Petit, Audrey. Interview avec la directrice de collection du label Orbit

Bonjour. Pouvez-vous nous présenter La maison d’édition Orbit et votre travail au sein de celle-ci ?

Orbit est une marque anglo-saxonne qui publie de la SFF depuis 1974 en Angleterre. Souvent leader sur le marché du genre, elle possède un catalogue impressionnant avec des auteurs aussi bien classiques que nouveaux. Ce qui est surtout intéressant depuis quelques années, c’est qu’Orbit a découvert et lancé un nombre sympathique de nouveaux talents, ce qui est déjà bien, mais avec en plus beaucoup d’inventivité en termes de marketing et de graphisme.

Lancée en 2007 aux Etats-Unis et en 2008 en Australie, Orbit est arrivé en France le 7 octobre 2009 – nous aurons bientôt deux ans ! Nous travaillons main dans la main avec les équipes anglo-saxonnes, mais aussi librement et avec la volonté de trouver notre propre style. Nous publions des auteurs de fantasy épique comme Brandon Sanderson et Kristin Cashore, J.V. Jones, N. K. Jemisin et Amanda Downum, mais aussi des auteurs de fantasy urbaine ou fantastique comme Lilith Saintcrow, Gail Carriger et Jaye Wells sans oublier Deborah Harkness dont les ventes du Livre perdu des sortilèges ont été excellentes.

Je suis directrice de collection du label depuis son lancement en France, ce qui revient à dire que j’anime éditorialement la marque : je prospecte, lis, achète les titres, constitue avec mon équipe commerciale le planning, aide à lancer les romans… Une quinzaine de personnes environ travaillent sur 15 à 20 inédits par an, et une dizaine d’autres sur 15 à 20 Orbit poche au Livre de Poche par an (structure où je suis également directrice de collection).

Ce qui me semble excitant, avec Orbit, c’est non seulement l’occasion des échanges avec les anglo-saxons, garder ce qui nous semble sympa chez eux, réfléchir à la façon dont on peut le proposer en France, mais aussi cette idée d’un label étranger qui se déclinerait en France. L’expérience est assez nouvelle, et j’aime bien l’idée de quelque chose qui abolit les frontières par l’intermédiaire du livre.

Petit, Audrey. Interview avec la directrice de collection du label OrbitQuelle est la place du vampire dans votre ligne éditoriale ? Accordez-vous une place particulière à ce sujet, au vu de son succès actuel ?

Si le vampire est présent au catalogue Orbit, il est aussi « choisi », je veux dire par là que notre rythme de parutions ne nous permet pas de publier énormément ; en revanche il nous permet de sélectionner, d’écarter et de retenir, bref, d’élire des vrais coups de cœur pour des titres et des auteurs que nous suivons et pour lesquels nous avons un attachement particulier. Le vampire ne fait pas tout le fantastique actuel, même s’il en est un des héros majeurs. Dans les séries de Lilith Saintcrow, par exemple, les vampires (autrement appelés les nichtvrens) n’ont qu’un rôle de second plan, et sont très loin derrière, en termes de pouvoir, le Diable ou les démons. Danny Valentine ou Jill Kismet n’ont pas vraiment de problèmes avec eux. Ça n’empêche pas Lilith Saintcrow d’être aujourd’hui un des meilleurs auteurs de fantastique, de vendre des kilotonnes aux Etats-Unis et de marquer durablement le lecteur.

Dans les titres de Gail Carriger, Deborah Harkness et Jaye Wells, en revanche, le vampire a pignon sur rue. Elégant, raffiné et complètement dégénéré chez Gail Carriger, il provoque aussi bien la peur que le rire ; héroïne moitié vampire moitié mage chez Jaye Wells, Sabina Kane a un caractère lunatique parfaitement assumé, et ça marche ! ; et le vampire se lit dans toute sa splendeur dans le Livre Perdu des Sortilèges de Deborah Harkness. Matthew Clairmont est le genre de vampire idéal qui alimente le mythe, le nourrit, l’approfondit.

Nous sommes attentifs chez Orbit aux titres « avec des vampires », mais pas seulement parce que le public en est friand. J’ai toujours aimé les histoires avec des vampires – j’ai un penchant assumé pour les grand ténébreux dangereux et les mauvais garçons qui mordent 🙂 – et pas mal de personnes dans l’équipe n’ont pas attendu les phénomènes de mode pour dévorer Anne Rice ou regarder Buffy, entre autres. Bref, publier des titres avec des vampires, ça coulait de source chez Orbit.

Comment en êtes-vous venu à éditer des œuvres comme la série Danny Valentine ? Est-ce le fruit du hasard ou y a-t-il eu d’emblée une stratégie marketing orientée vers la création d’une ligne éditoriale Bit-Lit / Urban Fantasy, en parallèle aux genres que vous couvrez déjà ?

