Marsan, Stéphane. Interview du directeur éditorial de Bragelonne 3/3

Une question plus personnelle. Votre première et dernière rencontre avec un vampire, que ce soit littéraire ou cinématographique ?

(Rires) La première, c’est loin… Il se pourrait que ce soit Fright Night, fin des années 80. Vampires, vous avez dit vampires ? À l’époque, mon canard de référence était Starfix, et je me souviens très bien de la couv… C’était une photo de Fright Night avec un vampire, et il était écrit  » Les vampires se fendent la gueule « . Avec le recul, je trouve que c’était extrêmement bien vu, parce que ça montrait bien qu’il y avait déjà l’amorce d’une vision du vampire complètement différente, qui n’était plus Dracula. Ça, ça devait être la première. Quoiqu’il y a des chances que j’aie vu le Nosferatu de Murnau avant.

La dernière ? Ouh la la… (rires). Je pourrais dire que j’ai embrassé Sire Cédric hier, par exemple. Sire Cédric est un garçon merveilleux, délicieux, formidable, et je lui ai fait la bise hier. Voilà.

Pour vous, qu’est-ce qui fait la pérennité de ce thème ?

Il est éternel parce qu’il est très fort symboliquement et psychologiquement. Sans revenir sur tout ce qu’on sait – la symbolique, l’immortalité, la symbolique érotique —, ce que je trouve extraordinaire avec le vampire, c’est qu’il revient tout le temps. Sans mauvais jeu de mots, à chaque fois qu’on croit qu’il est mort et enterré, hop ! Il revient.

Marsan, Stéphane. Interview du directeur éditorial de Bragelonne 3/3 Il n’y avait aucune raison de penser que le vampire allait exploser en littérature populaire. Je suis vraiment désolé d’avoir à le dire, mais j’ai refusé Charlaine Harris plusieurs fois, parce que je ne voyais pas comment ça marcherait en France. Et je n’avais pas complètement tort puisque, quand J’ai Lu l’a publié d’abord dans la collection Amour et Mystère en sentimental, ils se sont vautrés. À ce moment-là, on a demandé à J’ai Lu s’ils ne voulaient pas le refaire du côté du rayon SF. En fait ce qu’on a dit c’était plutôt  » Vous voulez pas nous laisser le refaire ?  » Ils nous ont d’abord dit oui avant de décider de le garder. Je ne suis pas très fier de moi… Mais bon, tant pis.

Je pense que l’une des choses qui explique sa pérennité c’est – là aussi sans mauvais jeu de mots – sa capacité à la métamorphose. C’est-à-dire du vampire effrayant par Bram Stoker, avec tout le sous-texte économique et social, le vampire qui présente la fin d’un monde – de l’Ancien Monde et de l’aristocratie —, le vampire qui est rebelle, punk, à la Poppy Z. Brite, et aujourd’hui le vampire super sexy, voire même le vampire tout gentil aux dents élimées à la Edward… C’est extraordinaire que cette figure qui est tellement marquée, tellement caricaturale – le vampire qui ne vit que la nuit et boit du sang – en fait, se prête à autant d’évolutions et suscite autant d’intérêt. Il est loin d’être rangé dans le placard des figures gothiques complètement has been qui fleurent bon la naphtaline et la poussière, comme le Golem ou la Momie… Donc c’est sûrement ça, sa force : le vampire surprend toujours.

Qu’en est-il des séries qui semblent ne pas avoir eu le succès escompté ? Par exemple Douze, Nécroscope, les Dossiers Dresden… Envisagez-vous de leur donner une seconde chance, ou les lecteurs doivent-ils se tourner vers la V.O. ?

Chaque cas est différent. Nécroscope est l’exemple parfait d’une série mythique qui revient beaucoup trop tard. C’est assez typique de ces séries pour lesquelles, pendant 10 ans, on reçoit un email par mois qui demande si on va reprendre Nécroscope. Alors on se dit qu’il y a une demande pour, on sort le bouquin, et non en fait, il n’y a aucune demande au-delà des mails qu’on avait reçus. Je ne sais pas pourquoi le Fleuve n’a pas continué à l’époque, mais c’est à ce moment-là qu’il fallait continuer Nécroscope, à l’apogée de Pocket Terreur. Quand on l’a refait, c’était déjà trop tard. Déjà on l’a refait en grand format, mais c’est une série à faire en poche. Sauf qu’en poche ça coûte les yeux de la tête, et qu’il faut en vendre 8000 pour rentabiliser… Il n’y a guère que la Bitlit qui arrive à faire ça.

