Tracy, Jill. Interview avec l’auteur et interprète de Into the Land of Phantoms

Bonjour. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter pour les visiteurs de Vampirisme.com ?

Mon nom est Jill Tracy. Je suis une compositrice, pianiste, chanteuse et conteuse basée à San Francisco. Avec des albums qui vont de la chanson aux bandes-sons de films, en passant par des instrumentaux post-classiques. Je suis fascinée par la beauté qu’on peut trouver dans les ténèbres, et à cet égard mon travail est un hommage au mystère, aux oubliés, aux histoires perdues dans le temps. La musique me permet de créer un engagement émotionnel, un portail pour transporter l’auditeur dans cet endroit magique, à mes côtés. J’aime appeler ce lieu mes «élégantes abysses».

Into the Land of Phantoms se présente comme une bande son pour le Nosferatu de 1922, celui de F.W. Murnau. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce travail ?

J’ai toujours adoré la manière dont Murnau utilisait la lumière, l’imagerie et le tempo dans ses films. C’est une séduction musicale des ombres. En sus, d’étranges instantanés de la Nature sont utilisés pour donner vie à de superbes intrigues. Mais j’ai toujours eu du mal avec la musique qui accompagne le film, habituellement portée par un piano sinueux et désinvolte (ou par un médiocre doom metal qui essaie désespérément d’être cool), ce qui ne fait rien pour compléter ou servir ce qu’on voit à l’écran. C’est un problème que j’ai avec la plupart des films muets. La plupart du temps, je les regarde avec le son coupé parce que cela gâche mon expérience. La musique y est en complète déconnexion avec l’image,  alors que cela devrait plonger le spectateur dans l’ambiance.

Je voulais rendre hommage à l’oeuvre dans son ensemble, poser les ambiances de chaque camp, et essayer d’appuyer l’émotion qui transparaît dans les superbes images de Murnau. Je ne vois pas le comte Orlock comme une incitation à l’horreur et à la peur, mais plutôt comme quelqu’un à l’allure troublante. C’est un travail très beau, très sensuel; l’auditeur doit aussi bien céder corps et âme au sortilège de la musique qu’à celui des vampires.

Pour compléter, vous pouvez en découvrir davantage sur Into the land of Phantoms, et l’écouter ici http://jilltracy.bandcamp.com/album/into-the-land-of-phantoms-the-nosferatu-score.

Tracy, Jill. Interview avec l'auteur et interprète de Into the Land of PhantomsCertains personnages ont leur propre thème, qui est utilisé à plusieurs endroits de la bande son. Quel était l’objectif derrière chacun de ces thèmes (particulièrement celui de Van Helsing, qui m’a beaucoup rappelé celui du Sherlock Holmes de la Grenada, et celui de Harker) ?

Ces thèmes récurrents posent la tonalité et la personnalité des personnages. Ainsi, quand vous les entendez à nouveau, cela résonne en vous, et votre subconscient réagit. Vous vous retrouvez à nouveau dans la tête du personnage. Van Helsing dégage une forte confiance en son érudition, alors que le personnage de Renfield n’est pas seulement diabolique, mais aussi un peu hésitant, ainsi il y a de petites touches de marimba au son creux, qui amènent le côté comique, le côté singulier de sa personnalité. Je dois à cet effet mentionner les autres musiciens qui officient sur cette bande son : Alexander Kort au violoncelle et Daniel Bear au violon. Et bien sûr moi au piano.

Y a-t-il des passages de la version live du ciné-concert qui ne se retrouvent pas sur le version CD ? Pourquoi ?

La plus grande partie de la bande son est présente sur Into the Land of Phantoms. Le CD n’est pour autant pas synchronisable avec le film, étant donné que sur la bande son il y a plusieurs passages silencieux, ou des moments avec simplement des effets spéciaux, qui ne passent pas bien sur un CD audio. Je suis de toute manière très fière qu’Into the Land of Phantoms puisse être écouté pour lui-même, comme un album de musique classique sombre.

Tracy, Jill. Interview avec l'auteur et interprète de Into the Land of PhantomsVotre production musicale semble très influencée par le cinéma muet. Pensez-vous que le cinéma d’aujourd’hui est moins intéressant que celui des années 1900 – 1950 (notamment dans la manière dont il utilise la musique) ?

Les dates que vous mentionnez regroupent un certain pan de l’histoire du cinéma, depuis le cinéma muet au cinéma parlant, en passant par la grande période du Film Noir.

Découvrir les compositeurs classiques de films d’horreur et films noirs a été un tournant pour moi, durant mon enfance. Les instrumentations de Bernard Herrman pour les films d’Alfred Hitchcock (Le jour où la terre s’arrêta), Franz Waxman, Hans J. Salter, parmi tant d’autres. C’était comme de la magie pour moi, de réaliser que la musique dictait les émotions, quel que soit ce qu’on regardait à l’écran. C’était parfaitement subliminal, primaire. Je voulais comprendre comment donner vie à des univers imaginaires sombres et enchanteurs de ma propre création. Sans omettre le côté onirique, sensuel de ces films. Je voulais vivre dans ces mondes. Ils me semblaient parfaits. Et ils le sont encore.

