Debats, Jeanne-A. Interview avec l’auteur de Métaphysique du vampire

Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?

Je m’appelle Jeanne-A Debats, non ce n’est pas un pseudo, juste mon deuxième prénom (sisi) (et le nom se prononce « Deubatseu » pas « débat’ » par pitié). J’ai 47 ans et deux enfants, j’aime quasiment tout ce qui peut se manger et se boire sauf la confiture et le Baileys, je suis nulle en pâtisserie (je n’ai jamais réussi un clafoutis de ma vie), ma courbe musicale dessine un arc entre Lulli et Motorhead, je suis emportée et tête de mule, auteur de Science Fiction & professeur de Lettres Classiques…

Mais je ne me soigne pas.

Après avoir consacré deux nouvelles à l’univers dans lequel évoluent les personnages de Métaphysique du vampire, pourquoi avoir choisi de leur consacrer un roman complet ?

Je n’aime pas laisser les histoires inachevées. J’ai entendu il y a peu Jean Claude Dunyach, auteur de Science Fiction et nouvelliste renommé, affirmer que la différence entre un auteur professionnel et un amateur, c’était la certitude du premier qu’il finirait son histoire et ça m’a marquée. Je me suis juré de terminer deux histoires qui restaient en plan, l’une depuis 2006, l’autre depuis 2009. La première c’était « Mémorial », une novella (à l’origine, une de mes premières nouvelles, la seconde, je crois) qui est parue en 2011 dans Ghost Stories, une anthologie aux éditions Asgard. La seconde c’était « Métaphysique » que j’avais commencé, je l’ai dit déjà, pendant la rédaction d’un autre roman, jeunesse celui-là. Les deux histoires se déroulent d’ailleurs dans le même univers.

Dans le roman jeunesse – c’était mon premier et j’angoissais beaucoup ; je craignais de ne pas réussir à écrire « pour » un public aussi défini en respectant un cahier des charges (dont la plupart des règles, m’avaient été imposée par mes propres préjugés sur la littérature de jeunesse, Denis Guiot s’est chargé de bien me détromper depuis) – je me bridais énormément, évitant les plaisanteries saumâtres dont je suis friande, les grandes envolées lyriques et la noirceur dont il m’arrive de faire preuve et, du coup, j’en étais « à manquer d’air ». Navarre a débarqué, il m’a ouvert les fenêtres en grand pendant cette période difficile. Je me suis lâchée avec lui un bon moment, ensuite j’ai pu continuer l’autre. Mais Navarre était seulement en stand-by et je l’ai repris en décembre cette année. Ce qui était une nouvelle plutôt rigolote est devenu plus noir, plus fouillé et plus long.

Pourquoi avoir décidé de confronter votre personnage de vampire avec un ancien nazi ? Est-ce uniquement pour cela que vous avez choisi le Brésil comme lieu d’ancrage pour le récit ?

Le fait est que la phrase qu’entend Navarre au tout début de « Métaphysique » et qui l’agace si fort, je l’entends régulièrement. Qualifier des tueurs de monstres inhumains, dire que les gens qui agissent monstrueusement ne sont pas humains, ça confine pour moi, comme pour lui, au déni de réalité. J’ai horreur que l’on nie la nature profondément monstrueuse de l’homme et d’une certaine façon qu’on « externalise » nos penchants destructeurs et sadiques au profit de nos seuls supposés penchants pour l’humanisme et l’altruisme. L’humanité, c’est un arc comportemental qui va d’Attila à Gandhi. (Et Gandhi est un autre genre de monstre)

Je trouve cette attitude, cet aveuglement volontaire, irresponsable. Ça dispense de chercher plus loin, dans le corps social par exemple, les raisons de la monstruosité. Ça dispense de s’interroger, soi, sur ses propres capacités à la monstruosité. Le syllogisme fondamental, l’aberration logique est là : « Le type qui a fait ça (quel que que soit le ça) n’est pas humain, moi je suis humain, donc je ne suis pas capable de faire ça. »

« Ben si, Toto, et plutôt deux fois qu’une ! T’as intérêt à ne pas le pas le perdre de vue et faire gaffe à ne pas déraper. »

Voilà ce que dirait Navarre.