Marsan, Stéphane. Interview du directeur éditorial de Bragelonne 3/3Dresden est un cas très différent… Dresden, c’est à n’y rien comprendre ! Je ne sais pas où on a merdé, mais on a merdé. C’est une série que j’adore. J’en ai parlé avec Mike Briggs (ndlr : le mari de Patricia Briggs) qui m’a dit que c’était son auteur préféré. On ne peut pas ne pas aimer Dresden quand on l’a lu. Bon le premier est un peu plus faible, c’est un peu dommage, mais enfin merde, c’est bon ! Alors on a tout essayé : on l’a fait en moyen format, on l’a repris en poche, on le fait en numérique… On a le 6 et le 7 qui sont traduits, et on ne les a pas sortis. Mais il arrive un moment où quand ça ne marche pas, ça ne marche pas… Mais j’adore cette série, alors on verra bien. On négocie en ce moment avec l’agent la possibilité de sortir le 6 et le 7 directement en numérique. L’agent ne veut pas, ça m’agace un peu. Pourtant c’est un très bon agent, mais il veut qu’il y ait une exploitation papier. Et honnêtement, avec Alain on lui a dit que c’était du fric foutu en l’air. Alors on ne pourra pas ressortir toute la série en numérique, mais au moins que les gens qui veulent le lire en français puissent lire ces deux-là. En même temps, c’est toujours pareil, c’est un peu donner de faux espoirs. Si on dit que le 6 et le 7 sont en numérique, on va nous réclamer le 8, c’est normal. Mais ce n’est pas parce qu’on aura vendu le 6 et le 7 en numérique qu’on pourra faire le 8…

Douze… Putain, qu’est-ce que c’est bien, Douze ! Mais Napoléon, en France, ça n’intéresse vraiment pas beaucoup de monde. La difficulté de ce genre de bouquin, c’est qu’il y a 3 façons de l’orienter. Soit l’aspect napoléonien – qui est très important pour les Anglais, qui adorent Napoléon —, mais ça ne marche pas du tout ici. Quand j’ai lu le bouquin, ce qui m’a plu était plutôt le côté Fantasy militaire. Rudement bien écrit, magnifique ambiance, introduction sublime… Et Jasper est un mec adorable, t’as envie de le publier avant même de l’avoir lu. Et finalement il y a l’aspect vampire. On a fait un choix, et je n’ai pas mis en avant le côté vampires. J’ai peut-être fait une connerie…

Ce que j’ai en tête, c’est de relancer un ensemble de bouquins – soit une OP en librairie, soit un truc numérique – en disant, en gros,  » Les romans de vampires que vous avez ratés « . Ça serait Vampyrrhic de Simon Clark, ça serait
croscope
, etc… Mais au jour d’aujourd’hui, la suite n’est pas prévue. Je suis content, parce que ça ne marche pas du feu de Dieu en Angleterre, mais ça marche suffisamment pour qu’il y ait un nouveau deal pour deux ou trois bouquins, et qu’il continue la série. C’est la vie. Tout ne marche pas aussi bien qu’on voudrait.

Merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions…

Il n’y a pas de quoi. Je suis désolé de terminer sur cette note un peu tristounette des séries qu’on ne peut pas continuer…

Marsan, Stéphane. Interview du directeur éditorial de Bragelonne 3/3 Dans ce cas on a une dernière question : y a-t-il des séries à venir sur le sujet dont on n’aurait pas encore entendu parler, au-delà des Vampires de Chicago ?

En automne il y aura Nalini Singh, la série des Psy-Changelling. C’est toujours un peu délicat quand un auteur est partagé entre plusieurs éditeurs, je préfère éviter. Mais celle-là je la trouvais tellement bien… Elle est plus proche de Briggs. Les Changelling sont des changes-formes, et il y a tout un côté tribal. Les personnages masculins sont vraiment bien… Enfin, Nalini Singh c’est super, et on lance ça à l’automne.

Un peu dans le même cas de figure d’auteur partagé : Christine Feehan, dont la série vampire est chez J’ai Lu et s’est vautrée lamentablement. Mais Briggs et Armstrong m’ont expliqué pourquoi. Elles m’ont dit que c’était l’une des toutes premières séries de Bitlit avant l’heure, enfin de Vampire Romance. Elles ont dit que c’était très gentil, qu’elles les avaient tous lus, mais que c’était il y a longtemps, et qu’en fait c’est vieillot, has been. Donc ouf, j’ai pas fait ça. Par contre, on va faire Ghost Walker. C’est une série plus à la X-Files, mais avec, dès le début, une charge sensuelle et érotique très forte.

