Labbé, Denis. Interview de l’auteur de Marelle d’Ombres

Quel est ton parcours d’auteur ? Qui l’emporte en toi, le traducteur ou le novelliste ?

Cette première question est déjà bien vaste. Etrangement, ou pas d’ailleurs, j’ai commencé par écrire de la poésie dans mon adolescence. J’ai publié quatre recueils, dont l’un a été primé, et de nombreux poèmes dans des revues, avant de me lancer dans l’écriture de nouvelles. Je suis d’ailleurs sans doute plus à l’aise dans le jet rapide, la fulgurance, que dans les longs développements romanesques, et cela doit venir de cette passion pour la poésie qui m’habitait alors. J’ai commencé à publier à 19 ans dans une anthologie internationale de poésie, puis mes nouvelles ont commencé à paraître dans des revues comme Phénix, Show Effroi, Poésie Première… Mais ma première publication professionnelle fut un récit de vampire : L’Horreur vous va si bien dans l’anthologie De Sang et d’Encre dirigée par Léa Silhol. C’est ce texte qui a tout déclenché et qui m’a fait comprendre qu’on pouvait réellement être payé pour sa passion. Mes premiers droits d’auteur : un chèque royal de 166 francs.

Depuis, j’ai publié plus d’une cinquantaine de nouvelles dans divers pays francophones et une en Espagne, ainsi qu’un roman jeunesse, un roman biographique consacré à Claude Seignolle et ce recueil, Marelle d’Ombres aux éditions Argemmios.

Comme tu le précises, je suis également traducteur, mais aussi critique et essayiste. Pourtant, si j’ai traduit une vingtaine de nouvelles et six romans, je ne me considère pas comme un vrai traducteur. En revanche, ma casquette de critique est plus évidente à porter en raison de mon parcours universitaire et professionnel. Je dois avoir publié plus d’une centaine d’articles, des centaines de chroniques et co-écrit une douzaine d’essais. Je touche donc à quatre aspects différents de l’écriture : créateur, traducteur, critique (au sens journalistique) et critique (au sens universitaire), qui sont totalement dissemblables et complémentaires. Mon cœur va sans doute plus vers la création, mais j’ai dû mal à me passer de l’aspect critique, étant donné ma formation, même si celle-ci était plutôt axée sur la poésie moderne et contemporaine que sur le fantastique.

Parle-nous un peu de Marelle d’Ombres. Qui a eu l’idée de ce recueil, toi ou les Editions Argemmios ?

Marelle d’Ombres est un florilège de textes publiés et d’inédits. Ceux publiés le furent dans des anthologies épuisées, notamment aux éditions Oxymore, ou des revues introuvables à présent comme les premiers numéros du Calepin Jaune dirigé par Estelle Valls de Gomis ou la revue québécoise Horrifique. Certains textes ont donc déjà paru de manière professionnelle et d’autres dans l’équivalent moderne des pulps. J’aime bien offrir des nouvelles à des revues ou des gens qui le méritent, sans jamais racler mes fonds de tiroir comme certains le font. J’ai voulu présenter un résumé de ce que je suis capable de faire, en proposant une pérégrination dans les différents univers que j’aime explorer. Cela va des récits « fin-de-siècle » aux envolées contemporaines, en passant par des nouvelles plus intimistes voire introspectives. Les styles aussi peuvent varier, de la poésie de Corpus à la narration faussement orale de Papillons de nuit.

J’ai eu l’idée du titre du recueil, il y a bien longtemps, sans doute en référence à la Marelle d’Ambre de Roger Zelazny, en voulant mettre en avant les jeux fantasmatiques auxquels jouent mes personnages (et moi à travers eux) et le clair-obscur du fantastique. A côté des textes déjà édités, j’ai placé des inédits auxquels je tiens particulièrement. Une fois le recueil composé, je l’ai envoyé aux éditions Argemmios qui l’ont rapidement lu et accepté. Il semble être arrivé à une période où Nathalie Dau et son équipe avaient un créneau pour un tel recueil. Il s’en est suivi plusieurs mois d’échanges par courriel et téléphone afin de corriger les textes et de leur donner une certaine unité.

