ont été tes premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?

Donc la première ça a été avec un Dracula du cinéma en passant discrètement derrière mes parents qui regardaient la télé la nuit quand j’avais quatre ans, et la dernière n’a pas vraiment été une rencontre mais une retrouvaille avec Salem de Stephen King que j’ai relu en version longue l’été dernier avec beaucoup de plaisir.

Pour toi, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?

Je l’ai tellement analysé que je ne sais plus trop comment, d’autant que ça fait longtemps maintenant. Je pense qu’il dure parce qu’il sait s’adapter à toutes les époques, mais qu’au fond, il reste le même. Et je ne suis pas psy, mais il me semble que les gens projettent facilement toutes sortes de peurs et de fantasmes sur lui, et qu’il les renvoie… comme un miroir.

As-tu encore des projets de livres sur le thème ? Quelle va être votre ton actualité littéraire dans les semaines et les mois à venir ?

Oui, j’ai plein de projets, et la plupart comptent des vampires. Depuis presque un an je suis sur un roman vampirique – mais je ne sais pas s’il plaira beaucoup si un jour on le publie, il est assez contemplatif. J’aimerais aussi rédiger d’autres études, plus approfondies que Le Vampire au Fil des Siècles, mais je n’ai pas beaucoup de temps alors je ne sais pas si ça se fera. Dans les semaines et mois à venir, je vais avoir quelques parutions de nouvelles dans des anthologies, et également une réédition poche du Cabaret Vert prévue pour Mars aux éditions Lokomodo (avec une couverture illustrée par Natalia Pierandrei !), et plus tard dans l’année, Imago, la suite des Gentlemen de l’Etrange, devrait paraître aussi mais je n’en dis pas plus pour le moment. Après ça il y a pas mal d’autres choses de prévues, mais on verra ça en temps voulu.

Tes projets sont nombreux et diversifiés. As-tu toujours du temps à consacrer à la lecture ? Si oui quels sont tes genres de prédilections du moment ?

Tu perçois bien les choses car effectivement je n’ai pas tellement de temps pour lire, mais j’essaie quand même de lire un peu (car c’est en lisant qu’on devient écrivain ^^), mais vraiment au goutte à goutte.

Dernièrement j’ai lu quelques bouquins d’Hermann Hesse, notamment ses contes merveilleux (qui sont souvent courts ;)), et je suis en train de lire Walden de Thoreau, Le Château d’Otrante de Walpole (les deux en v.o. alors je lis plus lentement) et je vais bientôt entamer Les Robots d’Asimov. Après je lis des bédés et des albums jeunesse, ce qui va plus vite et me nourrit niveau illustration.

Je compte aussi m’attaquer à la fameuse suite de Dracula écrite par un descendant de Stoker, on me l’a offert en poche récemment et ça m’intrigue un peu. J’espère que je serai agréablement surprise car je t’avoue que niveau vampires, je retourne toujours sans regrets à mes premières amours dix-neuviémistes.

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