En gros, ce sont des gens qui ont des pouvoirs paranormaux qui font des enquêtes, et qui vont en trouver d’autres qui ont aussi des pouvoirs. Mais à chaque fois, évidemment, il y a une rencontre sensuelle entre une femme et un homme qui ont ces pouvoirs. On est un peu plus proches de Heroes par exemple. J’ai lu 4 pages et je ne pouvais pas m’arrêter. D’emblée, c’est chaud quoi ! Elle a une faculté à décrire la tension, le désir entre les personnages… en un paragraphe… Elle est super forte ! Christine Feehan, c’est le best-seller absolu de Bitlit aux États-Unis, c’est 18 millions d’exemplaires en circulation, c’est monstrueux. Elle fait quatre bouquins par an, elle a 13 enfants… Quand l’agent m’a dit ça, je lui ai demandé comment elle faisait pour écrire avec 13 mouflets ! Il paraît que les grands s’occupent des petits… Mais ça veut dire qu’elle a passé sa vie à la maison, donc à écrire.

Marsan, Stéphane. Interview du directeur éditorial de Bragelonne 3/3On sort les Succubus en poche. On a changé à couverture au dernier moment parce qu’on s’est fait incendier par les fans. On avait fait un gros débat en interne… Le truc sympa, le gros débat la veille du départ en impression.  » Comment ça on doit changer la couv ? On l’a depuis 4 mois !  » Il y a des moments où je ne suis pas tout à fait d’accord avec les réactions des fans… La difficulté de ce genre de chose, c’est qu’on a forcément une autre vision des choses. On commence à s’approcher du moment où il faut que la Bitlit gagne un public plus large, qui n’est pas le public de Marsan, Stéphane. Interview du directeur éditorial de Bragelonne 3/3, qui ne va pas au rayon SF-Fantasy, un public qui ne va pas sur le net du tout, et qui adorerait ça. Et c’est le public de Dresden aux États-Unis, c’est le public d’Anita Blake… Des gens qui ne lisent absolument pas de Bitlit, mais qui ont lu tous les Anita Blake.

Donc pour réussir ce jump, il n’y a pas 36 solutions. Et l’une de ces solutions, c’est la couverture. Il faut qu’on sorte de notre corps. C’est-à-dire que nous – éditeurs, fans, et lecteurs —, on a énormément de mal à se remettre en cause par rapport à nos options graphiques. Le reste du monde considère que nous couvertures sont kitsch, infantiles, etc. Et pour nous, c’est incompréhensible, puisque c’est des trucs qu’on aime. Donc il faut essayer de penser comme ceux qui ne comprennent pas ce qu’on fait et ne peuvent pas le saisir, tout en gardant une intégrité et en leur disant  » On ne va pas faire semblant, on va vous dire ce que c’est, mais on va essayer de vous le présenter d’une façon qui, pour vous, sera moins absurde ou moins agressive « .

J’ai un exemple typique pour ça. Quand on a sorti Légende, un de nos représentants passe dans la grande librairie prout prout intello de Paris, et essaie de placer Légende en grand format. Et le mec lui répond  » Impossible, je ne peux pas prendre ce bouquin « . Alors le représentant dit OK, il arrache la couverture. Donc il reste la page de titre et il dit :  » Et là, tu peux ? « , et le mec lui répond :  » Oui, là je peux « . Tout est sur la couv. C’est-à-dire qu’avec hypocrisie et en même temps avec une vision tout à fait juste de sa clientèle, le mec disait en gros  » Une couv avec une hache, je ne peux pas la vendre « . Et c’était ça l’enjeu sur Succubus : de se dire que si c’est une couv Bitlit traditionnelle, Mme Michu ou un jeune cadre dynamique qui prend le métro et qui bosse dans la finance ne peut pas avoir ça sur sa table ou dans le métro. Ses collègues vont dire  » Tu lis des débilités avec des filles à poil « .

Marsan, Stéphane. Interview du directeur éditorial de Bragelonne 3/3 Alors il faut proposer une autre image. Eh bien clairement, on n’en est pas encore là ! Parce que forcément les fans, eux, ont l’impression d’être trahis. Donc il ne faut pas les trahir, il ne faut pas nous trahir, et il faut en même temps rendre le bouquin accessible pour un public plus large. C’est super difficile. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Il y a des contre-exemples. Pratchett par exemple, qui est un best-seller absolu en Angleterre avec des couvertures rigolotes. Quand le mec vend 400’000 exemplaires, on peut se dire qu’on vire les lutins débiles et qu’on met quelque chose grand public. Ben non… Mais en même temps, c’est l’Angleterre, et le grand public aime les lutins, ou en tout cas arrive à dépasser la couverture pour lire le bouquin.

D’une façon plus générale, c’est un enjeu majeur pour la Bitlit, comme ça l’a été pour la Fantasy ou la SF. Il y a plus de 40’000 lecteurs pour Anita Blake en France… il faut aller les chercher. Donc abattre des barrières, qui ne sont pas seulement celles de la librairie, mais aussi celles de la perception du bouquin.

Première partie de l’interview de Stéphane Marsan
Deuxième partie de l’interview de Stéphane Marsan
Troisième partie de l’interview de Stéphane Marsan

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