Comment telle personne, si anodine, a-t-elle pu monter sur un toit et tirer dans la foule ou à la sortie d’une école ? Les nazis justement, les tueurs en séries également, auraient dû nous apprendre que le monstre est un homme ordinaire, qu’il peut être un voisin charmant et bien élevé en apparence, ou un petit délinquant ignoré de tous. J’ai confronté le monstre ultime du siècle dernier, le nazi, avec le monstre qu’est Navarre, c’est tout.

Évidemment, le Brésil est une destination de choix pour un nazi, tout autant pour un vampire, mais pas seulement. Rio, c’est aussi une ville où errent des centaines d’enfants abandonnés, souvent tirés comme du gibier par la police elle-même, surnommée « les escadrons de la mort » (souvenons-nous du massacre de l’église Candelaria), quand les gangs ne les utilisent pas pour leurs sales et petites besognes. Rio, belle, fascinante, exotique, est le dernier monstre de « Métaphysique », celui qui dévore ses propres enfants. J’ai rêvé qu’un dieu indulgent, tendre et pragmatique (c’est comme ça que j’aime les dieux) se pencherait sur leur cas.

Votre personnage central masculin tranche radicalement avec ce qui se fait dans le genre. Quel regard portez-vous sur le thème du vampire à travers la production actuelle ?

Comme dans tout mouvement littéraire, on y trouve d’incontestables réussites, des choses plaisantes, sympathiques, simplement passables et énormément de déchet. Déchets dans lesquels je ne rangerai pas Twilight, que je hais pourtant viscéralement ; mais c’est bien la preuve que cette série, loin d’être un ratage, réalise parfaitement les projets dont elle est porteuse, ce qui pour moi la range au rang des réussites (hélas). De ce point de vue, elle fait donc partie de la catégorie n°1. Au même titre qu’une Gail Carriger avec son merveilleux Protectorat de l’Ombrelle.

N’empêche, je serai Anne Rice (qui pour moi est la Grande « Précurseuse » de ce mouvement), j’irais causer du pays à Stephenie Meyer ; on ne peut pas plus trahir le thème, tel qu’il a été traité à partir de Rice, que Meyer qui défend toutes les valeurs les plus conservatrices et les plus aliénantes (pour la femme déjà) dans un domaine où la transgression était devenue la règle.

(On arrive dans Twilight au paradoxe absolu suivant : la femme qui dans la bit-lit est l’élément moteur, l’électron libre, qui s’assume et assume ses choix, notamment amoureux, devient celle qui fait TOUS les choix conservateurs, tous ceux qui la colleront à nouveau à la cuisine, ou mieux, carrément dans la tombe, au seul profit de son homme ou de son enfant. Bref, retour à la case sacrificielle. Gni.)

Même des catastrophes totales comme (oh ben non, je ne les nommerais pas, elles font toutes seules très bien leur pub) tenez, on va dire « ces-histoires-de-vampires-bronzés-après-les-vampires-qui-brillent » ne desservent pas le thème comme Meyer.

Ainsi mon regard sur la production actuelle est le même que sur celui de l’ensemble de ce qui sort en TOUT, c’est-à-dire un regard qui trouve à apprendre, à se faire purement plaisir, à s’agacer, à se mettre dans de noires et tonnantes colère, ou à passer son chemin tranquillement.

La dimension sexuelle du vampire dans votre roman vient-elle d’une forme de dérision vis à vis de la dimension érotique que prend souvent le vampire, nettement appuyée dans la Bit-lit et ses dérivés ?

La dimension sexuelle du vampire est constitutive au thème dès l’antiquité. Les goules, lamies, succubes et autres incarnations anciennes du vampire usent de séduction pour approcher leurs proies. Il n’est pas étonnant que la bit litt (qui est plutôt elle-même un dérivé qu’un canon) prenne en charge cet aspect du mythe, la question sexuelle est tout de même une question moderne, s’il en est. Après tout, l’identité de genre ou de sexe s’est discutée jusque devant le sénat pas plus tard que la semaine dernière, il me semble. Anne Rice avait franchement ouvert les hostilités dans Lestat et Entretien avec le vampire avec ses parallèles à peine voilés au sida et la relation forte de compagnonnage entre Lestat et Louis, ou les parades de séduction d’Armand auprès de tous (sans compter le moment où il se met carrément en couple avec Daniel). Mais Carmilla de Sheridan le Fanu lui avait largement ouvert la voie cent ans plus tôt.

Ainsi, le vampire devient symbole sexuel, forcément transgressif parce qu’il est un prédateur à la base. Nos sociétés ne se satisfont de prédateurs que lorsqu’ils sont institutionnels et surtout pas incontrôlables et anarchiques (ne pas confondre avec anarchistes, quoiqu’au final, pour les sociétés en question, ça revient au même). Il est forcément transgressif aussi parce qu’il est question de sexe, manifestation biologique que toutes les sociétés humaines se sont chargées de codifier, de réprimer, depuis notre sortie des cavernes, via la religion entre autre. Le discours qui sous-tend la plupart des œuvres de bit litt est un discours tolérant sur le sujet, militant, et porteur d’une symbolique transgressive (militante contre l’homophobie déjà).

En plus, c’est LOGIQUE ! Je veux dire : quand on a l’éternité devant soi pour faire des expériences, on ne se laisse plus distraire par des choses aussi éphémères que les codes sociaux. Notamment en matière de sexe. Clairement : la position du missionnaire pendant 500 ans, je n’y crois pas, au bout d’un siècle ou deux l’envie de changer doit apparaître. Enfin j’espère.

Alors, loin de me moquer de mes confrères dans le genre, j’apporte seulement MA vision militante à ce sujet. Navarre est un être libre, il préfère les hommes mais ne dédaigne en fait rien ni personne comme sujet valide de ses attentions (je me suis promis de le faire tomber amoureux d’une commode Empire).

C’est bien ce que je reproche à Twilight d’ailleurs, le discours sur le sexe de Twilight, c’est que le sexe, c’est mal. En plus de « une vraie fille est idiote et son arme absolue est de courir faire la gueule et le ménage ».

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?

Shambleau de Catherine Moore fut mon premier vampire, un vampire de SF aux longs cheveux de fourrure orange préhensile, il me semble. Je devais avoir 13 ans. Mais quasiment tout le recueil éponyme dans lequel est sortie cette nouvelle en France parle de vampires de SF, qu’ils s’abreuvent traditionnellement de sang, des forces vitales ou de la beauté même de leurs victimes. Ensuite, il y eut Sheridan le Fanu (je piochais dans la bibliothèque de mon grand père, à cette époque-là) puis Bram Stoker. J’ai découvert Salem de Stephen King, Sabella de Tanith Lee et Un vieil ami de la famille de Saberhagen par hasard en me promenant dans les librairies des années plus tard, puis Anne Rice. Anne Rice, j’ai adoré, littéralement. C’est tombé pour moi dans une excellente période – l’adolescence – grand moment du sexe et de la transgression s’il en est.

Malgré les déceptions ultérieures avec Rice (je n’ai jamais pu finir Memnoch le démon encore moins LIRE Pandora – qui pour moi est la vampire la plus ennuyeuse ever dans tout le cycle) c’est Un vampire ordinaire de Suzy McKee Charnas qui a eu raison de ma première période vampirique, je n’avais pas accroché au traitement et c’était ma première grande déconvenue chez Ailleurs&Demain.

Sinon ces derniers temps, j’ai rencontré Garriguer, Kelley Amstrong, Kim Harrison, les vampires abstinents de Terry Pratchett et True Blood (la série TV, parce que les livres j’ai essayé mais c’est sûrement très mal traduit) que j’ai beaucoup aimé les deux/trois premières saisons (après quand Northmann devient un caniche accroché aux basques de Sookie, j’ai plus pu, j’aime les vrais bonshommes autant que les vraies filles et le renversement Compton/Northmann m’a juste énervée). Tout ça pour dire que je navigue sereinement dans ma deuxième période vampirique, et que j’ai l’intention d’arriver au port le plus tard possible.

Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?

Le mythe du vampire est très intéressant parce qu’il est essentiellement littéraire (et/ou cinématographique comme on voudra^^). Pour le dire très rapidement, s’il a des racines mythiques, elles sont dispersées et contradictoires. Le vampire, tel que nous le connaissons plus ou moins, nait au dix-septième siècle et trouve une première apogée au dix-huitième. Aussi ne suis-je pas sûre qu’il faille parler de pérennité. Les illustres savants de l’Encyclopédie et des Lumières s’en moqueront beaucoup en une époque où le rationnel était en train de se tailler la part du lion. Ils se rient de ce qu’ils mettent au rang de superstition Ils ne comprendront pas que cette flambée de superstition n’est, selon moi, ni plus ni moins que le pendant habituel d’une baisse de faveur de l’esprit religieux. (Il est vrai que de société vaste et rationnelle, on n’en avait pas expérimenté ainsi en Europe depuis l’Empire Romain – lesquels Romains étaient également très superstitieux, en plus d’être le plus souvent pragmatiques et rationnels. Aussi nos estimables érudits n’avaient-ils guère de points de comparaison.)

Navarre le dit à un moment :

« L’intérêt d’un univers régi par leurs lois [celle des dieux] c’est qu’il aie un putain de sens. »

Ainsi, les hommes privés du recours d’un équilibre extérieur et divin pour expliquer les malheurs qui les frappent, accusent les mauvais esprits, les démons, les sorcières… ou les vampires.

Ensuite, de nos jours, et tandis que les sociétés européennes connaissent à nouveau une même désaffection de la croyance en tant que grande explication de l’Univers, les romanciers et nouvellistes s’emparent du sujet à crocs et lui font leur petite cuisine chacun dans son coin. Du coup, s’il se stratifie quelque peu, le mythe ne cesse de connaître de nouveaux avatars. Moi, ce qui me plait là dedans, c’est qu’encore maintenant rien n’est figé. Nous n’avons pas affaire à la mythologie grecque ou à la légende arthurienne, auxquelles on ne peut plus adjoindre que de l’exégèse, de la périphrase ou de la parodie (excellente parfois, cf Kaamelot) ; chaque auteur prend en charge le mythe à sa convenance et pour l’instant toutes les options choisies restent valides et validables par l’ensemble des autres auteurs en train sans trop s’en rendre compte de former un vaste corpus qui peut-être un jour se figera à son tour. Mais nous n’en sommes pas encore là.

C’est pourquoi je ne suis pas sûre qu’il faille parler de pérennité du mythe, il est en construction depuis quatre cent ans, certes, mais il a tant évolué, connait tant de transformations (les vampires meurent au soleil/ les vampires brillent au soleil/ les vampires bronzent… etc) et de révolutions, servi tant de propos souvent radicalement opposés (rien que Navarre vs Edward, déjà) que la notion de permanence à ce stade me semble un peu abusive. En revanche, le terrain est ouvert, courrons jouer.

Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?

J’ai un roman jeunesse qui sort là en Août : Rana et le Dauphin aux éditions Syros. Le projet Jules Verne dont je parle dans l’ITW à la fin de Métaphysique sortira sans doute au prochain salon du livre de Paris.

Il y a deux suites prévues pour l’instant à Métaphysique, j’en écris une en ce moment tandis que je mets la dernière main à Imajighane, roman de Science Fiction adulte, pour l’Atalante. Je dois commencer un roman Science Fiction jeunesse pour décembre pour les éditions Syros et j’ai deux anthologies (en tant qu’anthologiste) en préparation l’une de SF (aucune date de sortie prévue) et l’autre (décembre 2013) sur… les vampires!

Je ne vais pas m’ennuyer.

Ça tombe bien je souffre d’une inaptitude à l’ennui qui me joue des tours en permanence.

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