Neumaier, Valerie. Interview de la réalisatrice de Carmilla

Bonjour Valerie. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?

Bonjour à tous. Je suis assez honorée d’avoir ma place sur ce site. Mon nom est Valerie Neumaier. J’ai 25 ans et je suis une jeune diplômée allemande en cinéma animation.

En février 2016, vous publiez sur Youtube le trailer d’une adaptation animée de Carmilla, la célèbre novella de Sheridan le Fanu. Pouvez-vous nous raconter l’origine de ce projet ?

Le trailer en lui-même est né de deux choses : la nécessité d’avoir un projet digne de ce nom pour mon Bachelor, et le désir de créer quelque chose ayant le potentiel d’intéresser et d’enchanter visuellement les gens, en donnant un nouveau regard sur quelque chose de déjà bien connu. À la fin, quel que soit le type de divertissement que vous créez, qu’il s’agisse de films, de musique ou de jeux, tout revient au désir de procurer aux autres autant de plaisir que vous avez eu à le créer.

L’histoire de Carmilla est simple : Laura, une jeune fille qui vit protégée du monde, rencontre la belle et mystérieuse Carmilla, qu’on laisse à sa charge pour qu’elle puisse récupérer d’un accident de calèche. Le lien entre les deux personnages devient anormalement fort, et dépasse vite les limites de l’amitié. Néanmoins, depuis l’arrivée de Carmilla au château, les jeunes filles du village voisin passent de vie à trépas, et la rumeur veut que la Comtesse Karnstein, décédée depuis bien longtemps, soit sortie de sa tombe pour se nourrir de ces dernières. C’est alors que Laura tombe malade, et que son père, aux côtés d’un groupe de chasseurs de vampires, se met à la recherche de la tombe de la Comtesse, dans l’idée de mettre un terme à la malédiction vampirique.

Pourquoi avoir choisi cette novella en particulier ? Quels sont les thèmes abordés par Le Fanu sur lesquels vous cherchez à vous focaliser ? Par exemple, le trailer ne semble pas montrer les aspects lesbiens de la relation entre Laure et Carmilla ?

Cette histoire a été racontée maintes et maintes fois. Ce qu’on n’en a jamais fait, néanmoins, est une adaptation animée. Ce qui a également appuyé la décision est le fait que le travail de Le Fanu n’est plus concerné par des restrictions liées à un quelconque copyright, en raison de son âge. Idéal pour un projet d’étudiant sans budget.

Étant donné que j’ai grandi comme une nerd un peu goth dans une ferme au milieu de nulle part, je peux me mettre dans la peau du personnage de Laura, et des circonstances de sa vie. Je suis allée étudier l’Animation en Allemagne, puis en Irlande, où une copie de In a Glass Darkly m’est tombée entre les mains. Dès le moment où j’ai achevé la dernière ligne du livre, j’étais comme possédée. J’en avais conscience : « ce sera mon projet de Bachelor. Je parie que personne n’a jamais eu l’idée de faire de cette histoire une animation. »

Et j’avais raison : en dépit des nombreuses adaptations existantes, la plupart ont procédé à des changements plus ou moins drastiques sur l’histoire (comme de caser Laura avec un mari), ou ont, disons le ainsi, une qualité de production discutable. Pendant très longtemps, Carmilla, le premier vampire de l’histoire littéraire, a été traité essentiellement comme carburant pour l’imaginaire masculin. Cela ne change que depuis très récemment, en fait depuis que la représentation des femmes et celle des LGBT évoluent dans les médias (Carmilla, la web série, en est un bon exemple, même si ce projet modifie le contexte pour l’époque moderne, et s’écarte radicalement de l’histoire de départ après les premiers épisodes).

Pour ce qui est du contexte gay, je suis en désaccord avec vous, la relation lesbienne entre les deux filles est bien présente dans mon interprétation. Étant donné que le trailer essaie de suivre la trame de la nouvelle au plus près, cet aspect repose sur des sous-entendus plus que sur les matérialisations graphiques que les gens pouvaient attendre au seul titre. Je voulais éviter de faire un autre Carmilla « sang et nichons », et montrer que l’original s’appuyait davantage sur l’intimité sous-jacente entre les deux filles. Des choses qui semblent totalement convenues à l’heure actuelle, comme s’embrasser, se prendre dans les bras et se tenir les mains était quelque chose de totalement scandaleux à l’époque victorienne, par conséquent Le Fanu se devait d’être subtil pour évoquer la nature érotique de la relation entre Laura et Carmilla en évitant la censure. Il y a également très peu de temps dans un trailer pour explorer ce genre de chose. Ce format repose sur des coupes rapides et des éléments visuels forts, et je n’aimais pas l’idée de balancer des images hautement suggestives juste pour attirer les spectateurs. Ce serait comme crier « Regarde ça, il y a dedans des filles qui s’embrassent ! » Ce serait en désaccord avec mon interprétation. Je pense que la subtilité peut être très efficace pour susciter l’imagination. D’ailleurs, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir davantage de films lesbiens qui se focaliseraient davantage sur la romance plus que sur d’interminables scènes explicites ?