Petit, Audrey. Interview avec la directrice de collection du label OrbitOrbit France est né le 7 octobre 2009. Le Baiser du démon, premier titre de la série Danny Valentine, a été signé quelques semaines plus tard, pas plus. Les autres se sont enchainés très vite. L’idée avec la marque était, et c’est toujours le cas, comme aux Etats-Unis ou au Royaume Uni, d’ailleurs, de pouvoir publier l’Imaginaire au sens large, de n’avoir de compte à rendre qu’à notre plaisir et à nos lecteurs. J’ai adoré la série de Saintcrow, et franchement, pendant sa lecture, peut m’importait que ce soir du lard, du cochon ou de l’Urban Fantasy. Ceci étant dit, lorsque le plaisir rencontre la mode, il serait idiot de lutter… Je savais dès le lancement du label que je publierais de l’Urban Fantasy, du fantastique. J’ai toujours aimé ça. Je lis sans exclusive, que ce soit d’un genre à l’autre ou au sein d’un même genre. C’est aussi à mon sens le meilleur moyen de ne pas passer à côté d’un truc. On nourrit un genre avec un autre, ou pour adapter la formule d’un philosophe du 20e siècle, un genre se nourrit d’autre chose que de lui-même. L’idée est donc d’avoir une offre diverse et surtout de faire passer aux lecteurs le message suivant, ok, vous aimez Lilith Saintcrow, alors essayez Deborah Harkness, les ingrédients sont les mêmes mais la recette est différente et vous découvrirez deux univers et deux histoires finalement différentes. Ou alors vous aimez J.V. Jones, alors essayez Lilith Saintcrow, vous pourriez être surpris, etc.

Aujourd’hui, je suppose que nous avons une stratégie chez Orbit par rapport à l’Urban Fantasy : en publier régulièrement, mais uniquement quand nous adorons et quand nous sommes convaincus que cette histoire-là, cet auteur-là, a un truc en plus.

Comment choisissez-vous les auteurs que vous éditez parmi l’abondante production du genre outre-atlantique ?

Nous écoutons les lecteurs étrangers, passons du temps sur les réseaux et les blogs anglo-saxons, nous sommes attentifs aux ventes à l’étranger quand les titres sont déjà parus. Ensuite il y a ce fameux truc en plus, le background ou l’héroïne décalée, soit plus forte que les autres, soit plus déjantée, soit
plus sensuelle, etc. J’aime par exemple quand l’univers décrit par l’auteur est un peu fouillé – cyberpunk pour Saintcrow dans Danny Valentine, ou 19e pour Gail Carriger dans Alexia Tarabotti. J’aime aussi quand le traitement est plus classique, comme chez Sabina Kane de Jaye Wells, et que l’auteur s’attache alors à une intrigue taillée au cordeau. Et le plaisir, toujours, le coup de cœur, le fait de se retrouver tournant les pages fébrilement à 2h du matin alors que la journée promet de commencer tôt et qu’il serait mille fois plus raisonnable d’éteindre la lumière ; le fait, simplement, de se retrouver à faire ça alors même qu’on lit quasi quotidiennement de l’urban fantasy, le fait que ça ne lasse pas. La force d’une histoire, ou d’un personnage, et surtout est-ce que tout ça fonctionne, est-ce que c’est bien fait, est-ce qu’on y croit ? Le héros qui donne la réplique à Danny Valentine sous la plume de Saintcrow, ou celui qui la donne à Diana Bishop dans le Livre perdu des Sortilèges justifient à eux seuls la publication des séries. J’essaie de tout examiner, d’envisager chaque manuscrit de genre que me soumettent les agents. Pas toujours évident de dire pourquoi on achète ou pas, on choisit ou pas un texte, et on peut se planter, mais globalement, il n’est pas mauvais de suivre ses intuitions.

Petit, Audrey. Interview avec la directrice de collection du label OrbitPourquoi ne pas ouvrir Orbit aux auteurs français ? Pensez-vous que les auteurs français qui s’essaient à la Bitlit et/ou la romance paranormale ont du mal à trouver un lectorat ?

D’abord parce que Orbit est au départ une marque anglo-saxonne, et que nous ne souhaitions pas lancer la marque en semant la confusion dans l’esprit des lecteurs, libraires, dont certains connaissent très bien la marque à l’étranger. Orbit n’arrive pas du néant, mais d’un groupe installé, reconnu. Ensuite parce que les anglo-saxons possèdent un savoir-faire sur le genre qui ne demande qu’à être concurrencé, certes, mais que ce n’est en tout cas à ma connaissance pas encore le cas, à quelques exceptions près – attention en tant que lectrice, je ne demande que ça, et il n’y a aucune raison de penser que certains auteurs n’y parviendront pas… Simplement ça demande beaucoup, beaucoup de travail. Enfin parce que la quasi-totalité de mes confrères publient des auteurs français : un auteur français qui écrirait un bon texte d’urban fantasy ou de paranormal romance devrait pouvoir trouver son éditeur aujourd’hui. Un nom français est plus inhabituel sur le genre, mais si un texte est bon, s’il fonctionne, encore une fois, le roman devrait être publié, peu importe le nom de l’auteur.