Le travail fut vraiment agréable car Nathalie à un œil avisé et sait mettre le doigt sur les erreurs et les coquilles, tout en proposant des approches parfois nouvelles et intéressantes. Si quelques textes n’ont eu droit qu’à des changements de détails, d’autres ont vu des paragraphes entiers être ajoutés ou remaniés. Ce fut, je fois l’admettre, un moment vraiment enrichissant de replonger dans des textes que j’avais déjà lus des dizaines de fois en y trouvant de nouvelles choses à leur faire dire.

La folklore oriental (notamment lié à la culture mongole) revient plusieurs fois au cours des nouvelles de ce recueil. D’où te vient cette passion pour ce sujet ? Ne penses-tu pas qu’il s’agisse de thèmes peu connus des lecteurs occidentaux qui risquent d’en perdre certains (je pense notamment à la nouvelle Rosebud, qui est centrée autour de la ville de Xanadu) ?

Je suis passionné par l’Asie depuis mon adolescence et notamment par le Japon. Des auteurs comme Murakami Haruki ou les poètes Buson, Ryokan, Shiki sont parmi mes auteurs préférés. Pour Rosebud, ce fut un peu un télescopage de références qui a donné naissance à ce texte. La cité perdue était un appel à textes d’Oxymore dans lequel je me suis plongé avec délectation. J’ai cherché à éviter les clichés du découvreur qui traverse l’Afrique ou l’Asie et tombe sur les ruines d’une civilisation disparue. Pour cela, je suis parti de l’idée d’une ville mythique, Xanadu, piégée dans une bague. La présence du Kahn s’imposait d’elle-même. Mais ces références asiatiques ont fusionné avec Citizen Kane le film d’Orson Welles dans lequel la villa de Kane s’appelle Xanadu. D’où, le titre Rosebud… Mais je ne vais pas entrer dans les détails.

Il y a aussi une influence asiatique dans Kourgane au cœur qui évoque des fouilles archéologiques entreprises dans une tombe scythe. Là aussi, les mythes orientaux prennent place. Etant un lecteur avide, de tout ce qui peut me tomber sous la main de littéraire, mais aussi de scientifique, je possède une montagne de revues consacrées à l’archéologie, ainsi que des ouvrages sur les mythes de nombreux pays. Il me suffit souvent de réunir divers éléments provenant de droite et de gauche pour donner naissance à une trame, parfois un peu complexe, mais qui me permet de relier des univers que j’aime. Certains de me textes encore inédits sont plus profondément ancrés dans les mythologies asiatiques.

Quelles ont été ta première et ta dernière rencontre avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?

Honnêtement, je ne me souviens pas réellement de ma première rencontre vampirique. Celles qui m’ont marqué, ce sont sans doute les apparitions de Christopher Lee dans les différents films de la Hammer. J’en conserve, encore aujourd’hui, des souvenirs assez troublants. Plus que celles de Bela Lugosi par exemple. Il y avait dans les films de la Hammer un côté kitsch, mais en même temps terriblement sincère, qui me touchait à l’époque. Et qui me touche toujours autant d’ailleurs.

En littérature, c’est sans doute Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu qui m’a le plus marqué, et La Morte Amoureuse de Théophile Gautier, d’avantage que Dracula. Mais d’autre
s récits vampiriques m’ont attiré vers ce personnage troublant. Je pense en particulier à Morthylla de Clark Ashston Smith qui possède une atmosphère poétique vraiment prenante ou Les Liens du Sang de Hugh B. Cave qui permet d’entrer dans l’esprit d’un vampire en pleine métamorphose. Beaucoup d’auteurs se sont emparés de ce mythe et tous ne l’ont pas fait avec bonheur. August Derleth a su me toucher avec Tourbillons de neige qui conte une nuit d’hiver particulièrement terrifiante. Claude Seignolle a su aussi y apporter une touche différente avec Pauvre Sonia! qui met en scène une jeune prostituée vampire. Si j’entrais dans les détails, la liste serait longue.

Surtout que j’ai assez rapidement découvert la collection NéO, cette fameuse collection noire qui reprenait aussi bien des classiques, que des œuvres récentes et d’autres oubliées. Là-dedans, on trouve des trésors. Et notamment en ce qui concerne les vampires puisque trois anthologies lui ont été consacrées (en compagnie des goules et des loups-garous). A côté de cela, je possède aussi de nombreuses anthologies plus ou moins anciennes, ainsi que des romans et des recueils publiés par Marabout il y une quarantaine d’années. Que d’agréables plongées dans le monde vampirique à faire !

J’ai un lien assez étroit avec le personnage du vampire, puisque j’écris toujours des récits mettant en scène Ludivine, le personnage à l’origine de ma première publication professionnelle. Bien avant Buffy, j’avais imaginé une chasseuse de vampire. Sauf que Ludivine est une vampire qui a été soignée et qui essaie de se venger de ceux qui lui ont fait subir tout ce calvaire. Je termine en ce moment un recueil qui va regrouper toutes les nouvelles la mettant en scène, et notamment plusieurs inédites. Ce ne sera pas du tout un roman, mais bien un recueil qui met en scène Ludivine, mais dont les types de narration et les narrateurs sont différents d’un texte à l’autre. La variation des points de vue permet de la voir sous différents angles, de l’introspection qui nous la montre en pleine souffrance, au regard amoureux d’une victime potentielle, en passant par le côté plus distant d’un narrateur externe. Dans le même temps, elle traverse les époques en se glissant tour à tour dans des univers historiques, uchroniques voire futuristes. Un exercice de style qui me passionne.

Pour toi, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?

Pour comprendre le succès et la pérennité du mythe vampirique, il faut tout d’abord se pencher sur son essence. En effet, le mythe s’appuie sur un être protéiforme qui peut, tour à tour, s’incarner en une superbe jeune fille lesbienne dans Carmilla, en comte obscur mais fascinant dans Dracula, en star du rock avec la série d’Anne Rice, en prostituée chez Seignolle, en adolescent à problèmes dans Twilight, en détective… Il peut être tour à tour pathétique, envoûtant, vengeur, chasseur ou proie…

Le vampire symbolise toutes les angoisses, tous les phantasmes, toutes les attentes humaines, et dans le même temps, il nous oblige à réfléchir à notre condition humaine. On le voit de nos jours avec la série Twilight qui attire des millions de lecteurs et surtout de lectrices en remplaçant, par son côté « à l’eau de rose » les romans du même nom. Le vampire possède ce petit côté rebelle et dandy qui plaît tant aux femmes, voire aux jeunes femmes, qu’il semble encore avoir de beaux jours devant lui.

Quelle va être ton actualité littéraire dans les mois à venir ? De prochaines traductions ou nouvelles sont elles amenés à paraître prochainement ?

Après la parution de Marelle d’Ombres, j’ai pas mal de projets et de sorties en cours. Dans le domaine des essais, j’ai participé à un dictionnaire du fantastique dirigé par Valérie Tritter et son mari qui vient de sortir début avril chez Ellipses, un pavé de plus de 1100 pages qui est l’aboutissement d’un travail de cinq ans. Plusieurs nouvelles doivent paraître dans différentes revues et d’autres sont en lecture pour des anthologie. Il semblerait aussi qu’une de mes nouvelles de vampire soit en traduction en Turquie.

J’ai déjà évoqué le recueil mettant en scène Ludivine, mais je pense que je vais aussi finaliser deux ou trois romans, déjà terminés, mais que je dois envoyer à des éditeurs prochainement. Côté essais, je planche sur le programme de BTS de l’année prochaine, mais sans trop de fantastique dedans puisque le thème est le rire. Même si… Plein de choses en route et beaucoup d’idées qui se bousculent en ce moment dans ma tête.

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