Aujourd’hui, la plupart des films et bandes sons hollywoodiens n’ont pas pour objectif de créer de l’art, mais de faire de l’argent. Tristement, les bandes sons sont souvent constituées de titres pop mal placés, pour faire la promotion du groupe du moment, produit justement par le label musical de la boîte de production du film. Tout cela a détruit une certaine élégance, une certaine intemporalité du cinéma… que je veille toujours à respecter dans ma musique. Le fait qu’elle puisse toujours se distinguer et être pertinente par elle-même, sans jamais succomber aux modes ou aux médias de masse, qui déprécient la composition et lui ôte toute sincérité.

C’est pour cela qu’il y a une telle résurgence et un retour en grâce du cinéma classique aujourd’hui. Ces trésors sont devenus un véritable art perdu.

Quelles sont vos premières et dernières rencontre avec un vampire (en littérature, au cinéma et / ou en musique ) ?

Quand j’étais enfant, je me revois regardant les films de Bela Lugosi et mangeant des céréales du comte Chocula. Ce furent probablement mes premières rencontres avec les vampires. Je remuais ces petits morceaux de marshmallows bruns dans le bol de céréales, imaginant qu’ils créaient de la poussière de cimetière.

Je pense avoir depuis bouclé la boucle, parce que je travaille actuellement avec David J. bassiste du groupe légendaire Bauhaus, qui a écrit l’hymne gothique « Bela Lugosi’s Dead ». Je compose actuellement un prélude au piano pour une nouvelle version du morceau par David J. lui-même. Il chante sur cette version, alors que c’est Peter Murphy qui chantait sur la version originale de 1979. Vous ne pouvez pas faire plus vampirique que ça ! (et une information intéressante : la jaquette d’origine de « Bela Lugosi’s Dead » provient d’une image promotionnelle du film muet de Murnau Le cabinet du Dr Caligari).

Tracy, Jill. Interview avec l'auteur et interprète de Into the Land of PhantomsSelon vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?

Plus on s’approche de la mort, plus les tabous sont attrayants…

Le vampire est un des archétypes les plus vieux et résistant, qui existe sous un très grand nombre de formes, dans a peu près toutes les cultures autour du monde. Chaque conception culturelle du vampire est unique en elle-même – l’un des types de vampire indien se nourrit des reins de ses victimes, tandis qu’une forme de vampire japonais survit en se nourrissant d’enfants.

Le vampire est déconcertant ou horrifiant parce qu’il a la capacité de toucher à l’interdit, en même temps qu’induire les autres en erreur par son emprise. Pour le public victorien, ce spectre de sexualité sauvage, et la rupture avec les conventions sociales, était à la fois inédit et terrifiant. Quand le Nosferatu de Murnau fit ses débuts au cinéma en 1922 (premier film basé sur le roman de 1897 écrit par Bram Stoker), les gens s’évanouissaient dans les allées et devaient être accompagnés en dehors des salles.

Pour moi, l’attrait universel du vampire réside dans l’hésitation entre contrôle et abandon à ses désirs débridés, dans ses mystères, dans l’interdit, la beauté éternelle et enfin l’immortalité. Un amant apparemment hors de portée, un amant qui peut nous révéler de dangereux nouveaux mondes et nous conduire en des sommets que nous ne pouvons qu’imaginer passionnés… et effrayants. Combien de nous-même sommes-nous prêts à perdre au cours du processus ?

Aujourd’hui, le jeu avec le sang ou l’absorption de sang représente d’autant plus un tabou social, avec la réalité du HIV et du SIDA. Ce qui génère une attraction pour l’interdit quasi fétichiste, inacceptable par la norme – et un séduisant mélange avec la mort.

Avez-vous d’autres projets à venir sur le sujet ? Quelle va être votre actualité dans les prochains mois ?

Je ne travaille sur aucun projet concernant les vampires pour le moment. J’ai récemment enregistré un morceau intitulé « The Colour of the Flame », basé sur des écrits de l’occultiste polonais du 19e siècle Stanislaw Przybyszewski. Il sortira sur un vinyl collector 7’’ aux côtés d’un morceau de Blixa Bargeld (Nick Cave and the Bad Seeds / Einsturzende Neubauten).

Je suis aussi excitée d’être la première musicienne de l’histoire à recevoir une bourse du musée Mütter de Philadelphie, la plus fameuse collection de bizarreries médicales du pays. J’ai passé une partie de l’année précédente à composer de nuit dans le musée, en compagnie de ces merveilleux spécimens et âmes perdues. Je passerai mon année 2013 à compléter ce projet pour un album qui sera intégralement inspiré par la collection Mütter.

Vous pouvez en savoir plus sur ma musique en visitant www.jilltracy.com.

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