Y aura-t-il un film complet ? Êtes-vous à la recherche d’investisseurs privés, ou avez-vous planifié une campagne de crowdfunding pour collecter de quoi donner vie à un long-métrage ?

Pour le moment, je suis en train de travailler au lancement d’une campagne de crowdfunding. Je veux que davantage de gens soient impliqués et participent à cette production, tout en sachant que ce sera un job à plein temps, même pour une équipe plus importante. Le tournage de film est un travail difficile qui consume tout votre amour, votre temps et votre énergie (comme certains vampires !), et des projets comme celui-ci se font et se défont avec le support des spectateurs. Le système de feedback immédiat de Kickstarter, est par exemple un bon moyen pour vérifier que vous êtes toujours en phase avec les attentes du public. Après tout, nous ne cessons jamais d’apprendre, et tout retour constructif qu’on peut recevoir nous aide à améliorer notre travail.

La bande son du trailer est une composition spécialement écrite pour ce dernier. Pourquoi ce recours à quelque chose d’électro ? Comment ce morceau a-t-il été écrit ?

La version électronique est une version trance du thème de Laura qui n’apparaît pas dans le trailer, mais uniquement sur la chaîne Youtube, uniquement pour le fun. Ce mix est particulièrement électronique car quelque chose avec son propre rythme tend à davantage accrocher l’auditeur. Je l’ai joué lors d’une balance avant la projection officielle sur le campus cinéma où j’étudiais, et les gens se sont levés de leurs sièges, battant des mains et dansant au rythme du morceau.

Le morceau utilisé dans le trailer a essentiellement une instrumentation classique. Je suis une très grande fan des films de Tim Burton, et des bandes sons de Danny Elfman, de même que de groupes néoclassiques comme Nox Arcana et Midnight Syndicate, et j’ai essayé de convoquer une ambiance « dark fantasy » similaire avec la bande son, essentiellement avec le thème de Carmilla qui est joué durant la plus grands partie du trailer et des crédits. Le morceau a été composé et arrangé avec des logiciels audio, donc aucun « vrai » instrument n’a été utilisé. À nouveau, n’ayant aucun budget pour la création du trailer, il n’y a donc pas d’orchestre live ici.

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (en littérature, au cinéma ou en musique) ?

Ma série TV favorite étant enfant était le Petit Vampire (qu’il s’agisse des versions canadienne et allemande, même si je me rappelle davantage avoir visionné cette dernière). J’ai eu un gros béguin pour Anna, qui était la petite vampire la plus charmante que j’avais jamais vue. Le dernier film de vampire que j’ai vu est Styria, qui est une autre adaptation de Carmilla, située à la fin de la guerre froide. C’est une vision intéressante du récit, car il tend à faire de l’épidémie vampirique une hystérie de masse, et que le chasseur de vampire y apparaît comme un bad guy dont la seule réponse aux mauvais comportements des jeunes filles, ou à leur maladie mentale, est de les exécuter.

De votre point de vue, comment peut-on analyser le mythe du vampire ?

Je pense qu’on pourrait remplir des livres répondant à cette question, je m’en tiendrai donc au mythe du vampire tel qu’il apparaît dans Carmilla, pour des questions de longueur. Les vampires, en tant que créatures mythiques, peuvent être vus comme un symbole de l’Inconnu et de l’Interdit — ce qui les rend éternellement fascinants. Dans le cas de Carmilla, cela inclut des idées et styles de vie opposés aux normes sociales établies. Si la vie offrait la possibilité de choisir entre connaître la passion la plus dévorante de votre vie et rester en sécurité tout en demeurant vide à l’intérieur, la plupart des gens choisiraient la seconde possibilité. C’est le choix le plus sûr, car il permet plus aisément d’assurer sa survie, mais rien ne changera jamais.

Tout ce que fait Carmilla l’écarte des conventions, prendre des risques de manière à pouvoir se nourrir et implanter dans l’esprit de Laura des idées qui semblent en avance sur son temps. Bien qu’en étant l’objet de l’affection et de l’amour de Carmilla, Laura conduira cette dernière à être exterminée, elle sera changée pour toujours par le goût de la liberté que cette relation lui aura offert, comme cela est suggéré dans les dernières pages du livre. En fin de compte l’histoire tourne, au moins partiellement, autour de femmes qui se débattent dans le corset que leur impose la société.

Avez-vous d’autres projets sur ce sujet ? Quelle va être votre actualité dans les prochaines semaines ?

Mon projet le plus ambitieux maintenant est de trouver un travail dans l’industrie de l’animation (rires). Blague à part, je travaille sur toutes les solutions envisageables pour poursuivre mon travail sur Carmilla, et donner vie au projet. La prochaine étape sera d’envoyer le projet à de nombreux festivals de cinéma. Pour le moment, je n’ai aucun autre projet qui tourne directement autour du thème du vampire, mais il y a d’autres projets dans le futur, restez à l’écoute !

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