N’avez-vous pas peur que le marché Bitlit / Romance paranormale finisse par se saturer de lui-même ?

Franchement ? Non. Les romans de genre saturent ceux qui ne les ont pas ouverts, ou qui regrettent la crise de tel ou tel genre, je pense notamment à la science-fiction. J’aime la SF, je continue d’en lire et les agents m’en envoient (nous en publierons d’ailleurs l’année prochaine), mais je ne suis pas d’accord avec l’analyse selon laquelle un lecteur est perdu pour un genre parce qu’il vient d’en découvrir un autre… C’est légèrement plus compliqué, si vous me passez l’expression. Les lecteurs ne sont pas idiots et il n’y a pas une génération plus stupide qu’une autre. Le thème du vampire fonctionne depuis un bon moment, certes avec des hauts et des bas, des périodes plus propices que d’autres, mais il ne disparaîtra pas, il est toujours là, il est immortel, ça tombe bien :-). Il y a 10 ans, quand l’epic fantasy est arrivée en force sur le devant de la scène, on entendait les Cassandre habituelles dire « ça va se casser la figure, il y aura des morts ». Résultat, l’epic fantasy se porte plutôt bien, merci, le film Bilbo arrive l’année prochaine, l’urban fantasy règne tranquillement sur les rayons… Tout est destinée à disparaître un jour, d’accord, mais dans le cas qui nous occupe, le fait de prophétiser la saturation d’un marché est toujours aussi une forme de propagande : qui n’aime pas un genre, ne le comprend pas, a des préjugés contre lui, dit que ça va se tasser en espérant que ça aidera à le faire disparaître. Un mélange d’amertume et de ressentiment qui nie le marché lui-même et s’interdit de voir les qualités des romans en question. Dommage.

Petit, Audrey. Interview avec la directrice de collection du label OrbitQuelle a été votre première rencontre avec un vampire (littéraire et cinématographique ) ?

Cinématographique, sans doute le Nosferatu avec Adjani. A moins que ce ne soit Le Bal des Vampires de Polanski. On était formellement assez loin du Dracula de Coppola, mais ça fonctionnait tout de même super bien !

Côté lecture, il y a eu bien sûr le premier, le Dracula de Bram Stoker, mais bien avant tout un tas de revues populaires, des petits fascicules par chers que lisait mon grand-père et qui étaient plein d’histoires improbables sous formes de bandes dessinées. Il y en avait sur les cow-boys et les indiens, sur les espions, sur des histoires de types enterrés vivants, et bien sûr un sur le vampire, avec des blondes lascives en nuisette arachnéenne qui tentaient sans succès d’échapper à un vampire complètement outré. Couvertures super cheap, avec couleurs criantes, sang rouge tomate et pamoison à volonté, intérieur en noir et blanc. Je n’ai plus les titres exacts en tête, mais c’était des trucs du genre Le retour du vampire, Peur au cimetière, etc. J’adorais, je lisais ça en cachette de ma mère avec la complicité de mon grand-père, le scénario parfait.

Aujourd’hui le vampire exerce sur moi une fascination assez proche de celle qu’exerce le zombie, quoique pour des raisons finalement complètement différentes. Dans les deux cas, la créature, espèce d’homme déchu, corrompu, permet d’opérer un principe de variation et de mettre l’homme dans tout un tas de situations extrêmes généralement passionnantes – et convenablement angoissantes !

Pour vous, qu’est-ce qui fait la pérennité du thème ?

Comme le zombie ou les fantômes, le vampire est immortel, un thème qui fonctionne généralement bien, en littérature comme ailleurs. Surtout, au-delà des ingrédients connus du mythe – l’immortalité, la séduction et l’érotisme, etc. – le vampire se prête à d’infinies variations. Le vampire a un côté irrémédiablement fascinant pas seulement parce qu’il joue sur les fantasmes humains, mais aussi parce qu’il se prête à toute sorte de mise en scène : classique, décalée, novatrice, complètement déjantée, etc. Par exemple, si l’on prend tous les romans Orbit qui mettent en scène des vampires, pas un seul ne l’exploite de la même façon, et à chaque fois, c’est plutôt surprenant, même quand l’approche est de facture plutôt classique. Quelque chose qui revient mais qui change constamment, ça dure.

Y a-t-il de grosses séries vampiriques prévues dans les mois et années à venir chez Orbit dont nous n’aurions pas entendu parler ?

Il y en aura oui, mais c’est un peu tôt pour en parler. Nous continuerons de toute façon avec Lilith Saintcrow, Gail Carriger, Jaye Wells et bien sûr Deborah Harkness. A suivre…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *