Arson, Thierry. Interview avec le traducteur d’Anno Dracula

Bonjour M. Arson. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?

Bonjour. Je suis traducteur depuis une grosse vingtaine d’années, ce qui m’a donné l’opportunité de toucher à un éventail assez large de genres  : romans fantastiques, SF, policiers, romans dits « féminins », bios, ouvrages de vulgarisation, manuels divers (y compris le « Kama Sutra » en anglais…)

Vous avez de nombreuses séries sur le thème du vampire parmi les traductions qui portent votre nom, de Anno Dracula à L’Opéra de Sang de Tanith Lee. Est-ce un hasard ou la preuve d’un intérêt poussé pour les buveurs de sang ?

En fait, c’est un peu le hasard. Mais le hasard existe-t-il ? Sur un plan personnel, et parce que je m’intéresse aux différents aspects des littératures de l’Imaginaire (on va dire ça comme ça), bien sûr que le thème du vampire m’intéresse. Et les éditeurs ont plutôt tendance à confier aux traducteurs-trices des romans pour lesquels ils savent que ceux-ci vont s’impliquer. Donc : hasard ? Pas vraiment, bien sûr.

Après avoir été indisponible pendant des années, Anno Dracula ressort ces temps-ci chez Bragelonne. Quel regard portez-vous sur cette suite du roman de Stoker, alors que s’achève l’anniversaire des 100 ans de la mort de ce dernier ?

L’œuvre de Stoker est évidemment fondatrice du mythe. Celle de Kim Newman, à mon avis, est totalement « barrée » et en tant qu’uchronie magnifiquement maîtrisée. Newman ne trahit en rien l’œuvre du précurseur du genre, il lui rend même hommage, et il y ajoute un degré de folie superbement bien mené. Enfin, d’après moi.

Arson, Thierry. Interview avec le traducteur d'Anno DraculaVous avez également traduit L’Opéra de sang, une trilogie vampirique de Tanith Lee qui ne cite pourtant jamais le terme vampire. Comment, en tant que traducteur, passer de quelque chose de plus classique dans sa manière d’aborder le mythe, comme Anno Dracula, à une série plus hors-norme comme celle-ci ?

Chez Tanith Lee, tout est en demi-teinte, on passe par l’ellipse, l’évocation, le non-dit, l’effet miroir. A la personne qui lit ses romans de se faire son idée. Elle esquisse, suggère, et c’est à vous de (dé)terminer ce qu’est finalement le tableau (ou le film, car je lui trouve une écriture très cinématographique). Mais elle laisse volontairement planer le mystère, parce que là réside la force de son roman. Soyons clairs : j’ai adoré traduire Tanith Lee. Pour moi, c’est un écrivain majeur.

Si on replace les oeuvres sur les vampires que vous avez traduite dans une perspective chronologique, avez-vous senti une évolution dans le traitement de la créature ?

Du peu que j’ai traduit et qui concerne de près ou de loin les vampires ?
– La trilogie Scarabae de Tanith Lee :
Un  OLNI tant elle est dans son univers. Le thème du vampirisme est omniprésent, et sous-jacent, mais jamais offert au lecteur comme une solution pour le décryptage du texte. On sent bien que l’auteure prend volontairement une certaine distance avec le texte fondateur.
– La trilogie Anno Dracula de Kim Newman :
Là, Newman se joue des conventions propres au mythe, tout en s’en appropriant ce qui l’arrange. D’entrée il change la fin du roman de Stoker, et ensuite il part en roue libre. Mais avec un brio incontestable. Et une inventivité délectable.

Arson, Thierry. Interview avec le traducteur d'Anno DraculaParmi vos travaux passés, plusieurs projets remontent à la défunte la collection Pocket Terreur. Pensez-vous qu’elle a participé à donner une plus grande visibilité à la littérature fantastique en France ?

Pocket Terreur a beaucoup fait dans cet esprit. Et la collection doit beaucoup à quelqu’un comme Patrice Duvic, grand découvreur de talents.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du vampire en littérature ces dernières années ?

Pour tout dire, je suis un peu attristé. Il y a de très bonnes choses, quelques trucs pas trop mauvais, mais tout est noyé dans l’étiquette « bit-lit », parce que ça a fait vendre un temps. Et je pense que certains auteurs valent bien mieux que cette étiquette réductrice.
Et je ne parle pas non plus de Twilight, parce que là, je ne peux pas (mais ce n’est que mon avis)…

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?

Woah… Mes premières rencontres avec un vampire ? Après la lecture des écrits de Le Fanu, Stoker, dès que j’ai regardé des films, je crois. Ceux avec Christopher Lee, Peter Cushing… Des effrois de gamin qui faisaient courir un délicieux frisson dans tout mon être, qui me filaient des cauchemars pendant plusieurs nuits et qui, bien évidemment, m’ont marqué à jamais.

Mes dernières rencontres ? Au cinéma ? Wesley Snipes dans Blade. J’aime assez sa façon de régler les conflits. Même si, parfois, j’ajouterais deux ou trois mots d’explication. Avant. Ou après, d’ailleurs.

Arson, Thierry. Interview avec le traducteur d'Anno DraculaPour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?

Je pense que, fondamentalement, le vampire est l’image et la personnification de l’être humain Lambda. D’ailleurs ce n’est peut-être pas un hasard si le mythe du vampire a fleuri (au moins en Occident) avec Bram Stoker, au début de l’ère industrielle. Et ce n’est peut-être pas non plus un hasard si la littérature et les films qui lui sont consacrés fleurissent maintenant, alors que nous connaissons une période de crise.

Le vampire est quelqu’un qui, soudain, se voit conférer un potentiel énorme. Ou plutôt, qui se rend compte du potentiel qui végète en lui. Or, souvent, dans sa vie antérieure il sentait que la société où il évoluait ne lui offrait quasiment aucune façon d’exprimer ce potentiel d’une façon qui le satisfasse.

D’où, par contrecoup, et parce que la société n’aime pas trop les individus Lambda qui se réalisent, cette attirance du « public » (donc des individus Lambda) pour des êtres qui sont radicalement, voire douloureusement différents, qui le découvrent, finissent ou pas par l’assumer, mais au final s’en trouvent grandis (au moins un temps).
Pour moi, le thème du vampire survivra parce qu’il est prométhéen.

Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?

Pour l’instant, je travaille sur un  space-opera, mais je serais évidemment et avec grand plaisir preneur de la traduction de tout roman qui tiendrait la route et qui aborderait le thème du vampirisme – avec respect et intelligence pour le genre, bien sûr !

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